Soleure: échange et écoute, par Daniel Rothenbühler
A la Une ce mois un texte de Daniel
Rothenbühler issu de notre collaboration avec l'hebdomadaire
Public, sur lequel il a paru en date du 4 juin. Vous pouvez
retrouver tous les textes issus de ce partenariat dans notre
rubrique consacrée aux revues
partenaires
Les Journées littéraires
de Soleure ont atteint un nouveau record, cette année,
avec huit à neuf mille entrées. Comment expliquer
ce succès? Deux explications ont rivalisé
avant même que l'événement ait lieu.
La commission de programmation a tenu à souligner,
dans son texte de présentation, que l'intérêt
de ces Journées pour le public serait "de voir
les auteurs, de les entendre, qu'ils soient connus ou inconnus",
tandis que Le Courrier du 15 mai a annoncé,
dans le titre d'une dépêche de l'ATS, "Des
stars aux Journées de Soleure".
Il est vrai qu'une fois de plus,
de grosses pointures étaient présentes: du
côté français, Alain Robbe-Grillet,
ce naufragé du nouveau roman qui vient de s'abriter
à l'Académie; du côté ouest-allemand,
Hans Magnus Enzensberger, cet agitateur littéraire
qui depuis plus de quarante ans cadence non seulement ses
vers, mais toute la vie intellectuelle de l'Allemagne fédérale;
du côté est-allemand, Christoph Hein, cette
voix des rescapés de la RDA, qui s'impose de plus
en plus clairement comme une de plus importantes dans la
littérature allemande; du côté suisse
alémanique enfin, Hugo Loetscher, ce touche à
tout qui arrive toujours à nous surprendre par de
nouveaux aspects de son uvre déjà riche
en couleurs.
L'ambition - et le succès
- de Soleure a toujours été d'intégrer
de telles vedettes dans un ensemble hétérogène
d'auteurs de toute envergure. La formule assurant cette
fusion est simple: chaque auteur invité dispose de
45 minutes pour lire ses textes et débattre avec
le public, après avoir été brièvement
présenté ; ces lectures sont accompagnées
de plusieurs tables rondes qui favorisent les rencontres
et les échanges entre les écrivains.
Un seul a réussi à
préserver son soliloque envers et contre tous, c'est
Alain Robbe-Grillet. Son débat avec Jean-Philippe
Toussaint sur "L'écrit et l'image" aurait
pu être un des moments forts de ces Journées.
Mais puisqu'il a cru devoir tout dire, non seulement sur
sa propre expérience, mais aussi sur celle des autres,
son partenaire n'a eu d'autre choix que de se taire. (Heureusement,
Jean-Philipe Toussaint disposait par ailleurs lui aussi
de 45 minutes de lecture, et ses films étaient projetés
sans que son collègue y mêle sa voix de stentor).
Mais pour le reste, les Journées
2004 se sont révélées plus que d'autres
être celles de l'échange, du débat,
de l'écoute. Lors d'une des premières lectures
déjà, celle de Gertrud Leutenegger, tout le
monde a été étonné : on y retrouvait
un public débattant avec une fraîcheur et un
naturel que l'on croyait perdus depuis une dizaine d'années.
Et cela ne s'est pas arrêté jusqu'à
dimanche. On a pu constater une certaine décrispation
du public face à la littérature. Il ose à
nouveau donner son avis et poser des questions apparemment
simples - qui se révèlent souvent être
très pertinentes. C'était également
le cas lors des lectures francophones, qui ont attiré
plus de visiteurs que les années précédentes.
Si le public a semblé un peu intimidé par
l'érudition d'Etienne Barilier, il s'est montré
plus détendu par la suite, par exemple face à
l'abondance des mots du jeune Algérien Mustapha Benfodil
ou à la prestidigitation littéraire d'Eugène.
Le franc-parler généralisé
n'a pas diminué la qualité des tables rondes.
Il y en avait une demi-douzaine sur des sujets aussi divers
que la réécriture des classiques pour enfants,
le projet d'un Institut de l'écriture littéraire,
le fonctionnement des archives littéraires, le rôle
de l'essai et l'écriture en deux langues. C'est lors
de ce débat que Mustapha Benfodil a saisi en quelque
sorte l'essence de ces Journées littéraires
en affirmant que seul Dieu peut prétendre à
l'unicité de la langue, tandis que tout le reste
est affaire de brassage de langues, de bavardage.
Cette pluralité, les Journées
littéraires de Soleure en tiennent compte en multipliant
non seulement les langues et les nationalités des
invités, mais aussi les manières de faire
valoir les textes. En plus des lectures, des débats
et de l'atelier de traduction, on a pu assister cette année
à des lectures pour enfants dans le théâtre
municipal, à une nuit du dialecte dans une usine
désaffectée ou encore à des lectures
pour le tout venant soleurois sous une tente en pleine ville.
Dans tout ce foisonnement, il y a
eu bien sûr aussi des moments de silence. Après
la lecture d'Anne Weber, par exemple, où tout débat
paraissait déplacé ; ou lors des lectures
de jeunes poètes venus des quatre coins de la Suisse
- dont la très talentueuse Caroline Schumacher ;
ou encore, pour la clôture, quand Hugo Loetscher et
Hans Magnus Enzensberger ont lu chacun leurs poèmes,
le premier en dialoguant avec une pianiste, le second en
marquant les pauses entre ces poèmes par des "hums"
sonores, signes de doute sur sa manière de lire.
Ces deux auteurs "stars" on ainsi paru grands
dans la mesure précisément où il se
faisaient tout petits devant leurs textes.
Daniel Rothenbühler
Page créée le 04.06.04
Dernière mise à jour le 04.06.04
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