Georges Piroué
Photo :Louis Monier
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Hommage
à Georges Piroué
Le discret rêveur de la Loire
par Hughes Wülser
La Loire ne verra plus
un rêveur discret contempler son cours
tranquille, comme il le faisait presque quotidiennement,
depuis plus de vingt ans qu'il habitait dans
les environs de Saumur.
Georges Piroué,
enfant du Jura neuchâtelois, lecteur chez
Denoël, romancier, nouvelliste, essayiste
et traducteur, récipiendaire de plusieurs
prix littéraires mais homme tranquille
et secret est allé retrouver les maîtres
qu'il aimait : Pirandello et Sciascia, Bach
et Debussy, Proust et Thomas Mann.
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On peut imaginer pires compagnons
pour cet écrivain, exilé à Paris mais
qui a toujours manifesté un attachement à
ses racines, aux qualités des hommes de sa terre
natale, des artisans amoureux de l'ouvrage bien faite, nourri
de musique et dont l'image du père graveur et homme
austère a sans doute influé sur sa conception
d'un monde assez protestant, aux malheurs fréquents
et aux bonheurs intimes, monde qu'il faut traduire dans
une langue maîtrisée et précise, à
mille lieux de l'écriture "lâchée"
ou "parlée" qu'il n'aimait guère.
Se sentant peu à l'aise dans
le roman, genre qu'il pratiqua parce qu'à son époque
il fallait écrire ce type de production (c'était
aussi la demande des maisons d'éditions pour lesquelles
il travaillait), Piroué a excellé dans les
nouvelles et les textes d'évocation où, en
quelques pages, il racontait des faits et des petits drames
du quotidien et mettait en lumière le travail de
la mémoire, les soubassements d'une humanité
dont il connaissait les limites mais sans manifester d'amertume,
seulement une ironie un peu désabusée qui
se traduit par une petite musique que le lecteur attentif
capte sans vraiment l'identifier clairement.
La Façade et autres miroirs,
Feux et lieux, Madame Double Etoile, oeuvres publiées
chez Denoël, manifestent les hautes qualités
littéraires de Piroué et également
son éloignement des préoccupations sociales
et politiques de son temps, une espèce d'anhistoricité
chez lui qui m'avouait avoir ressenti de la honte à
côtoyer durant des années, au comité
de lecture de Denoël, Jorge Semprun sans se douter
le moins du monde du passé du romancier espagnol,
de son histoire et de son enracinement dans les luttes politiques
de notre temps.
On le comprend, dans ses romans (Le
premier Etage, Ariane ma sanglante, Une si grande faiblesse)
et ses nouvelles, Georges Piroué ne délivre
aucun message, ne défend aucune cause mais traduit
une perception d'une réalité possible, subjective
et affective, réalité qui n'est pas le réel
mais ce que nous pouvons percevoir du monde par la méditation
de notre histoire personnelle et de nos affects.
D'un texte inédit, "A
flanc de montagne", texte dans lequel Piroué
raconte le trajet en train de la Chaux-de-Fonds à
Neuchâtel dans les années trente, je cite la
fin qui narre la sortie du tunnel lorsque l'écrivain
rejoint son lieu de départ: "Sous les toits,
exposés au couchant, les vitres des ateliers semblent
briller des feux d'une émeute à fleur de façade,
comme à Lyon chez le canuts, alors qu'à l'établi
l'horloger d'antan pique la montre ici ou là d'un
dard précautionneux, laissant filer à perte
de vue sa pensée vers l'utopie sociale ou la songerie
religieuse.
Quelquefois dans les soirées
d'été les cloches des vaches retentissent
vaguement jusqu'au coeur de la cité. Tantôt
l'herbe, tantôt la neige est tout autour."
Ainsi un peu hors du temps, "déphasé"
dirait-on aujourd'hui, Piroué contemplait avec un
peu d'effarement et de tristesse les dérives de l'édition
contemporaine où ce n'est plus la qualité
de la production qui compte mais son adéquation avec
le goût fabriqué par le "marketing"
d'un public volatile et versatile. Il s'en accommodait cependant
n'étant pas un homme de combat et de rupture mais
bien plutôt un homme aux idées personnelles
bien ancrées qui ne voulait convaincre personne de
ses propres opinions et qui détestait (là
encore le calvinisme a passé par là) tout
mouvement de parade et toutes les mondanités parisiennes
pour lesquelles il n'avait ni goût ni talent.
Homme du passé d'une certaine
manière il se plongeait probablement avec délices
dans la biographie rêvée du jeune Bach (A
sa seule gloire), dans l'oeuvre de Pirandello (Pirandello
: Sicilien planétaire) et dans l'édition
de ses nouvelles complètes ou dans l'analyse des
relations entre Proust et la musique (Proust et la musique
du devenir), lui qui, chaque après-midi depuis
sa retraite, consacrait une heure ou deux soit à
l'audition soit à la pratique musicale dans sa jolie
maison tourangelle de Dampierre-sur-Loire où il repose
aujourd'hui dans le jardin "du haut".
Peu démonstratif mais fidèle
à ses amitiés, Georges Piroué avait
tout de même été reconnu par ses compatriotes
et les Autorités puisqu'il avait obtenu le premier
Prix de littérature du canton de Neuchâtel
en 1987, ce qui l'incita à se réapproprier
son propre passé (Tu reçus la naissance
et Aujoud'hier), évocations de son histoire
personnelle.
Georges Piroué a légué
sa bibliothèque personnelle et ses archives à
la Bibliothèque de la Ville de la Chaux-de-Fonds
où il se retrouvera en compagnie de certains manuscrits
d'Yves Velan, de Chessex, de Monique Saint-Hélier,
de Gustave Roud ou de Georges Haldas, ce qui, espérons-le,
permettra de défier le silence immérité
qui a entouré sa disparition en janvier passé
et prouvera une fois de plus que la Suisse romande est une
terre fertile pour les auteurs de qualité, fussent-ils
peu médiatiques.
Hughes Wülser
Georges Piroué. Tu reçus
la naissance. Bernard Campiche Editeur, collection "camPoche";
10, 2005, 368 pages
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