Hommage à Colette Kowalski

Colette Kowalski 1936-2006

Ich begegnete Colette im Jahr 1970 in Lyon, zur Zeit, als an den Universitäten das Diskussionsfieber grassierte, als Politisches und Poetisches sich kühn mischten, als Zeit zu reden und zu streiten etwas war, das alle in grossen Mengen vorrätig zu haben schienen. Sie erschien regelmässig zu den Veranstaltungen des Goethe-Instituts, wo man literarische Neuerscheinungen deutschsprachiger Autoren vorstellte. Als Deutschlehrerin an einer französischen Schule wollte sie sich kundig machen, woher der neueste Wind auf literarischem Feld bläst. Wir freundeten uns schnell an: Colette war von geradezu ansteckender Herzlichkeit und von unwiderstehlichem Charme. Ab und zu lud sie mich zu sich und ihrem Mann Roger nach Hause zum Abendessen ein. Dort habe ich erfahren, was französische Lebensart ist und wie das Bürgerliche und das Intellektuelle sich in einer Bücherburg verbinden lassen. Damals hatte ich gerade Chateaubriand entdeckt, die Mémoires d'outre-tombe, und es gab für dieses zu den Tagesfragen völlig quer stehende Buch keine enthusiastischere Leserin als Colette. Wir unternahmen gelegentlich etwas gemeinsam: am Wochenende mit Freunden eine kleine Kunstreise ins Beaujolais, oder einen Besuch in der Oper. Dabei entdeckte ich, dass Kunst und Musik ihr Herz ebenso bewegten wie die Literatur.

Später traf ich sie gelegentlich in ihrer Galerie, die sie inzwischen führte. Einiges hatte sich verändert: Roger Kowalski, - Dichter, Lebenskünstler, Ästhet - war überraschend früh gestorben. Sie hatte begonnen, sich alternative Beschäftigungen zur Schule auszudenken, die sie mehr als das Unterrichten von Halbinteressierten lockten: die Galerie und das Geschäft des Übersetzens. Hartmut Köhler, Romanist und mit der Herausgabe und Übersetzung von Paul Valérys Cahiers betraut, trat in ihr Leben. Ich denke, die Arbeit einer Übersetzerin entsprach nun viel besser ihren Lebensprioritäten. Und so kam es, dass sie für viele Gegenwartsautoren zu einer hoch kompetenten und äusserst einfühlsamen Übersetzerin wurde. Vor allem für die Verlage Zoé, Gallimard und Le Seuil wurde sie zur wichtigen Vermittlerin von deutschsprachiger Gegenwartsliteratur. Über 30 Bücher hat sie aus dem Deutschen ins Französische übertragen, von Schriftstellern wie Botho Strauss und Thomas Hürlimann zu Markus Werner und Peter Weber. Vor allem Autoren und Autorinnen aus der Schweiz müssen ihr dankbar sein für diese Vermittlung in den französischen Kulturbereich hinein. Ihre Übersetzungen wurden mehrfach mit Preisen ausgezeichnet: so etwa mit dem Prix Gérard de Nerval, dem Prix Lipp oder dem Prix lémanique de traduction.

Ich erinnere mich besonders gern an eine Eigenart von Colette: Wenn sie glücklich war und mit sich und der Welt zufrieden, hat sie - etwa beim Spazieren durch die Strassen einer Stadt - leise vor sich hingesummt. Sie steckte voll von Melodien und musikalischen Themen - vor allem die Liedkunst der Romantik hatte es ihr angetan. Man konnte wunderbar mit ihr über Musik reden - es bewirkte eine Art Leuchten bei ihr, das der Beweis dafür war, wie tiefgreifend Musik ihr Leben bestimmte. Neben dem Reisen durch Italien, das sie ebenso liebte. Nun hat Colette Kowalski uns verlassen, leise und viel zu früh. Wenn ich an sie denke, sehe und höre ich sie durch eine süditalienische Stadt schlendern, eine Melodie von Schumann oder Fauré vor sich hinsummend.

Iso Camartin

 

Heurs et malheurs du traducteur

Mesdames, Messieurs

Il vous est peut-être arrivé au théâtre, restreint de tous côtés, ankylosé et somnolent, alors que sur scène les acteurs s'ébattent en liberté et semblent en tirer un très vif plaisir, de vous demander s'il ne serait pas plus juste de payer le public dont la présence patiente rend possible l'exercice d'une activité si gratifiante.
Il en va un peu de même avec la traduction, délectable occupation qui se voit non seulement rémunérée, mais parfois, ô miracle, récompensée. Un traducteur rend-il de si éminents services à l'humanité, procure-t-il à ses lecteurs autant de plaisir qu'il en a éprouvé ? J'en doute.

Certes je lis comme tout le monde des traductions, sans quoi je ne saurais rien de bon nombre de littératures. Cela m'arrive même dans les langues que je connais un peu et je me souviens avec reconnaissance de la collection "Domaine anglais" dirigée par Pierre Leyris au Mercure de France qui, sous la même couverture vert tilleul, m'a fait connaître Kenneth White, Arthur Symons, Dorothy Richardson et bien d'autres. Donc, il est assez utile de traduire, et je pense qu'on peut le faire la tête haute, même si le traducteur a plutôt mauvaise réputation.

Cependant, si l'on considère que bon nombre de traducteurs de grandes langues européennes ont passé ou passent encore une partie non négligeable de leur existence à enseigner l'idiome qu'ils traduisent, et que selon toute vraisemblance il continuera à en être ainsi dans l'avenir, on bute sur un petit mystère, Si leur enseignement est efficace, ils scient la branche sur laquelle ils sont assis. Or, malgré les générations de polyglottes formés depuis des générations dans nos établissements d'enseignement, on continue à traduire de l'anglais, de l'allemand, de l'espagnol, même dans la Suisse quadrilingue. La branche tient bon. Il y aurait peut-être quelque conséquences à tirer de cette constatation, mais je ne veux pas le faire, car ce serait déplorer un échec dont on se félicite secrètement.

Le plaisir à traduire, c'est d'abord un plaisir de lecture. Tout livre qu'on lit est un supplément d'existence que l'on s'approprie, mais la traduction est une lecture à la puissance x. Car la langue étrangère, pour le lecteur qui la possède à peu près, est une vitre transparente, elle peut présenter des bulles ou des défauts, il ne s'y arrête pas. Tout juste s'il se félicite parfois de ne pas avoir à préciser tel ou tel passage qu'il perçoit pour ainsi dire sous forme vaporeuse. Cette vitre ne révèle son caractère d'obstacle que quand il s'agit de traduire. Pour commencer tout l'abandonne, la langue source dévoile ses chausse-trapes, la langue natale semble soudain se dérober, ne lui présente plus que des trous béants. C'est pour le traducteur la traversée du désert, l'expérience de la déréliction.

Pourtant j'ai parlé de plaisir. Il s'affirme au cours des versions successives, des tâtonnements, lorsqu'il n'est plus besoin de regarder l'original, que le texte commence à lever comme une pâte, à prendre forme et consistance. Au plaisir du lecteur succède alors le plaisir de l'interprète, celui du pianiste qui, connaissant ses notes par coeur, commence à modeler son toucher, sa couleur, son phrasé sur ce qu'il pressent de l'esprit de la musique. C'est une lente mise à l'épreuve du langage, des ressources propres, point si propres que cela, car rien n'aide davantage à traduire que de lire en même temps dans sa langue et de puiser aux bonnes sources.

C'est la tâche de l'auteur, et éminemment du poète, de chercher "l'or du temps". Le traducteur, n'a plus qu'à éviter que, par une alchimie inverse, cet or natif n'entre en un alliage douteux avec le vulgaire métal de sa langue propre. Hélas, que de fois l'auteur pourrait-il s'écrier: "Comment en un plomb vil l'or pur s'est-il changé?" Reconnaissons que tout ce qui s'écrit n'est pas d'or pur. Nous autres lecteurs n'en pourrions plus d'admiration. Mais il n'empêche que la transmutation doit s'opérer au niveau convenable, qu'un argent de bon aloi ne doit pas se changer en maillechort. Et j'arrive à une autre composante du bonheur de traduire. Peu d'activités offrent tant de variété. Un truchement satisfait de son état accueille avec transport cette diversité. Caméléon qu'il est, non seulement il ne souffre pas de sa versatilité, mais trouve plaisir à changer de couleur. Il lui arrive même d'en être un peu surpris. Et quoi de plus agréable que d'arriver encore, de ci de là, à se surprendre soi-même quand on s'est fréquenté pendant des décennies ?

Cependant le traducteur ne réussit pas toujours à se rendre invisible. Je pense aux traducteurs des Mille et une nuits dont Borgès trace le portrait dans "Histoire de l'éternité", Galland, Burton, Mardrus et je crois quatre traducteurs allemands. Il ne s'agit pas pour Borgès de décerner des prix de fidélité. Aucune de ces traductions n'est vraiment fidèle, et dans ce cas qui s'en soucie ? Ce qui l'intéresse, c'est ce qui, dans la traduction, transparaît du traducteur sans qu'il le veuille ou qu'il s'en doute. Une coloration d'époque, bien entendu, car le traducteur vit dans son siècle, mais aussi des variations plus subtiles, dues au tempérament: pudique ou un peu prude, brutal ou vigoureux, obscène ou seulement licencieux. La confrontation donne à réfléchir, car, bien que toutes ces traductions soient, chacune à leur façon de bonnes traductions, elle fait apparaître des manies littéraires dont aucun traducteur n'est exempt.

Pourtant, me semble-t-il, le traducteur devrait tendre à adopter un manteau couleur de muraille, avoir l'ambition de retrouver la transparence de la vitre insoupçonnée. On pourrait penser que la meilleure façon de se rendre invisible est de s'attacher à une stricte littéralité, la fidélité jusqu'à la mort, la mort du texte dans la plupart des cas. Car l'étroite imitation conduit souvent à un produit qui n'a de nom dans aucune langue humaine. Il est fort regrettable que la structure syntaxique de l'allemand ne puisse guère s'imiter en français et que le traducteur se sente à tout moment gêné dans sa liberté de mouvement. S'il est possible et hautement louable d'écrire comme le fait Saint-John Perse "Etroits sont nos vaisseaux, étroite notre couche", peut-on en déduire qu'on est habilité à retourner la phrase française sens devant derrière pour "rendre" la structure allemande ?

Quel serait l'opposé de la littéralité ? Une traduction frisée, apprêtée au goût supposé du lecteur, qui gomme les étrangetés, en rajoute quand elle le peut, se targue même secrètement de rendre service à l'auteur. je ne dirais pas que cela ne puisse être parfois bénéfique et qu'il ne puisse y avoir de traductions meilleures que l'original. Mais je parle par ouï-dire sans y être jamais allé voir. Et la cohorte des grands écrivains affadis, repassés, raplatis par leur traducteur est bien plus nombreuse que la poignée de pisse-copie ennoblis par le passage à une autre langue.

Ces deux écueils, littéralité et amélioration, qui l'un comme l'autre témoignent d'une vraie sollicitude, tout traducteur les connaît et doit naviguer à l'estime sans s'y fracasser. Infiniment, incommensurablement plus difficile, et quasi hors de portée des forces humaines, est de rendre le halo sonore et affectif qui auréole les mots, dans leur sonorité et dans leur graphie même. C'est une entreprise impossible. Jamais "Liebe" pour une oreille française, ne sonnera comme "amour" ou plus passionné encore "amore". Jamais le "coeur" français, que pour comble de disgrâce on prononce à Lyon chez les vrais natifs comme corps, c'est-à-dire que dans les vers de Baudelaire "Car à quoi bon chercher tes beautés langoureuses ailleurs qu'en ton cher cœur et qu'en ton corps si doux", on distingue mal le viscère de l'ensemble, ce "cœur", si discret, si élégamment gris quand la voyelle est pure, qu'a-t'il de commun avec l'élan, la projection dans l'espace du mot "Herz" : "Dein ist mein Herz, dein ist mein Herz, und wird es ewig, ewig bleiben". dans le lied de Schubert. Je pense aussi à une exposition de gravures en noir et blanc que j'avais intitulée, et je n'en étais pas mal satisfaite "Sang d'encre". Imaginerait-on une galerie allemande qui annoncerai"Tientenblut". On touche là à des frontières infranchissables dont la rigueur se fait sentir surtout en poésie. Dante écrit dans le "Convivio": "Que chacun sache que nulle chose par un lien poétique harmonisée ne se peut de son langage en un autre transmettre sans rompre toute sa douceur et harmonie".

J'évoquerai encore une condition qui me paraît essentielle et je pense que tout traducteur me donnera raison: on ne peut se passer d'un conseiller secret, d'un locuteur conscient de l'autre langue, sachant distinguer avec sûreté ce qui est fait de langue, qui ne paraît original au traducteur que parce que celui-ci ne vit pas dans l'intimité de cette langue, et ce qui est invention, création personnelle, qui a de plus le sentiment sûr des niveaux, des registres de sa langue. L'auteur, s'il est vivant, peut vous guider. Et je suis très reconnaissante à certains auteurs qui m'ont évité des bévues monumentales. S'il en reste, j'en porte l'entière responsabilité, parce que, ne m'en étant pas aperçue, je n'ai pas posé de question. Et pour terminer en véritable truchement, je voudrait lire un passage de Botho Strauss, beaucoup plus beau que tout ce que je pourrais dire, empreint de cette étrange intemporalité propre à lui et qui exprime, je ne dirais pas de façon exemplaire, car le passage n'est sans doute exemplaire que de Botho Strauss, mais de façon littéraire, c'est-à-dire artistique, ce que peut être cette recherche dans la pénombre parfois traversée de modestes éclairs.

"De vieux traducteurs, rien que le couple seul le soir dans la rue, ils se dressent comme deux hautes ombres d'autres, ombres de peau et d'os. Grands échalas, étirés en hauteur. Carcasses perdurables avec le même pas, les même épaules voûtées par la tâche journalière partagée. Qui longuement auscultent le langage, se taisent, prennent le vent comme le gibier dans la clairière, jusqu'à ce qu'enfin l'un tente un nouvel essai [...] Le mot est éprouvé sur les lèvres, dans l'oreille, dans l'esprit, dans l'enchaînement - rejeté par tous deux. [...] Ainsi, quand ils sont assis face à face au café, ces géants émaciés; les vieux doigts se rencontrent au milieu de la table, signalent par un léger tapotement quand quelque chose semble venir, quelque chose de commun dans le langage qui sans cesse se dérobe. Des heures durant ils méditent sur le mot commun. Quel halo, quelle connotation, quelle mélodie primordiale, quel appel expiré le mot frôle-t-il ?
Ce n'est pas à elle qu'il parle, pas plus qu'elle ne parle à lui. Ils parlent pour trouver ce qui manque, peu de choses certes, insatisfaits qu'ils sont de tout mot trop vite adopté. Il faut très longtemps pour que se dégage la solution commune, il s'agit de traduction. [...] Et tandis que l'homme peut-être persiste dans un état de mutisme très profond, animal, la femme sent souffler un vent de voix, de sorte que le mot s'envole de ses lèvres, sans effort, sans qu'elle le veuille [...] Commence un réarrangement expérimental. Mais ce mot, produit d'une quantité d'autres déjà écartés, ne sonne pas juste non plus, bien qu'il brasille un peu comme le feu de position du bac sur le fleuve nocturne. Il ne parvient pas à se dépasser... Néanmoins ce qui est arrivé nécessite une interprétation et c'est cette nécessité qui a fait les deux vieillards si grands et si maigres, comme si l'intraduisible minait l'homme, comme si cette résistance l'étirait en longueur. Ils s'élèvent déjà si haut qu'ils voient par la fenêtre du premier étage les familles attablées pour le repas du soir - s'il leur arrive de lever le triangle effilé de leurs visages, au lieu de la tenir obstinément baissé sur la pointe de leurs pieds."

Il me reste à remercier les membres du jury, monsieur le professeur Lenschen qui se bat pour que vive ce prix, et vous tous, ici présents, pour votre bienveillante attention.

Colette Kowalski

Sixième remise du Prix lémanique de la traduction littéraire 2000. Colette Kowalski et Yla M. von Dach.
Ed. Walter Lenschen, série: Prix, 2001, 104 p.

 

En 2002, la revue Feuxcroisés n°4 consacrait un dossier à Colette Kowalski. Nous vous en proposons ici des extraits.

Traduire, comme d'autres jouent aux billes…

Entretien avec Colette Kowalsk

Au cours d'un atelier organisé l'an dernier à bord du Bateau inter-lignes, journée que la Collection ch organise chaque année sur l'eau en l'honneur des passeurs que sont les traducteurs, il fut donné lecture d'un travail en cours sur le roman de Peter Weber, Der Wettermacher: un texte jugé proprement intraduisible en vertu de ses néologismes, ses jeux de mots, des emplois qu'il fait du dialecte et de son rythme très particulier. Le kamikaze de la traduction se révéla être la Lyonnaise Colette Kowalski. On cita alors une trouvaille de la téméraire: là où le romancier alémanique voyait des "Wesen und Aber-wesen", elle avait imaginé des "êtres et des peut-être". Rendre à la fois aussi rapidement l'ambiguïté et l'étrangeté de l'énoncé, c'était une belle intuition. Colette Kowalski a donné de nombreuses preuves de son audace stylistique en se confrontant à des écritures complexes. Si elle l'a exercée sur de nombreux auteurs de Suisse allemande, elle ne voit pas chez eux d'écueils particuliers. La dif?culté est partout et parfois dans les textes simples.
Après avoir longtemps exercé le métier d'enseignante, Colette Kowalski a pratiqué à Lyon un métier qui est aussi une passion. Elle effectue de longs séjours en Allemagne pour entretenir un rapport vivant à la langue. En raison d'un agenda compliqué, la rencontre a donc été virtuelle, sur une aire de ces "autoroutes" de la communication, par les sentiers du e-mail.

- Colette Kowalski, comment êtes-vous venue à la traduction?

- J'ai commencé à traduire "of?ciellement" assez tard, en ce sens seulement je suis encore une jeune traductrice. Si je précise "of?ciellement", c'est que j'ai, depuis l'adolescence, beaucoup traduit, comme d'autres jouent aux billes, par plaisir, mais aussi dans l'espoir d'apprendre les langues, en particulier l'allemand dont j'avais besoin pour faire une licence (ancien style) de lettres modernes.
J'ai donc étudié à Lyon et à Paris. Dans le même temps, je suivais les cours du Conservatoire d'art dramatique de Lyon, car le théâtre me paraissait la chose la plus intéressante du monde. Finalement j'ai enseigné le français et l'allemand au collège et au lycée et, après la mort de mon mari, le poète Roger Kowalski, j'ai dirigé pendant quinze ans une galerie d'art à Lyon, la galerie K, activité point vraiment lucrative, mais très enrichissante par les amitiés nouées avec les artistes.

- Quels sont vos liens avec la langue allemande?

- Mes premiers contacts avec l'allemand ont été les opéras de Wagner et les lieder de Schubert. Je n'avais pu apprendre l'allemand à l'école, car, dans les années d'après-guerre, c'était une langue peu proposée. C'est donc par la musique que j'ai connu mes premiers mots d'allemand. On peut faire pire! Cependant, reconnaissons-le, le vocabulaire ainsi acquis ne se révèle pas d'une grande utilité dans la vie courante. Il est dif?cile de placer un Lindwurm dans la conversation. Il m'a fallu faire de nombreux séjours en Allemagne, en général avec le Goethe-Institut, pour acquérir un peu de pratique. Et depuis vingt ans, je passe beaucoup de temps en Allemagne, surtout depuis que je n'enseigne plus.

- Et comment avez-vous donc fait le pas de la traduction?

- Si je suis devenue traductrice, je le dois à Bernard Lortholary que j'ai rencontré à Paris, alors que je venais de traduire la thèse de Hartmut Köhler, sur les Cahiers de Paul Valéry. Dans la conversation il m'a proposé un essai (il était alors directeur de collection chez Flammarion), ce fut Doris Dörrie, Liebe, Schmerz und das ganze verdammte Zeug (Amour, délire et morgue). Devenu éditeur chez Gallimard, il m'a par la suite régulièrement con?é des livres et je lui dois beaucoup.

- Peter Weber, Iso Camartin, Peter Utz..., comment se fait-il que vous traduisiez autant d'auteurs suisses?

- Mes relations avec la Suisse, et en particulier avec les éditions Zoé, ont commencé peu après. Le deus ex machina fut, dans ce cas, Iso Camartin que j'avais connu à Lyon et qui me demanda de traduire son livre, Nichts als Wörter? (Rien que des mots?) qui parut chez Zoé. Par la suite, j'ai encore traduit, toujours chez Zoé, deux livres d'Iso Camartin et d'autres auteurs suisses. La dernière parution est le très beau livre de Peter Utz sur Robert Walser. Beaucoup de bonnes choses me sont venues de Suisse: la connaissance de Marlyse Pietri et les rapports de con?ance que nous entretenons, une bourse de Pro Helvetia, deux fois le prix Lipp (qui ne concerne qu'accessoirement le traducteur), le Prix lémanique de traduction l'année dernière, et de temps en temps des travaux pour la revue Passages de Pro Helvetia ou, ce qui me plaît tout particulièrement, pour le musée de Genève, par exemple pour le catalogue Cuno Amiet ou dernièrement pour celui de l'exposition "Un siècle de dé?s".

- La traduction d'auteurs alémaniques pose-t-elle des problèmes particuliers?

- Je ne pense pas qu'un écrivain suisse pose au traducteur des problèmes spéci?ques. Il me semble que la discussion autour des "différences" langagières est une sorte de serpent de mer que l'on ressort de temps en temps pour meubler les réunions entre traducteurs. Cela vaut aussi pour le français "fédéral", qui, à d'in?mes et savoureuses nuances près, ne se distingue en rien de ce qu'on écrit dans le pays voisin. Bien sûr Ramuz n'écrit pas comme Giono, mais c'est affaire de personnalité littéraire, non de langue.[…]

[…]

- Qu'aimez-vous dans ce travail?

- Si j'aime tellement traduire, c'est sans aucun doute qu'il s'agit là d'un art d'interprétation. Le traducteur n'est pas un créateur (beaucoup de grands traducteurs ont été ou sont aussi des écrivains, l'un n'empêche pas l'autre, parfois même l'un ?nance l'autre! mais je suis sûre qu'ils ont parfaitement conscience d'agir à deux niveaux différents), il avance à l'ombre de son auteur, sa responsabilité est limitée, celle du créateur est entière.

[…]

- Y a-t-il des aspects pénibles dans cette profession?

- Non, sauf quand on a ?ni un livre et qu'il n'y en a pas d'autre en vue. Sauf quand on rêve de traduire quelque chose et que l'on s'aperçoit que c'est déjà fait. Sauf quand on voudrait faire accepter un texte qui vous est cher et que l'on se heurte à des refus. Sauf quand on souhaiterait se voir proposer quelque chose que l'on n'a jamais fait (dans mon cas du théâtre), et que cela n'arrive jamais. Sinon le travail lui-même n'est pas pénible. Désespérant, oui, parfois, dans la phase de déchiffrage ou de défrichage, mais cela ne dure que le temps du premier contact. Une fois que l'on dispose d'une première version, même très imparfaite, d'autres mécanismes se mettent en marche, l'idiome natal reprend le dessus, et rien n'est plus passionnant que de sentir le texte prendre forme.

Propos recueillis par Isabelle Rüf

 

Colette Kowalski

Colette Kowalski s'est lancée sans hésiter, avec un savoir-faire lumineux, dans les traductions les plus difficiles que je lui ai proposées : le livre de Peter Utz sur Robert Walser (Danser dans les marges), un essai de 500 pages bourré de citations de Walser ; le roman de Peter Weber (Le Faiseur de temps), l'exemple même d'une fiction qui passe pour un défi à la traduction ; et dernièrement, le gros volume de Peter von Matt (Sang d'encre. Voyage dans la Suisse littéraire et politique), un ensemble de portraits savamment reliés entre eux aux fins de prouver que les Suisses écrivent une littérature plus proche de la politique de leur époque qu'on ne se l'imagine d'ordinaire. Colette Kowalski, française, a été un passeur de la littérature alémanique pour les lecteurs francophones, avec maestria. Il faut encore citer Eveline Hasler, Hanna Johansen et Iso Camartin dont elle a traduit trois livres.

Elle a aimé et su jouer avec les mots en prenant les risques du créateur. La soirée de lecture à deux voix, celle de Peter Weber en allemand, la sienne en français, dans une librairie lausannoise en 1999, a été un moment intense, rythmé et joyeux de la lecture publique en Suisse romande. Cette voix s'est tue, nous ne l'entendrons qu'en lisant ses pages, avec une immense tristesse.

Marlyse Pietri

 

Oeuvres traduites par Colette Kowalski

Hartmut Köhler Paul Valéry - Klincksieck 1985
Doris Dörrie Amour, délire et morgue - Flammarion 1989
Iso Camartin Rien que des mots - Zoé 1989
Marion Dönhoff Une enfance en Prusse orientale - Albin Michel 1990
Albert Drach Voyage non sentimental - Plon 1990
Gabriel Loidolt Le phare - Gallimard 1991
Hanna Johansen Retour à Oraïbi - Zoé 1991
Joseph von Westphalen Dans la carrière - Gallimard 1993
Eveline Hasler Le géant dans l'arbre - Zoé 1992
Eveline Hasler La femme aux ailes de cire - Zoé 1993
Norbert Gstrein Le registre - Gallimard 1994
Beate Brüggemann Le village allemand - Presses universitaires du Mirail 1994
Markus Werner A bientôt - Gallimard 1994
Dieter Bachmann Rab - Zoé 1995
Botho Strauss L'incommencement - Gallimard 1995
Iso Camartin Sils-Maria - Zoé 1996
Pham Thi Hoai Menu de dimanche - Actes Sud 1997
Emine Sevgi Özdamar La vie est un caravansérail - Zoé 1997
Botho Strauss Pénombre, demeure, mensonge - Gallimard 1997
Elfried Kern Etude pour Adèle et un chien - Gallimard 1998
Peter Weber Le faiseur de temps - Zoé 1998
Botho Strauss Les Erreurs du copiste - Gallimard 1999
Katrin Seebacher Matin ou soir - Gallimard 1999
Iso Camartin Le principe de voisinage - Zoé 1999
Peter Utz Robert Walser - Zoé 2001
Sven Regener Herr Lehmann, Paris, Le Seuil, 2004.
Thomas Hürlimann Mademoiselle Stark, Paris, Le Seuil, 2004
Marica Bodrozic Tito est mort, Paris, Editions de l'Olivier, 2004.
Peter von Matt Sang d'encre. Voyage dans la Suisse littéraire et politique, Zoé, 2006.