Nouvelles écritures dramatiques de Suisse romande (4)
Dans un dossier conséquent consacré par Feuxcroisés 7/2005 - la revue "cousine" du Culturactif - aux écritures théâtrales de Suisse, François Marin avait notamment interviewé Mathieu Bertholet, Antoine Jaccoud, René Zahnd, Marielle Pinsard et Dominique Ziegler. Dans la continuité de ce travail, il donne la parole à des figures émergentes de la nouvelle dramaturgie romande sur le Culturactif, de septembre à décembre 2006. Plusieurs d'entre ces auteurs ont eu la chance de voir leurs textes créés à la scène cette saison. Ils livrent dans ces entretiens le cheminement vers le théâtre, leurs espoirs et parfois leurs déceptions. Après les trois premiers volets, consacrés à Bastien Fournier, Sandra Korol, Patrick Suter, Odile Cornuz, Nadège Reveillon et Julie Gilbert, François Marin a interrogé Valérie Poirier et Olivier Chiacchiari. Ce dernier est également présent dans la rubrique des livres du mois avec son texte La mère et l'enfant se portent bien.
Olivier Chiacchiari, par François Marin
Olivier Chiacchiari (1969). Auteur de plusieurs pièces de théâtre dont La Cour des petits, crée au Théâtre des Marionnettes de Genève (2006) et de La Mère et l'enfant se portent bien, crée au Poche-Genève (2006).
Quel a été votre cheminement vers l'écriture dramatique ? Est-ce une suite de hasards heureux, un choix délibéré ou l'aboutissement d'un travail en relation avec la scène comme comédien, dramaturge, metteur en scène, etc ?
C'est souvent à posteriori que je comprends la nature profonde de mes choix et que je perçois une cohérence dans mon parcours. Il en va de même pour mon rapport à l'écriture dramatique. Si aujourd'hui je suis au clair sur mes motivations, c'est que je peux me retourner sur les dix-sept années de travail ininterrompu qui ont dirigé ma vie, et qui surtout, lui ont donné un sens.
Durant mon adolescence, parallèlement à mes études de graphisme, je voulais devenir comédien. J'ai étudié cinq ans au Conservatoire populaire de théâtre et j'ai joué dans trois productions. Mais des problèmes d'anxiété m'ont très vite convaincu que je n'étais pas fait pour m'exposer physiquement sur le devant de la scène. En revanche, l'apprentissage du métier de comédien m'a inoculé la passion du théâtre et la fascination du texte: comment une pièce s'articule, quel est l'enjeu d'une scène, qu'est-ce qui anime les personnages
autant de questions qui m'ont encouragé écrire ma première pièce, qui a donné lieu à une réalisation radiophonique. Fort de cet accueil positif, j'ai récidivé. Voilà comment j'ai basculé.
L'écriture dramatique est un mode d'expression qui me convient pour les "contraintes" qu'il impose, à savoir celles du langage et de l'action. Contrairement à l'écriture romanesque où tout est possible, le théâtre a ses règles, mêmes si elles ne demandent qu'à être transgressées. Ce sont ces règles concrètes, définies, qui expliquent sans doute que l'autodidacte que je suis a osé s'y frotter sans se laisser submerger.
Dans cette discipline artistique, le relais par ses pairs (conseils, encouragement, etc.) semble important. Quelle a été pour vous la rencontre avec vos pairs ? Ces relations sont-elles fortes, enrichissantes, ou lointaines, voire inexistantes ? Comment appréhendez-vous le paradoxe apparent entre le geste solitaire de l'écriture et la dimension collective propre au théâtre ? Quels sont vos liens avec les praticiens de la scène, comédien, metteurs en scène, et directeurs de salle ?
Il y a trois personnes qui ont énormément compté dans mon parcours et à qui je dois encore - d'une certaine façon - mes succès d'aujourd'hui. Le premier est le dramaturge Bernard Bengloan, qui m'a encouragé et conseillé durant de nombreuses années. Le deuxième est François Truan, qui nous a quitté l'an dernier, et à qui je souhaite rendre hommage. Il a été le premier à croire en mon travail et à le rendre public via des lectures publiques. Le troisième est Claude Stratz, évidemment, grand homme de théâtre, qui en créant deux de mes textes à la Comédie de Genève m'a ouvert les feux de la rampe.
Aujourd'hui, j'ai de plus en plus de plaisir à voir mes personnages prendre corps sur le plateau et à partager ces moments avec le metteur en scène et les comédiens. Car si c'est une banalité de répéter que le théâtre est un art collectif, c'est une absurdité d'imaginer qu'il peut se pratiquer sans partage. C'est ce partage - fragile et complexe - qui intervient au sortir de l'écriture solitaire, qui entretient ma passion pour le théâtre.
Quand à mes liens avec les praticiens de la scène, ils sont très divers. Cela va du respect mutuel à l'indifférence totale.
Vous avez connu ces derniers temps une réalisation scénique comment s'est déroulé cette rencontre? Y-a-t-il eu osmose ou est-ce toujours un arrachement, un ex-propriation par la mise en scène et les comédiens? Avez-vous découvert des facettes nouvelles de votre écriture, voire de votre psyché?
Je sors à peine des représentations de La Cour des petits, créée par Guy Jutard aux Marionnettes de Genève en coproduction avec le Festival de la Bâtie.
C'en est presque gênant à formuler, tant cette aventure a été formidable et riche, une osmose totale entre le metteur en scène, les comédiens et moi. Nous avons travaillé de concert, chacun mettant à contribution ses qualités spécifiques dans le respect de l'autre et pour l'intérêt de tous
le rêve ! Et le résultat s'en est ressenti, l'accueil du public et de la presse a dépassé nos espérances.
Ces moments sont aussi précieux que rares, malheureusement. Je crois que si les déceptions sont légion en matière de collaboration artistique, c'est qu'il est très difficile de faire coïncider les niveaux d'exigences, les degrés de compétences, les façons de voir le monde, etc. Une alchimie qui relève de l'impossible ! Mais quand la rencontre survient, quand le partage opère, quand les aspirations fusionnent
le théâtre y gagne. Et la vie aussi.
A l'heure où j'écris ces lignes, les répétitions de La Mère et l'enfant se portent bien qui sera créée au Théâtre de Poche dès le 30 octobre par David Bauhofer viennent de commencer. Une nouvelle aventure m'attend, je ne sais pas encore comment elle se déroulera, ni le spectacle qui en résultera, mais compte tenu du talent de David Bauhofer et de la qualité de la distribution, j'ai très bon espoir.
Vous écrivez et résidez en Suisse romande, y-a-t-il pour vous une singularité d'une écriture en Suisse romande, un état d'esprit particulier ? Pourriez-vous de fait vous retrouver dans les derniers mots de Raison d'être de Ramuz qui se fixe pour objectifs de pouvoir écrire un livre, un chapitre, une phrase qui ressemble à la terre de ce pays ?
La singularité de toute région ne provient pas de son écriture, mais bien de la région elle-même. Et la singularité romande, s'il en est, qu'elle soit politique, géographique ou économique, inspire naturellement une bonne part des écritures qui s'y pratiquent.
Personnellement, je ne cherche pas à décrire cette région, mais mes joies et mes colères y prennent racine, alors pourquoi pas mon écriture ? J'écrirais sans doute différemment si je vivais en Afrique, en Chine ou au Bangladesh.
En 2003 l'antenne suisse des Ecrivains Associés de Théâtre a été fondée à Neuchâtel. Depuis quelques années d'autre part, la SSA multiplie les innovations pour promouvoir l'écriture en Suisse romande. Comment percevez-vous ce mouvement ? Quelles sont les perspectives que vous voyez pour l'écriture en Suisse romande ?
Toutes les initiatives qui visent à promouvoir et à soutenir l'écriture sont le bienvenu. A l'aube du XXIe siècle, il semble que le théâtre prend conscience qu'il a besoin d'un souffle nouveau, il doit négocier un virage, et ce virage ne peut se faire - à mon sens - que par l'émergence de fables nouvelles. Ce sont les fables d'antan qui ont fait la grandeur du théâtre et ce sont les fables d'aujourd'hui qui lui rendront ses lettres de noblesse. J'en fais le pari !
Fatigués de ressasser les classiques, on en vient enfin à encourager l'écriture, afin que le théâtre renoue avec son époque. Mais il faut toutefois rester vigilants: encourager tous azimuts peut aussi favoriser un certain dilettantisme. L'écriture doit être encouragée, certes, mais elle ne saurait en aucun cas être suscitée. C'est un acte intime, déterminé, qui doit venir de l'intérieur. Il ne s'agit pas de se découvrir écrivain juste parce qu'on vous fait miroiter une bourse !
En ce qui concerne les perspectives pour l'écriture en Suisse romande
bien inspiré celui qui pourrait répondre avec conviction ! Je dirais simplement ceci: je ne sais pas quelle pourra être un jour la valeur de mes années de travail, ni des pièces qui en résultent. Mais ce que je sais, c'est que les rares auteurs de théâtre romands qui se sont illustrés et ont perduré ces trente dernières années, n'ont jamais eu - et n'ont toujours pas - ce qu'ils méritent. A savoir: une reconnaissance professionnelle durable, qui leur permettrait en fin de carrière de ne plus avoir à lutter comme au premier jour
Alors les perspectives ? Pour conclure sur une touche optimiste, disons que les mauvais sorts sont faits pour être conjurés.
Propos recueillis en septembre 2006 par François Marin
Valérie Poirier, par François Marin
Valérie Poirier (1961). Auteur notamment des Bouches, crées l'an passé au Théâtre du Grütli, elle fait partie de la deuxième volée de Textes->en->scène, initiative de soutien à l'écriture de la Société Suisse des Auteurs.
Quel a été votre cheminement vers l'écriture dramatique ? Est-ce une suite de hasards heureux, un choix délibéré ou l'aboutissement d'un travail en relation avec la scène comme comédien, dramaturge, metteur en scène, etc ?
J'ai d'abord été comédienne et metteure en scène avant d'écrire pour la scène. J'ai beaucoup participé à des spectacles de création, c'est-à-dire où le texte émanait des acteurs. Et c'est ce qui m'a donné l'envie de passer à l'écriture.
Dans cette discipline artistique, le relais par ses pairs (conseils, encouragement, etc.) semble important. Quel a été pour vous la rencontre avec vos pairs ? Ces relations sont-elles fortes, enrichissantes, ou lointaines, voire inexistantes ? Comment appréhendez-vous le paradoxe apparent entre le geste solitaire de l'écriture et la dimension collective propre au théâtre ? Quels sont vos liens avec les praticiens de la scène, comédien, metteurs en scène, et directeurs de salle ?
Je n'ai pas beaucoup de liens avec les autres auteurs, si ce n'est en ce moment dans le cadre de textes en scène. C'est sans doute un peu ma faute car je ne suis pas une assidue des EAT. Je fais parti du mouvement mais de façon plutôt passive. En revanche, j'ai gardé des liens avec beaucoup d'autres praticiens du théâtre en particulier des acteurs.
Vous écrivez et résidez en Suisse romande, y-a-t-il pour vous une singularité d'une écriture en Suisse romande, un état d'esprit particulier ? Pourriez-vous de fait vous retrouver dans les derniers mots de Raison d'être de Ramuz qui se fixe pour objectifs de pouvoir écrire un livre, un chapitre, une phrase qui ressemble à la terre de ce pays ?
Bien que résidant depuis fort longtemps en suisse romande, je suis d'origine étrangère. Cette singularité suisse romande, j'ai le sentiment qu'elle existe mais quelle ne m'est pas constitutive. Mais cette tension (être d'ici et d'ailleurs ) est présente, je pense, dans ce que j'écris.
En 2003 l'antenne suisse des Ecrivains et Auteurs de Théâtre a été fondée à Neuchâtel. Depuis quelques années d'autre part, la SSA multiplie les innovations pour promouvoir l'écriture en Suisse romande. Comment percevez-vous ce mouvement ? Quelles sont les perspectives que vous voyez pour l'écriture en Suisse romande ?
De réels efforts sont fournis pour nous donner les moyens d'écrire, de publier et de produire les textes. Il faudrait maintenant que l'on puisse sortir des frontières. Une fois qu'un texte a été joué en Suisse romande, il est relégué aux fonds de tiroirs. Ici les textes ont une durée de vie minuscule.
Propos recueillis par François Marin
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