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Lettre frontière 2005

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  Lettres frontière

En septembre 2004, à l'occasion du dixième anniversaire de Lettres frontière, cette association excellente et constructive était notre invitée du mois. Lettres frontière a pour but d'initier et développer des échanges littéraires entre les régions de Rhône-Alpes et de la Suisse Romande, ce qu'elle fait à travers une sélection annuelle de livres et un prix. Cette sélection correspond à une année de lectures croisées, réalisées par deux jurys de bibliothécaires, libraires et enseignants français et suisses.
Fin 2005, Lettres-frontière a désigné son onzième lauréat, le Français Pascal Morin, pour son roman L'Eau du bain. Nous saisissons l'occasion pour présenter non seulement le roman primé, mais aussi un livre de la Genevoise Gisèle Fournier, présente dans la sélection Lettres Frontière, que le Culturactif n'avait pas encore présentée dans ses pages, ignorant que cette auteure du Mercure de France vivait en Suisse.

Les Journées Lettres frontière permettent en outre au public de rencontrer les auteurs des dix textes sélectionnés et de participer à des débats. L'édition 2005 se proposait d'interroger les points communs et les divergences entre "l'usage des mots" en Suisse et en France. dans ce contexte, Le traducteur André Markowicz, qui a beaucoup fait parler de lui à travers ses traductions récentes de Dostoïevski, proposait une intervention intitulée "Traduire, retraduire...traduire", autour de ses traductions de Pouchkine. Nous sommes heureux de vous donner à écouter sa contribution, en vous priant d'excuser la faible qualité technique du fichier son, largement compensée par la qualité de l'orateur et du propos.

 

  Gisèle Fournier / Perturbations


Perturbations
Editions Mercure de France

Un soir d'hiver, une femme seule, Louise, arrive dans un village de montagne pour y louer une maison isolée. Quelques mois plus tard elle disparaît mystérieusement. Les esprits s'échauffent et chacun interprète l'évènement. Peu à peu les habitants du village se dévoilent, l'ordre qui semblait établi jusqu'ici se dissout.

Economiste de formation, Gisèle Fournier a travaillé à Paris de nombreuses années en tant qu'analyste financière. Etablie à Genève à la fin des années 90, elle publie son premier roman en 1998. Elle se consacre désormais à l'écriture.


Entretien avec Gisèle Fournier

Gisèle Fournier, vous avez publié L'Ordre secret des choses en 1998, Non-dits en 2000, Mentir vrai en 2003 et Perturbations en 2004. Si je lis correctement la liste des titres de vos ouvrages, je me rends compte que tout tourne autour de la notion du caché-dévoilé ! Le texte tente toujours d'approcher d'une vérité qui constamment se dérobe. Qu’est-ce qui vous fascine dans ces tentatives ?

Oui, il est vrai que les titres de mes ouvrages tournent autour de la notion du " caché/dévoilé ". C'est un des thèmes qui traverse tous mes livres jusque-là, que ce soit L'ordre secret des choses, où des faits, qui auraient dû rester enfouis, sont portés à la connaissance de certains êtres, de Non-dits, où le personnage principal tente de mettre à jour les maillons manquants de sa propre histoire, de Mentir vrai, où, là aussi, la narratrice tente de savoir ce qui s'est passé lorsqu'elle était petite, et, enfin, de Perturbations, où il s'agit de tout un village qui essaie de comprendre ce qui est arrivé à l'une de ses habitantes.

Ce qui m'intéresse, dans ce travail, c'est de mettre au jour la part d'ombre que l'on porte tous en soi. Choses que l'on ignore, ou bien que l'on refoule, ou encore qui se modifient au fil du temps : comment être vraiment sûr de nos souvenirs ? Est-ce qu'ils ne sont pas flottants sous l'impact d'une mémoire elle-même fluctuante ? Effectivement, la " vérité " se dérobe. Que ce soit entre chacun des personnages, qui tous, ont une perception différente des événements, que ce soit dans leurs réflexions, ou dans ce qu'ils tentent de reconstituer : qu'ont-ils vu, de quoi se souviennent-ils au juste ? Sans compter les " arrangements " que chacun se permet pour occulter une partie de ses actes.

Dans votre texte, vous usez d'un vocabulaire extrêmement rigoureux. Tout se passe comme si la plus grande précision dans les descriptions de détail empêchait, par un effet de perspective, la compréhension de l'ensemble. Quel est le rapport qui existe entre cette précision du détail et le flou qui caractérise le destin général des personnages. J’y vois comme une tension constitutive de la structure de votre ouvrage. Ou encore, est-ce que ces personnages rivés sur le détail de leur existence et incapables de regarder au loin sont la métaphore de nos vies ? Ne construisez-vous pas votre récit sur l’opposition entre la précision des mots et l’incertitude des faits?

L'écriture, me semble-t-il, donne à voir une représentation du monde, celle de l'auteur. C'est pourquoi il me paraît important de faire un véritable travail de recherche afin de trouver le mot juste, que ce soit pour parler du cri des oiseaux, du bruissement des insectes ou des arbres, des couleurs, de la lumière, des odeurs... Cette recherche permet d'éviter les répétitions ou, au contraire, de les faire sciemment si l'on veut montrer le ressassement de la pensée, son développement non linéaire.

Ecrire, c'est aussi le plaisir de travailler le rythme de la phrase, à travers les mots, bien sûr, mais aussi la ponctuation, afin de faire ressentir au lecteur les émotions des personnages, leurs sentiments, le milieu dans lequel ils évoluent. D'où cette accumulation de détails à laquelle vous faites référence, car c'est elle qui traduit l'atmosphère d'une scène, d'un personnage.

Aussi, opposition entre précision du détail et incertitude des faits, oui, car, souvent, ce sont les détails qui restent dans notre mémoire alors que les faits sont justement remaniés par celle-ci dans le cadre de la reconstruction de situations vécues et d'une " vérité " qui apparaît le plus souvent multiforme.

Votre texte fonctionne sur le principe de la discontinuité, de la fragmentation, de la polyphonie des voix. En quoi cette fragmentation constitue-t-elle une des caractéristiques de l’écriture de votre roman ?

Cette fragmentation et cette polyphonie permet de passer d'un personnage à l'autre et de tisser un fil qui traverse tout le livre. C'est la fin du monologue d'un personnage qui introduit le monologue du personnage suivant et ainsi de suite : tous sont obsédés par la même idée, la même énigme, tous reprennent sans cesse les hypothèses, les jaugent encore et encore, les transforment, les réfutent au gré de la rumeur qui enfle dans le village, des comportements de chacun... Cette forme est nouvelle par rapport à Non-dits où chaque personnage intervient tour à tour en reprenant son récit là où il l'a laissé, de même que par rapport à Mentir vrai où il n'y a qu'une seule narratrice qui tente de comprendre ce qui lui est arrivé autrefois. Le dernier livre, Chantier, sorti début janvier, est structuré différemment encore car il s'agit de personnages qui vivent un événement commun mais qui ne se connaissent pas et ne se rencontrent jamais.

J'adhère tout à fait à l'opinion de Nathalie Sarraute qui disait que le fond commande la forme, que l'un ne peut être bâti indépendamment de l'autre. C'est certainement cela la grande chance de la littérature : si l'auteur ne peut pas tout dire, en revanche il peut tout tester, et presque tout inventer. Et laisser la place à l'imaginaire du lecteur.

Propos recueillis par Jean-Pierre Michellod

 

Revue de presse

Hautes solitudes

D'attente et de désillusion, de pauvres espoirs et de désarrois tenaces, de visages entrevus et enfuis sont tissées certaines vies. Gisèle Fournier en fait un récit à la française : sans la dimension plurielle (qui peut n'être que boursouflure) du roman, mais avec l'élégance d'une construction plus légère qui instille, peu à peu, la grâce magique d'une révélation. Comme dans Mentir vrai que rappelle ici l'épigraphe de Pinget : "Jamais personne ne pourra dire que je n'ai pas dit la vérité", elle veut atteindre, à pas mesurés, le secret de vies minuscules, hésitantes, entre la tentation du retrait définitif et celle du saccage. Une femme inconnue, différente, apparaît et s'installe, au coeur de l'hiver, sur les hauteurs d'un causse enneigée, "à l'écart de tout, où seuls demeuraient ceux qui ne pouvaient aller ailleurs ou qui, pour une raison peut-être ignorée d'eux-mêmes, restaient attachés à ce pays". Autour d'elle quelques hommes s'agitent, quelques femmes peut-être la jalousent, la rumeur court et dissimule, plus qu'elle ne les révèle, les non-dits. Puis elle disparaît dans la lumière et la touffeur de l'été : est-elle repartie sans prévenir ? A-t-elle été victime d'un accident, d'un crime ? En vérité le mystère naît ici de l'absence de tout mystère et, surtout, de ce que les hommes s'effacent derrière la force éclatante de la nature. Nommés avec précision et décrits avec une attention presque pieuse, cette sorte de ferveur païenne et pourtant retenue que l'on trouve chez Giono, la terre, les arbres, les fleurs, les insectes et même les pierres vibrent d'une vie propre, plus pleine que celle des humains, en proie au doute et à l'appel trahi ou vain du désir.

Thierry Cecille
Le Matricule des anges
09.2004

Gisèle Fournier, "Perturbations" d'une inconnue

L'ancienne analyste financière signe un superbe roman. Sylvie Tanette l'a rencontrée.
C'est une ancienne analyste financière devenue écrivaine, une Parisienne devenue Genevoise. Le parcours étonne, le parcours détone. Depuis 1998, dans la ville du bout du lac, elle écrit. Avec bonheur, puisque qu'il lui a suffi de deux romans, Non-dits et Mentir vrai, pour imposer une écriture fervente et juste, maîtrisée et solaire, au service des secrets de famille et autres malentendus de la vie.

Dans Perturbations, Gisèle Fournier, la jeune cinquantaine, continue de creuser ce sillon qui lui est cher : qu'est-ce que la réalité ? Jusqu'à quel point peut-on être sûr de ce qu'on a vécu? [...] Les monologues se croisent dans une construction impeccable, rigoureuse et subtile, aucun villageois ne conserve les mêmes souvenirs des mêmes événements et plus le lecteur pense s'approcher d'une explication puis il s'en éloigne.

Gisèle Fournier est fascinée par ce thème de la disparition. Son étrange personnage féminin, dont on ne saura jamais le nom, a été créé à partir de là [...].

Le nez dans les comptes
Intrigant : l'oeuvre de Gisèle Fournier construit est essentiellement basée sur la reconstitution, la recherche de ce que recouvre le langage. Elle évoque ses influences, le nouveau roman surtout. Alain Robbe-Grillet, Robert Pinget ou Claude Simon "J'aime leur façon de faire émerger les événements, de ne pas s'étendre sur le passé des personnages." Mais l'explication est peut-être à chercher dans son ancien métier d'analyste financier, qu'elle a exercé durant dix-huit ans. "Il fallait, à partir des comptes d'une entreprise, dévoiler sa stratégie. Voir ce qu'il y avait derrière les chiffres, les décortiquer, reconstituer la réalité à partir d'eux. SI vous les regardez comme ça, les comptes ne vous disent rien. Et vous pouvez les analyser d'une vingtaine de façons différentes. Une entreprise peut avoir des résultats faussés par un défaut d'estimation. C'est pour cela qu'un analyste financier doit triturer les chiffres dans tous les sens, selon différents critères qu'il croise entre eux. Cet aspect d'enquête m'a toujours passionnée."

Multiplication d'hommes
Comme les précédents romans de Gisèle Fournier, Perturbations, est également et surtout le lieu où se croisent d'inoubliables personnages féminins. La disparue d'abord, mystérieuse, puisque le lecteur n'en connaît que ce qu'en disent les villageois, mais qu'on devine forte et indépendante. Et puis il y a Constance, jeune femme tout entière dévouée et soumise à un mari qui la méprise. Toute seule, elle va trouver le courage de partir, exactement comme l'héroïne de Mentir vrai. On fait remarquer à Gisèle Fournier qu'en littérature les femmes qui sont capables de quitter un mari sans aucune aide extérieure sont rares. Ce que l'ancienne militante féministe concède en soulignant au passage que le milieu littéraire français est encombré d'hommes !

Sylvie Tanette
L'Hebdo
11.2004

Gisèle Fournier crée ses "Perturbations"

[...]Le destin (en latin fatum), constitue le véritable fil rouge de Perturbations, roman traversé par des ondes sismiques légères, sourdes.

On sent aussi chez le Genevoise une manière à elle de tordre la phrase pour y chercher le mot juste, de travailler chaque tournure dans ses moindre détails et de juxtaposer les temps pour créer des contrastes, voire des raccourcis saisissants. Perturbations se lit d'une traite, avec néanmoins une attention pointilleuse. Chaque détail compte. L'écrivain pose un mystère, puis tente d'y répondre par le biais de l'écriture. Perturbations multiplie ainsi les interrogations. Elles sont d'ordre narratif d'abord, littéraire ensuite. A chacun d'y apporter - ou d'y découvrir - sa solution.

Pascal Gavillet
Tribune de Genève
20.09.2004

[...]
Gisèle Fournier accorde beaucoup d'attention au décor, dont elle nomme avec précision, mais sans préciosité, les éléments (végétation, objet) dans un polar rural raffiné sans cadavre, où l'héroïne brille par son absence.

Elisabeth Vust
24 heures
31.08.2004

 

  Pascal Morin / L'eau du bain


L'eau du bain
Editions du Rouergue La brune - 2004

Dans la chaleur du Sud, autour d'une piscine nouvellement creusée, se retrouvent les hommes du clan. Tous paysans, voués au labeur, à la sueur, à la dissimilation. Tous sauf un : le fils, parti à la ville, qui revient durant des vacances s'alanguir et s'adonner aux plaisirs du bronzage et de la baignade. Et des meurtres en famille, pourquoi pas ?

Né en 1969 à Nyons (Drôme), Pascal Morin est professeur de Lettres en lycée et de cinéma à la New York University à Paris. L'eau du bain est son premier roman.

Revue de presse

Premier roman, premier prix

[...] Une écriture très maîtrisée, qui mêle avec adresse l'aspect dramatique du récit et le ton désinvolte de la narration.

24 heures
20.11.2005

[...]
Premier roman éblouissant, dans tous les sens du terme, L'Eau du bain frappe par l'étrangeté de son atmosphère, trouble, jusqu'au plus intime, par son singulier alliage de brutalité et de sensualité. L'écriture, limpide comme l'eau de la piscine, coule, à l'instar du récit, débarrassé de toute psychologie, Et le lecteur se laisse prendre, inexorablement, au charme vénéneux de cette singulière histoire. Devinant, sous la clarté aveuglante de la surface, la menace funèbre de profondeurs insondables.
[...]

Michel Abescat
Télérama
15.09.2004

[...]
Incisif, ce roman cruel a la légèreté des fables, la fraîcheur profonde des puits d'ombre et la décapante élégance des morales qui ignorent la culpabilité. Comme la reconquête d'un Eden trop nécessaire pour n'être pas innocent.

Ph.-J.C.
le Monde
20.08.2004

Le narrateur est le seul élément citadin d'une famille où, à l'exception d'une petite fille, il ne reste que des hommes. Son plaisir de prédilection : se baigner dans la piscine fraîchement construite en lieu et place du jardin du grand-père. Fil directeur du récit, le rectangle d'eau est synonyme de jouissance et de délivrance pour certains, mais il est maudit pour d'autres à qui il sera fatal. Dans un style sobre, tout en violence feutrée, Pascal Morin nous livre un premier roman sur le conflit générationnel, qui n'aurait d'autre issue que la mise à mort et la table rase de l'oubli radical.

T.R.
Le Nouvel Observateur
15.09.2004

Une famille rurale, l'été, à l'heure des grandes chaleurs, trois générations d'hommes, et trois frères dont l'un, le citadin, est de retour pour les vacances. La piscine nouvellement creusée à la place du potager est l'enjeu de ce premier roman nonchalant et narquois. Rien de tel pour noyer les drames qu'on vient d'attiser.

Libération
09.09.2004

Quand la rentrée littéraire est trop riche, il faut faire des choix, parfois absurdes. Là, c'est le titre, L'eau du bain, qui attire l'attention. L'auteur, 35 ans est professeur de lettres. On premier roman commencé de manière assez classique : un trentenaire citadin revient pour les vacances dans son village natal dans une famille de cultivateurs. Et puis, subitement, page 30, l'intrigue éclate : "Au bord de la piscine, sur un fauteuil, le grand père se repose. [...] Je m'approche, je lui dis bonjour et je le jette dans l'eau." Le grand père ne sait pas nager. Débute un jeu de massacre, où le héros et ses frères entreprennent de nettoyer leur arbre généalogique comme on dépoussière un grenier. Le narrateur est étranger à la douleur dans autres et au regret. Le style est limpide et les sentiments maîtrisés, sans pathos inutile. Une très bonne surprise.

A.D.
Glamour
09.2004

Pascal Morin, jeune homme de 35 ans, signe là un premier roman, L'eau du bain. Une famille, une piscine et cette chaleur qui peut faire perdre pied.

Ce premier roman est écrit à la première personne, car "pour raconter quelque chose, il faut embarquer le lecteur dans la folie du personnage. Etre dans la subjectivité du narrateur, c'est ce qui m'intéressait". Il décrit plus qu'il ne dit. [...]

Dans cet univers exclusivement masculin, seule la voix d'une petite fille résonne, annonçant le malheur. Et le malheur arrive. Sans cri, sans peur, sans bruit, sans heurt. "Je voulais écrire sur la famille, sur la filiation côté masculin" [...]

Ouest France
08.04.2005

 

  A écouter


André Markowicz
"Traduire, retraduire...traduire"

Ecouter le fichier son (MP3)

 

Page créée le 10.01.06
Dernière mise à jour le 13.01.06

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