Grand Prix Schiller Suisse : 1er extraitGrand Prix Schiller Suisse 1997: Maurice Chappaz
un livre paru aux Editions Monographic- CH-3960 SierreDans ce livre, vous trouverez les différentes interventions, messages, allucutions de Monsieur Egon Wilhelm, Président de la Fondation Schiller Suisse, de Madame Ruth Dreifuss, conseillère fédérale, de Monsieur Serge Sierro, Chef du Département de l'éducation, de la culture et du sport, Philippe Jaccottet, Jean-Pierre Monnier.
La poésie est une amitié
Madame la Conseillère fédérale,
Monsieur le Président de la Fondation Schiller,
Monsieur le Conseiller dEtat,
Monsieur le Président de la Ville de Sion,
Monsieur le Président de Veyras et son Conseil,
Cher Philippe Jaccottet,
Chers amis du monde de lécriture,
Mesdames et Messieurs les très cordiaux représentants du monde politique,
A vous tous mes proches et mes amis qui êtes présents:Je suis confronté à tout ce que vous représentez.
Ce Prix est un prix national qui mest décerné.
Il la été à quatre écrivains de trois régions romandes.
Lun deux était Ramuz.
Ma première visite à un écrivain fut pour lui -avant même que je ne pénètre chez Roud. Je me savais à un début inconnu. Je navais rien publié. Nécrirai-je que pour moi seul?
Cétait dans lhiver ou le printemps 39. Et jai voulu une visite unique comme sil fallait lui donner un poids magique, sacramentel qui dépasse une relation.
Un passage à La Muette, un tête-à-tête, son oeil dépervier taciturne et le départ vers une terre vierge.
Je suis très sensible dans notre rendez-vous à être associé au grand écrivain qui a réinventé le pays.
Lamitié sinsérait vivace dans celle de Saint-Maurice.
*
Je prononce ces mots pays, amitié. Ils nous réunissent.
Ce Prix ne se limite pas à ma personne, il sadresse à la quatrième région romande fraîche et neuve en littérature: le Valais biblique, silencieux, qui sest ouvert, qui a pris la parole à ce moment délicat, ambigu du progrès. Les artistes des plus divers horizons étaient étonnés en le découvrant. Mais si je reprends le titre dun premier livre qui symbolise «lici» au tournant, le Valais était un "coeur inutile" absolument seul avec sa grandeur immense et tue. Il avait été confessé, interprété par des génies. Enfin il sest vu et il a tenté de voir plus loin. Je ne citerai quun nom qui aurait remplacé le mien si ce nom dauteur qui est au seuil de tant de vies, bien plus loin que la plaine du Rhône disposait dun peu de poussière de chair. Jai eu un compagnon décriture imprévisible et merveilleux dans sa bourrasque créatrice, sans cesse attentif intérieurement. Plus de trente années le monde geyser et source de Corinna Bille sest ému à côté de moi.
Voilà où va ce Prix.
*
Je suis touché de le recevoir.
Il me resitue dans différents milieux.
Intimement lhonneur cest quil y a eu Ramuz. Lamitié cest que la cité loffre et que de linstance la plus haute me vienne ce témoignage. Ainsi elle distingue un particulier pour une vocation si discrètement publique, à lépreuve de la vie certes, sans excepter aucune nécessité. Telle parole intérieure séchange et ne doit-elle pas correspondre à chaque homme plus que le journal quil achète? Requiem de Roud ou Requiem dAkhmatova... Ladieu que chacun porte en soi et le temps de la terreur ont pu être dits comme le silence des oiseaux. Requiems ou reconnaissance des visages, cest toujours ce que chaque poète tente.
Aujourdhui je suis naïvement fier de me trouver, de me lever du fauteuil de mon oncle qui fut quarante ans à lExécutif de ce canton, ici même, et qui maida sans se lasser.
Est-ce que la poésie est une valeur dEtat comme le percement dun tunnel?
Y a-t-il analogie? trait dunion?
Officiellement ne dit-on pas: ce village ou cette ville compte tant dâmes...
La poésie sadresse aux citoyens-âmes.
Un pays nexiste que si ces deux réalités tiennent ensemble.
Parce que la réalité historique est liée à une expression, lart et particulièrement la langue. Le mystère dun peuple doit être prononcé quun hymne national claire à peine.
*
Lécriture romande a une part de rêve; assortie de morale elle est un dialogue, une politique intériorisée. La visible devient le miroir du dedans. Mais des cris, des jeûnes, de pures méditations, des libertés à laube ont passé.
S'il y a drame, qui sait suicide indirect ou léthargie dans un pays, le témoignage qui raccroche le sens à lévénement est souvent un poème.
Nimporte le sujet, un poème réussi sapplique à tout.
La poésie est une amitié qui fait de lhomme le point de jonction, la parole de tous les éléments vivants. Lensemble des créatures fait partie de nous. Notre sort et le leur se confondent. Je suis emporté par leur requiem, comme par une vague.
Celle de la nature où se trouve notre survie en même temps que notre beauté et qui semble traquée par lholocauste.
Permettez-moi ce mot qui remue si profond.
La nature... en Russie sous Staline des poèmes ont dit que les arbres dans les bois votaient pour que les portes restent des portes.
Quel avis nous donneraient les arbres?
*
Le Valais... voilà un frisson docéan, les peupliers et lOrient-Express. Caillou et fleuve sa graphie, le glacier est suspendu en nous.
Une vérité joue avec le physique, si on la perd on sexile. Jai su, mes vingt ans à peine franchis, que nous avions un destin ici. Et jai cru à notre peuple.
Nous continuons à vivre un miracle qui pourrait nous échapper: celui dune nation toujours en train de naître avec quatre langues. Je dois beaucoup à mon traducteur Pierre Imhasly.
Je suis très heureux aussi avec ce prix de recevoir ma part de vérité de la Suisse alémanique et de Ruth Dreifuss, de tout ce quelle représente.
Quai-je réussi? Lacte de foi ma dépassé: la terre a parlé en moi les yeux fermés. Ce sont les poèmes qui jugent les poèmes, ceux qui durent, vivants, que je lis chaque matin.
Linconnu de lécriture me happe encore.
Cependant avec lâge les projets disparaissent ou se déplacent telles des lanternes dans la nuit. Lillimité vous entoure, vous caressez des petits détails. Nos sentiments se perdent et se multiplient. Le passé se mobilise.
Ecrire trois vers: un haïku serait une chance.
Et jai un dernier livre en train...
*
Maintenant, merci pour cette journée.
Je revois les deux envoyés de ce Grand Prix Schiller mapporter la bonne nouvelle à labbaye du Châbles, tenue secrète même pour moi pendant une demi-année. Mais ils voulaient léchange: la parole, létreinte. Et cela ma enchanté, particulièrement le secret.
Jai embrassé Janine Massard et Hugues Richard. Et je nignorais pas leurs sources.
Comment commence-t-on?
Comment commence-t-on à être daccord avec soi-même, avec "la saison haute" qui sélabore, nidifie en nous. Je vous citerai Hughes Richard! Par une envolée de «non» qui va retentir tout autour des tables, des maisons, des industries qui nous cernent. Un acte de lesprit les transfère ailleurs.
Non
Jai toujours dit non
Non, non non non non non
- Vous ne maurez pas!Vous mavez aujourdhui parce quil y a avec ces non un grand voyage au fond du oui à accomplir pour faire acte de présence, ne serait-ce comme un de ces arbres parfois avec de splendides fleurs, qui ne rapportent pas,... qui risquent dêtre sciés.
Et rien ne doit nous aider au début dune carrière si ce nest lamitié pure.
En fin de course je suis comblé dêtre salué par celui qui a distingué avec un tact chaleureux mon premier livre de poèmes en 1945. Il avait vingt ans. De tels vingt ans offerts sont une pierre précieuse. Un léger instant de gloire mest redonné.
Je me remémore, quand ils préludent, les mots des poètes qui annoncent leur décision et leurs trésors où se dessine toujours un amour.
La poésie, cest quelque chose entre un caillou dans leau et une étoile filante.
Je noublie pas le premier vers de Philippe Jaccottet
La nuit est une grande cité endormie
dont le verbe est un oiseau
Tandis que sombrent les étoiles au coin des rues.
Je garde en moi comme avenir, avec joie jespère, tout ce quun petit rapace nocturne, au nom qui sonne si doux, leffraie -laquelle appelle, appelle- secoue de son cri delà les ombres obscures; je me confie à tout ce que leffraie peut nous révéler.
*
Il y a maintenant tous ces yeux humains autour de moi, je veux ajouter pour tous, de mon épouse Michène, cette claire chère lueur dans mon foyer aux autres flammes qui me réchauffent, à tant de proches par le sang, par lesprit dans tant de maisons et tant daffaires où le cur se trouve, à ceux qui ont permis cette fête et croient généreusement à mes livres, officiels ou non, au-delà dune énumération, je redis que cest leur force qui épure le monde et me soutient.
Ah! un pays ne doit pas perdre sa foi en lui-même. Sa différence, sa vision propre font partie de son intégrité.
Que le nom damis aille vers vous tous depuis Madame la Conseillère fédérale à chacun et nous relie à ce qui est plus grand.
Maurice Chappaz