Robert Walser, promeneur solitaire,
écrivain en marge dans la retraite de ses mansardes:
telle est l'image que nous renvoie une légende littéraire
opiniâtre.
C'est un autre aspect de Walser, encore
mal connu, que ce livre veut mettre en évidence à
travers l'ensemble de l'oeuvre, y compris les "microgrammes"
récemment décryptés : un Walser qui réagit
en sismographe aux secousses et aux frémissements de
son temps, en hume l'air, en partage les engouements et les
angoisses, en ausculte le langage, pour tout de suite reprendre
ses distances et transformer les impulsions reçues
en énergie cinétique pour sa plume dansante.
C'est d'abord Cendrillon, figure marginale
mais centrale à l'époque, qui conduit le bal.
Puis le mouvement dansant entraîne le lecteur à
travers une maladie du temps, la "nervosité",
rabote au passage le massif alpin et les mythes qui l'exaltent,
gambade autour des monuments de Nietzsche et de Kleist.
Partout Walser tend l'oreille à
son temps, sans jamais s'en faire l'écho. Sa souveraineté
littéraire et ludique prend ses aises dans le "feuilleton",
ce genre marginal relégué en "bas de page",
méprisé de la "grande littérature"
mais très prisé des lecteurs. Il peut s'y jouer
des contraintes, comme le danseur s'y joue de la pesanteur.
Il peut s'y égarer dans des discours labyrinthiques
qui le rapprochent de Kafka ou de Benjamin, y exécuter,
en dansant avec les mots, des enchaînements hardis et
inattendus.
Toujours en mouvement, Walser a échappé à
son époque ; toujours en mouvement, il séduit
la nôtre : ce danseur ne vous lâche jamais, car
jamais on n'arrive à le saisir.
Peter Utz,
spécialiste de l'oeuvre de Robert Walser, a travaillé
plus de dix ans à l'écriture du livre ci-joint
- qui a été publié en allemand à
l'automne 1998. Il habite Lausanne où il est professeur
d'allemand à la Faculté des Lettres.
Peter Utz - Robert Walser : Danser dans
les Marges, Editions Zoé, 2001.
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