Mon enfance est comme une étrangère
en moi. Un lieu clos qui prend de la place dans le présent
mais qui reste inaccessible. A cause de toutes ces questions
ouvertes, ces incertitudes. Si tu pouvais entendre mon histoire,
peut-être qu'il en jaillirait du sens. Mais... ton silence
me renvoie mes souvenirs, ton silence amplifie les béances
et donne une forme définitive au manque. Il y a pourtant
une brèche, une entaille par où suintent lentement
les mots, comme une glu épaisse. C'est difficilement
qu'ils arrivent, comme s'il fallait encore lutter pour les
arracher au silence. C'est aussi à cause de la peur,
car l'entaille est une blessure et les mots qui me viennent
sont comme le sang qui coule, le sang de tes émotions
vives, celles que tu ne voulais pas livrer de peur d'être
blessé, peut-être.
Récit intimiste d'une relation
d'amour avortée, ce texte évoque dans toutes
ses conséquences le désastre d'une absence de
lien entre un père et sa fille. Cette enfant devenue
femme tente de se réconcilier avec ce passé
en se rendant dans la ville où ils ont vécu
: la réalité de l'adulte s'expose au souvenir
qui resurgit, brut et immédiat. La morts sont muets,
le passé ne s'explique pas ni ne se change. Cet homme
mystérieux qui est son père, et vers lequel
l'enfant levait le regard, reste à jamais dans l'angle
mort de sa conscience.
Anne Brécart
a publié en 1997 son premier roman, Les
Années de verre.
Anne Brécart, Angle mort,
Editions Zoé, 2002.
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