4+1 : une manifestation nationale autour de la traduction littéraire
Frauenfeld, 24-25 mars 2006
4 + 1 übersetzen, traduire, tradurre, translatar
24-25 mars 2006 Eisenwerk, Frauenfeld
Après dix rencontres à bord du Bateau Interlignes - la traditionnelle manifestation annuelle dédiée à la traduction littéraire en Suisse, qui se déroulait sur un cours d'eau ou un lac situé à une frontière nationale ou linguistique -, une nouvelle formule a été élaborée par un comité organisateur qui réunit les acteurs principaux des activités traductives en Suisse (Centre de Traduction Littéraire, Pro Helvetia, Fondation ch) et la Kulturstftung des Kantons Thurgau. Cette nouvelle formule à terre propose, chaque année, des manifestations littéraires accueillant les quatre langues nationales et une langue hôte. C'est l'espagnol qui sera la langue invitée de l'année 2006. En plus des nombreuses rencontres avec auteurs, traducteurs et éditeurs, des ateliers de traduction et un concours de traduction pour gymnasiens sont au programme. La journée sera ponctuée par des lectures d'extraits du Don Quichotte en allemand. Dans ce cadre aura également lieu la remise du Prix lémanique de la traduction 2006, à Marion Graf et Josef Winiger.
Entretien avec Irene Weber Henking
Questions à Irene Weber Henking, membre du Comité organisateur de la manifestation, et directrice du Centre de Traduction Littéraire de Lausanne, partenaire de la manifestation.
La traditionnelle manifestation annuelle dédiée à la traduction littéraire en Suisse, le Bateau Interlignes, se déroulait sur un cours d'eau ou un lac situé à une frontière nationale ou linguistique. Pourquoi ce changement ? Quels sont à votre avis les apports de cette nouvelle formule ?
Ces changements s'expliquent par des raisons tout à fait pragmatiques. En effet, le financement de la location du bateau, de par son coût élevé, est devenu très difficile ; par ailleurs, d'un point de vue éthique, il est difficile de justifier un montant si élevé étant donné le salaire moyen d'un traducteur littéraire. Si le symbole du bateau était considéré comme tout à fait emblématique des échanges littéraires propres à la traduction - être ensemble dans une même barque, regarder dans une même direction, passer d'une rive à l'autre, l'eau (trouble) fonctionnant comme élément unificateur des diverses cultures, etc. -, les contraintes étaient cependant aussi très importantes : les horaires, les possibilités limitées de monter et de descendre du bateau, les problèmes acoustiques durant les manifestations " à bord " etc. La nouvelle formule à terre nous apporte essentiellement de la souplesse : à la fois dans le choix des régions et des nouveaux partenaires, et dans celui des localités et de la durée.
Le programme accorde une place importante à chaque langue nationale, mais propose également un choix de lectures et discussions en langue espagnole, la langue invitée de cette première édition. Comment le choix s'est-il porté sur l'espagnol ? D'une manière plus générale, comment le programme d'une telle manifestation est-il réalisé ?
Les quatre langues nationales resteront le pilier de la manifestation : il est fondamental de montrer au grand public l'importance de ces quatre langues et la richesse extraordinaire de ces littératures éditées en grande partie par des maisons d'édition suisses. Mais ces quatre langues sont en lien et en relation avec une multitude d'autres langues et d'autres cultures. La Suisse n'est pas un melting-pot littéraire, mais une terre d'accueil pour les écrivains venus d'autres horizons, et les écrivains de langue espagnole sont certainement très bien représentés en Suisse. Le choix s'est porté sur l'espagnol tout d'abord parce qu'il existe en Suisse une communauté littéraire hispanique très importante, ensuite parce que l'année 2005 a marqué les 400 ans de l'uvre majeure de la littérature espagnole, le Don Quichotte. Cet anniversaire a donné lieu à de nouvelles traductions, notamment en allemand et en français, le moment était donc propice pour faire le point sur la réception de ce livre fascinant ! Comme nous ne voulions pas rester dans la glorification du passé, nous avons cherché à actualiser le débat. Grâce à l'aide de Pere Joan i Tous, professeur à l'Université de Constance - et ce faisant nous avons tout de même passé de l'autre côté du lac ! -, nous avons pu inviter des auteurs, des chercheurs et des traducteurs à un débat portant sur " la littérature espagnole : le passé au présent ", qui sera suivi d'une lecture de Julio Llamazares, dont le livre La Pluie jaune vient de paraître en français chez Verdier, dans la traduction de Michèle Planel.
Le programme s'est fait dans son ensemble par la collaboration des différents partenaires de la manifestation, c'est-à-dire la Collection ch, Pro Helvetia, la Kulturstiftung des Kantons Thurgau et le Centre de Traduction Littéraire. Nous avons cherché à élaborer un programme varié et riche qui ouvre des portes d'entrée au public des traducteurs spécialisés, mais aussi au public des lecteurs et des jeunes ! Et comme nous sommes à terre, chacun peut venir quand il le souhaite, choisir d'assister à une lecture ou un atelier de traduction, feuilleter des livres de l'exposition, échanger avec des actants de la vie littéraire et repartir quand il le souhaite.
Parmi les diverses manifestations proposées figurent deux remises de prix, la première est celle du Prix lémanique de la traduction, destiné à récompenser d'éminentes traductions littéraires de l'allemand vers le français et du français vers l'allemand, et la seconde la remise des prix d'un concours de traduction pour gymnasiens. Pouvez-nous nous en dire un peu plus sur ces deux prix ?
Ce sont deux prix tout à fait différents ! Le Prix lémanique de la traduction est un prix de consécration, créé en 1985 par Walter Lenschen, et décerné tous les trois ans à deux traducteurs pour la qualité exceptionnelle de leur uvre de traduction littéraire. Depuis sa création, le Prix lémanique de la traduction a honoré les plus grands traducteurs de la littérature allemande et française. Cette année, la distinction littéraire s'accompagne d'une mention spéciale pour l'implication personnelle des lauréats en vue d'une meilleure reconnaissance du travail du traducteur : autant Marion Graf, traductrice de nombreux auteurs suisses contemporains et surtout de Robert Walser, que Josef Winiger, traducteur de Jean Rouaud et de nombreux autres auteurs français, ont su par leur travail littéraire et leur engagement dans des projets d'édition et de formation continue susciter l'intérêt pour des auteurs aussi surprenants et fascinants que Walser et Rouaud. Les lauréats du prix sont les suivants : Walter Weideli et Eugen Helmlé (1985), Philippe Jaccottet et Elmar Tophoven (1988), Gilbert Musy et Helmut Kossodo (1991), Georges-Arthur Goldschmidt et Brigitte Weidmann (1994), Etienne Barilier et Hanno Helbling (1997), Colette Kowalski et Yla von Dach (2000), Claude Porcell et Hans Stilett (2003).
Le prix de gymnasiens poursuit un but tout à fait différent de celui du Prix lémanique : si le second récompense l'accomplissement de l'uvre d'une vie, le premier veut susciter de l'intérêt pour l'inconnu et stimuler une approche littéraire différente de l'analyse littéraire pratiquée à l'école. Il s'agit d'éveiller et de créer des vocations littéraires et de sensibiliser des jeunes lecteurs au travail des traducteurs. C'est un pas de plus vers la reconnaissance du travail du traducteur par le grand public.
Pensez-vous qu'il existe aujourd'hui un public pour une manifestation dédiée entièrement à la traduction littéraire ? Quel est-il ?
Oui, il existe un public intéressé à la traduction littéraire, parce que nous lisons en fait de très nombreuses traductions et très peu d'originaux ! Mais l'intérêt pour les traducteurs et les traductrices, la fascination pour le métier de traducteur reste encore à susciter. Les traducteurs sont restés tant d'années dans l'ombre de l'auteur, à peine mentionnés sur la quatrième de couverture, qu'on a fini par les oublier. L'organisation d'une manifestation dédiée à la traduction littéraire comme " 4+1 traduire, übersetzen, tradurre, translatar", le Prix lémanique de la traduction et, depuis peu, le projet d'une formation pour traducteurs littéraires dans le cadre d'une formation professionnelle entièrement consacrée à l'écriture littéraire sont des éléments essentiels permettant de rendre visible la fonction du traducteur littéraire, d'améliorer son statut social et de susciter de l'intérêt pour ce métier. C'est donc à travers un ensemble d'éléments et d'actions que nous irons vers une plus grande reconnaissance du travail du traducteur littéraire, un métier qui joue un rôle majeur dans les échanges entre les langues et les cultures.
Propos recueillis par Mathilde Vischer
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