Patrick Amstutz
directeur de la nouvelle collection « Le cippe », aux Editions Zoé

Une nouvelle collection critique paraît chez Zoé : « Le cippe », tel est son nom, s'ouvre avec deux livres, consacrés respectivement aux Paysages avec figures absentes de Philippe Jaccottet, et au Poisson-scorpion de Nicolas Bouvier. Le lecteur hâtif soussigné en avait déduit dans un premier temps une orientation vers la littérature suisse de langue française ; mais c'est tout le « patrimoine littéraire francophone » que convoque « Le cippe » dans ses quatrièmes de couverture, de sorte que ce premier élan helvétique apparaît plutôt comme un symbole. Patrick Amstutz, directeur de cette collection, répond à nos question en ne levant que très évasivement le voile sur son avenir…

 

Entretien avec Patrick Amstutz, par Francesco Biamonte

Quel sont les objectifs principaux de cette collection ? Et à qui s'adressent ces petits livres ?

Il s'agit de favoriser l'accès à un riche patrimoine littéraire suisse et francophone et, par de petits ouvrages maniables, rigoureux dans leur information et agréables à lire, permettre de mieux comprendre et de lire avec plus de plaisir encore des textes majeurs francophones. Augmenter ses compétences interprétatives face aux textes des différentes littératures, en quelque sorte, en prenant conscience, sinon de la nécessité, du moins de la nette plus-value de la connaissance des liens noués par le texte sur les plans culturel, contextuel et intertextuel.

Rédigés par des universitaires, mais dans un style aisé et vivant, avec un vocabulaire simple, ces ouvrages d'humble dimension offrent un chemin de lecture à travers des essais personnels. S'ils sont très pratiques aux étudiants et aux professeurs, ils sont tout autant utiles à un large public, qui n'a pas les mêmes outils universitaires, mais qui partage le même intérêt pour ces textes.

On est frappé par le soutien financier des cantons romands autour de ce projet : tous figurent dans les remerciements en début de volume, et non pas seulement les cantons directement concernés de par l'origine de l'auteur traité. Comment expliquez vous ce soutien régional ?

L'ACEL [« Association pour une collection d'études littéraires », de laquelle dépend le projet, ndlr ] ne publiera pas des études sur les auteurs d'un canton en particulier, mais bien sur des autrices et des auteurs de langue française provenant de n'importe quelle région de Suisse. La dimension nationale pour les aires francophones est donc évidente.

Avez-vous eu des modèles éditoriaux (le format rappelle les fameux « Profil d'une œuvre » chez Hatier, mais le contenu est assez différent…) ?

Pas spécifiquement. Ce format, sans illustration, peut aussi bien rappeler Que sais-je ? ou Etudes littéraires (P.U.F.), Balises ou 128 (Nathan), Parcours ou Référence (Bertrand Lacoste), Connaissance d'une œuvre (Bréal), Le bien commun (Michalon), Un livre une œuvre (Labor), etc.

Les deux premiers volumes se distinguent par un auteur très présent, qui assume la dimension personnelle de son texte. Jean-Xavier Ridon, dans son opuscule sur Le Poisson-Scorpion , commence même par une anecdote personnelle. Est-ce un désir de personnaliser la critique, ou un hasard dû aux tempéraments des chercheurs contactés pour les deux premiers volumes ? Quelle vision de la critique littéraire défendez-vous à travers « Le cippe » ?

C'est un choix délibéré de l'ACEL. Ces études sont rédigées par des universitaires, mais la qualité scientifique de leur travail et leurs informations objectives ne doivent pas exclure leur expérience humaine de lecture, avec laquelle leurs lectrices et leurs lecteurs auront plaisir à comparer la leur.

Le cippe, en archéologie, est une petite colonne servant tantôt de borne, tantôt de monument funéraire. Pourquoi ce nom ?

Il n'était pas possible de donner à la collection le nom de l'association, l'ACEL (Association pour une collection d'études littéraires) étant un acronyme extrêmement répandu dans le monde, dans différentes langues et pour les domaines les plus divers. Cette petite borne, en effet, signifiait merveilleusement bien cette pause informative et bienvenue sur le chemin aventureux de la lecture.

Vous avez choisi de consacrer les deux premiers volumes au Poisson-Scorpion de Bouvier et aux Paysages avec figures absentes de Jaccottet. Le choix des auteurs surprend peu, puisqu'ils sont probablement les écrivains romands contemporains ou très récents les plus reconnus en France. Avez-vous été tenté de placer en ouverture de collection, à côté de ces noms illustres, des auteurs à découvrir ou à redécouvrir ?

Il ne s'agit pas d'être « le plus reconnu en France », mais suffisamment « reconnu dans l'espace francophone » pour disposer d'une édition courante en livre de poche largement diffusé. Le texte de référence doit être disponible très facilement, à un prix modique et partout dans le monde. Nos petits ouvrages ont pour but d'accompagner ensuite ces textes, et non pas des textes peu connus ou difficilement accessibles. D'ailleurs, d'un point de vue romand, cette option favorisera le contact avec des ouvrages suisses qui demeurent souvent méconnus à l'étranger, et permettra probablement à d'autres textes suisses de langue française de mieux circuler à travers le monde. Et vice-versa.

De Bouvier, vous n'avez pas choisi L'Usage du monde…

Pourquoi l'eût-il fallu ? Le Poisson-Scorpion permet d'ouvrir sur l'œuvre de Bouvier en même temps que sur des questions génériques et littéraires passionnantes liées à la complexité de ce livre singulier, à mon sens une œuvre majeure de la littérature d'expression française.

Pouvez-vous déjà révéler les prochaines parutions de la collection « Le cippe » ?

Il y aura un Césaire traité par Pierre Vilar, mais je n'en dirai pas plus.

En quatrième de couverture, l'ACEL revendique une « confrontation de regards dans un souci interculturel ». D'où vous vient ce souci d'interculturalité, dans un projet qui semble doté d'une forte dimension patrimoniale, et comment se réalise-t-il concrètement ?

Le souci de faire connaître les richesses de la littérature aux uns et aux autres contribue précisément à sortir des frontières identitaires.

Propos recueillis par Francesco Biamonte