La maladie de mes cinq ans, la mise
en quarantaine, le sommeil de plomb dans la calèche
me conduisent vers les étés de mon enfance,
chez mes grands-parents paternels, à La Rosière.
Un village de paysans, avec l'école et le four banal,
une chapelle dédiée à sainte Anne, d'une
blancheur éblouissante au soleil d'après-midi.
Chemins et ruelles débouchent
sur la modeste place de la fontaine dont l'eau s'écoule
dans deux bassins de granit. Les vaches et les mulets y vont
boire et j'y conduis fièrement, deux fois par jour,
la mule rouge de mon grand-père. Lorsqu'elle m'avait
ramené de l'hôpital, je n'imaginais pas la place
qu'elle allait prendre bientôt dans ma vie.
Je revois ma grand-mère, femme
sans âge qui ne sortait guère, vivant, entre
le fourneau et l'évier, de café noir pris à
petites doses bouillantes, vingt fois le jour.
Elle avait depuis longtemps renoncé
à tout et offert sa vie à ses enfants, à
ses petits-enfants, n'espérant en retour qu'un peu
d'harmonie dans la maisonnée et le confort de sa cafetière
toujours ronronnante, où la précieuse liqueur
n'en finissait pas d'atteindre sa perfection.
Jacques Darbellay,
né en 1931 à Orsières (VS). Enseignant,
collabore au Courrier de Genève (1962-1965), fonde
l'école Maya-Joie qu'il dirige de 1968 à 1990.
Habite la Fouly dans le val Ferret.
Jacques Darbellay, L' Enfant de la Rosière,
Editions Monographic, 2000.
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