Perturbations
Editions Mercure de France
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Un soir d'hiver, une
femme seule, Louise, arrive dans un village
de montagne pour y louer une maison isolée.
Quelques mois plus tard elle disparaît
mystérieusement. Les esprits s'échauffent
et chacun interprète l'évènement.
Peu à peu les habitants du village se
dévoilent, l'ordre qui semblait établi
jusqu'ici se dissout.
Economiste
de formation,
Gisèle Fournier a travaillé
à Paris de nombreuses années
en tant qu'analyste financière. Etablie
à Genève à la fin des
années 90, elle publie son premier
roman en 1998. Elle se consacre désormais
à l'écriture. |
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Entretien avec Gisèle Fournier
Gisèle Fournier, vous avez
publié L'Ordre secret des choses en 1998,
Non-dits en 2000, Mentir vrai en 2003 et Perturbations
en 2004. Si je lis correctement la liste des titres de vos
ouvrages, je me rends compte que tout tourne autour de la
notion du caché-dévoilé ! Le texte
tente toujours d'approcher d'une vérité qui
constamment se dérobe. Quest-ce qui vous fascine
dans ces tentatives ?
Oui, il est vrai que les titres de
mes ouvrages tournent autour de la notion du " caché/dévoilé
". C'est un des thèmes qui traverse tous mes
livres jusque-là, que ce soit L'ordre secret des
choses, où des faits, qui auraient dû rester
enfouis, sont portés à la connaissance de
certains êtres, de Non-dits, où le personnage
principal tente de mettre à jour les maillons manquants
de sa propre histoire, de Mentir vrai, où,
là aussi, la narratrice tente de savoir ce qui s'est
passé lorsqu'elle était petite, et, enfin,
de Perturbations, où il s'agit de tout un
village qui essaie de comprendre ce qui est arrivé
à l'une de ses habitantes.
Ce qui m'intéresse, dans ce
travail, c'est de mettre au jour la part d'ombre que l'on
porte tous en soi. Choses que l'on ignore, ou bien que l'on
refoule, ou encore qui se modifient au fil du temps : comment
être vraiment sûr de nos souvenirs ? Est-ce
qu'ils ne sont pas flottants sous l'impact d'une mémoire
elle-même fluctuante ? Effectivement, la " vérité
" se dérobe. Que ce soit entre chacun des personnages,
qui tous, ont une perception différente des événements,
que ce soit dans leurs réflexions, ou dans ce qu'ils
tentent de reconstituer : qu'ont-ils vu, de quoi se souviennent-ils
au juste ? Sans compter les " arrangements " que
chacun se permet pour occulter une partie de ses actes.
Dans votre texte, vous usez d'un
vocabulaire extrêmement rigoureux. Tout se passe comme
si la plus grande précision dans les descriptions
de détail empêchait, par un effet de perspective,
la compréhension de l'ensemble. Quel est le rapport
qui existe entre cette précision du détail
et le flou qui caractérise le destin général
des personnages. Jy vois comme une tension constitutive
de la structure de votre ouvrage. Ou encore, est-ce que
ces personnages rivés sur le détail de leur
existence et incapables de regarder au loin sont la métaphore
de nos vies ? Ne construisez-vous pas votre récit
sur lopposition entre la précision des mots
et lincertitude des faits?
L'écriture, me semble-t-il,
donne à voir une représentation du monde,
celle de l'auteur. C'est pourquoi il me paraît important
de faire un véritable travail de recherche afin de
trouver le mot juste, que ce soit pour parler du cri des
oiseaux, du bruissement des insectes ou des arbres, des
couleurs, de la lumière, des odeurs... Cette recherche
permet d'éviter les répétitions ou,
au contraire, de les faire sciemment si l'on veut montrer
le ressassement de la pensée, son développement
non linéaire.
Ecrire, c'est aussi le plaisir de
travailler le rythme de la phrase, à travers les
mots, bien sûr, mais aussi la ponctuation, afin de
faire ressentir au lecteur les émotions des personnages,
leurs sentiments, le milieu dans lequel ils évoluent.
D'où cette accumulation de détails à
laquelle vous faites référence, car c'est
elle qui traduit l'atmosphère d'une scène,
d'un personnage.
Aussi, opposition entre précision
du détail et incertitude des faits, oui, car, souvent,
ce sont les détails qui restent dans notre mémoire
alors que les faits sont justement remaniés par celle-ci
dans le cadre de la reconstruction de situations vécues
et d'une " vérité " qui apparaît
le plus souvent multiforme.
Votre texte fonctionne sur le
principe de la discontinuité, de la fragmentation,
de la polyphonie des voix. En quoi cette fragmentation constitue-t-elle
une des caractéristiques de lécriture
de votre roman ?
Cette fragmentation et cette polyphonie
permet de passer d'un personnage à l'autre et de
tisser un fil qui traverse tout le livre. C'est la fin du
monologue d'un personnage qui introduit le monologue du
personnage suivant et ainsi de suite : tous sont obsédés
par la même idée, la même énigme,
tous reprennent sans cesse les hypothèses, les jaugent
encore et encore, les transforment, les réfutent
au gré de la rumeur qui enfle dans le village, des
comportements de chacun... Cette forme est nouvelle par
rapport à Non-dits où chaque personnage
intervient tour à tour en reprenant son récit
là où il l'a laissé, de même
que par rapport à Mentir vrai où il
n'y a qu'une seule narratrice qui tente de comprendre ce
qui lui est arrivé autrefois. Le dernier livre, Chantier,
sorti début janvier, est structuré différemment
encore car il s'agit de personnages qui vivent un événement
commun mais qui ne se connaissent pas et ne se rencontrent
jamais.
J'adhère tout à fait
à l'opinion de Nathalie Sarraute qui disait que le
fond commande la forme, que l'un ne peut être bâti
indépendamment de l'autre. C'est certainement cela
la grande chance de la littérature : si l'auteur
ne peut pas tout dire, en revanche il peut tout tester,
et presque tout inventer. Et laisser la place à l'imaginaire
du lecteur.
Propos recueillis par Jean-Pierre Michellod
Revue
de presse
Hautes
solitudes
D'attente et de désillusion,
de pauvres espoirs et de désarrois tenaces, de visages
entrevus et enfuis sont tissées certaines vies. Gisèle
Fournier en fait un récit à la française
: sans la dimension plurielle (qui peut n'être que
boursouflure) du roman, mais avec l'élégance
d'une construction plus légère qui instille,
peu à peu, la grâce magique d'une révélation.
Comme dans Mentir vrai que rappelle ici l'épigraphe
de Pinget : "Jamais personne ne pourra dire que je
n'ai pas dit la vérité", elle veut atteindre,
à pas mesurés, le secret de vies minuscules,
hésitantes, entre la tentation du retrait définitif
et celle du saccage. Une femme inconnue, différente,
apparaît et s'installe, au coeur de l'hiver, sur les
hauteurs d'un causse enneigée, "à l'écart
de tout, où seuls demeuraient ceux qui ne pouvaient
aller ailleurs ou qui, pour une raison peut-être ignorée
d'eux-mêmes, restaient attachés à ce
pays". Autour d'elle quelques hommes s'agitent, quelques
femmes peut-être la jalousent, la rumeur court et
dissimule, plus qu'elle ne les révèle, les
non-dits. Puis elle disparaît dans la lumière
et la touffeur de l'été : est-elle repartie
sans prévenir ? A-t-elle été victime
d'un accident, d'un crime ? En vérité le mystère
naît ici de l'absence de tout mystère et, surtout,
de ce que les hommes s'effacent derrière la force
éclatante de la nature. Nommés avec précision
et décrits avec une attention presque pieuse, cette
sorte de ferveur païenne et pourtant retenue que l'on
trouve chez Giono, la terre, les arbres, les fleurs, les
insectes et même les pierres vibrent d'une vie propre,
plus pleine que celle des humains, en proie au doute et
à l'appel trahi ou vain du désir.
Thierry Cecille
Le Matricule
des anges
09.2004
Gisèle
Fournier, "Perturbations" d'une inconnue
L'ancienne analyste financière
signe un superbe roman. Sylvie Tanette l'a rencontrée.
C'est une ancienne analyste financière devenue écrivaine,
une Parisienne devenue Genevoise. Le parcours étonne,
le parcours détone. Depuis 1998, dans la ville du
bout du lac, elle écrit. Avec bonheur, puisque qu'il
lui a suffi de deux romans, Non-dits et Mentir vrai, pour
imposer une écriture fervente et juste, maîtrisée
et solaire, au service des secrets de famille et autres
malentendus de la vie.
Dans Perturbations, Gisèle
Fournier, la jeune cinquantaine, continue de creuser ce
sillon qui lui est cher : qu'est-ce que la réalité
? Jusqu'à quel point peut-on être sûr
de ce qu'on a vécu? [...] Les monologues se croisent
dans une construction impeccable, rigoureuse et subtile,
aucun villageois ne conserve les mêmes souvenirs des
mêmes événements et plus le lecteur
pense s'approcher d'une explication puis il s'en éloigne.
Gisèle Fournier est fascinée
par ce thème de la disparition. Son étrange
personnage féminin, dont on ne saura jamais le nom,
a été créé à partir de
là [...].
Le
nez dans les comptes
Intrigant : l'oeuvre de Gisèle Fournier construit
est essentiellement basée sur la reconstitution,
la recherche de ce que recouvre le langage. Elle évoque
ses influences, le nouveau roman surtout. Alain Robbe-Grillet,
Robert Pinget ou Claude Simon "J'aime leur façon
de faire émerger les événements, de
ne pas s'étendre sur le passé des personnages."
Mais l'explication est peut-être à chercher
dans son ancien métier d'analyste financier, qu'elle
a exercé durant dix-huit ans. "Il fallait, à
partir des comptes d'une entreprise, dévoiler sa
stratégie. Voir ce qu'il y avait derrière
les chiffres, les décortiquer, reconstituer la réalité
à partir d'eux. SI vous les regardez comme ça,
les comptes ne vous disent rien. Et vous pouvez les analyser
d'une vingtaine de façons différentes. Une
entreprise peut avoir des résultats faussés
par un défaut d'estimation. C'est pour cela qu'un
analyste financier doit triturer les chiffres dans tous
les sens, selon différents critères qu'il
croise entre eux. Cet aspect d'enquête m'a toujours
passionnée."
Multiplication
d'hommes
Comme les précédents romans de Gisèle
Fournier, Perturbations, est également et surtout
le lieu où se croisent d'inoubliables personnages
féminins. La disparue d'abord, mystérieuse,
puisque le lecteur n'en connaît que ce qu'en disent
les villageois, mais qu'on devine forte et indépendante.
Et puis il y a Constance, jeune femme tout entière
dévouée et soumise à un mari qui la
méprise. Toute seule, elle va trouver le courage
de partir, exactement comme l'héroïne de Mentir
vrai. On fait remarquer à Gisèle Fournier
qu'en littérature les femmes qui sont capables de
quitter un mari sans aucune aide extérieure sont
rares. Ce que l'ancienne militante féministe concède
en soulignant au passage que le milieu littéraire
français est encombré d'hommes !
Sylvie Tanette
11.2004
Gisèle Fournier crée
ses "Perturbations"
[...]Le destin (en latin fatum),
constitue le véritable fil rouge de Perturbations,
roman traversé par des ondes sismiques légères,
sourdes.
On sent aussi chez le Genevoise une
manière à elle de tordre la phrase pour y
chercher le mot juste, de travailler chaque tournure dans
ses moindre détails et de juxtaposer les temps pour
créer des contrastes, voire des raccourcis saisissants.
Perturbations se lit d'une traite, avec néanmoins
une attention pointilleuse. Chaque détail compte.
L'écrivain pose un mystère, puis tente d'y
répondre par le biais de l'écriture. Perturbations
multiplie ainsi les interrogations. Elles sont d'ordre narratif
d'abord, littéraire ensuite. A chacun d'y apporter
- ou d'y découvrir - sa solution.
Pascal Gavillet
20.09.2004
[...]
Gisèle Fournier accorde beaucoup d'attention au décor,
dont elle nomme avec précision, mais sans préciosité,
les éléments (végétation, objet)
dans un polar rural raffiné sans cadavre, où
l'héroïne brille par son absence.
Elisabeth Vust
31.08.2004
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