Une belle et juste consécration

Anne-Lise Grobéty reçoit à Pully le prix littéraire le plus prestigieux de l'aire romande.
La distinction n'a rien d'une momification et honore une femme de coeur.

Anne-Lise Grobéty est entrée en littérature il y a plus de trente ans de ça, en même temps que Jean-Marc Lovay avec lequel elle partagea le Prix Georges-Nicole 1969, pour un livre bref et incisif, écrit entre 18 et 19 ans et manifestant d'emblée la double et claire évidence d'une nécessité intérieure profonde et d'une écriture de styliste. Depuis Pour mourir en février (Cahiers de la Renaissance vaudoise, 1970), cinq autres livres substantiels, entre autres poèmes et textes annexes, ont amplement confirmé ces qualités initiales et se sont constitués en oeuvre cohérente et variée, tant par leurs thèmes, affirmant l'identité féminine dans la nouvelle littérature d'après 68, que par leur modulation "musicale". A cet égard, Anne-Lise Grobéty s'est inscrite dan la double filiation d'Alice Rivaz (premier Grand Prix Ramuz attribué à une femme), qui traça vigoureusement le sillon de l'expression féminine (sinon féministe) dans notre sol littéraire, et de S. Corinna Bille, pour la chatoyance et la musicalité de sa prose.

Une lente maturation

Après la révélation de Pour mourir en février, qui abordait une première fois le thème de la difficulté de vivre d'une très jeune femme, dans un climat psychologique marqué par la confusion des sentiments, Anne-Lise Grobéty publia, en 1975, un gros roman, Zéro positif (Editions Galland), tournant également autour du thème de la crise existentielle d'une femme refusant la maternité et se défiant de toute action concrète, notamment politique (alors que la romancière, elle, siégeait au Grand Conseil neuchâtelois au titre de députée socialiste), et se réfugiant dans l'alcool et la solitude. Marqué par les tentatives expérimentales d'une écriture novatrice (qui, paradoxalement, datent peut-être le plus), ce livre affirmait du moins une ambition exigeante et une position fortement ancrée dans le temps présent, proche à cet égard des ouvrages d'une Anne Cuneo.

Dès cette époque, Anne-Lise Grobéty disait écrire vite après un très long mûrissement du livre, soumis à une façon de rythme biologique. Les nouvelles de La fiancée d'hiver (Editions 24 Heures, 1984, Prix Rambert 1986) et les Contes-gouttes (Campiche, 1986) illustrèrent ensuite, avec un regain de vitalité et d'humour, l'évolution de sa thématique et de son écriture, avant la nouvelle étape importante du roman intitulé Infiniment plus (Campiche 1989) dont la narratrice, corsetée par une éducation puritaine, découvre tardivement l'univers de la sensualité. En 1992, enfin, parut Belle dame qui mord (Campiche), dernier ouvrage de l'écrivain en pleine possession de ses moyens expressifs, composé de récits-poèmes tour à tour savoureux et plus graves, et se déployant dans une prose étincelante.

Reconnaissance encourageante

L'attribution du Grand Prix C.-F.-Ramuz fera peut-être grincer quelques dents. Objectivement, en effet, et en dépit de ses remarquables et constantes qualités, l'oeuvre d'Anne-Lise Grobéty paraît tout de même moins considérable que celle d'un Jacques Chessex. De même un Maurice Chappaz aurait-il fait, et depuis longtemps, un lauréat non moins conséquent, même s'il a déjà été couronné par le Grand Prix Schiller au rayonnement national.

Au crédit du jury, présidé par Roger Francillon et rassemblant Valérie Cossy, Brigitte Waridel, Jean-Dominique Humbert et Michael Wirth, l'on relèvera cependant l'intérêt et la générosité du choix d'un auteur relativement jeune dont il y a sûrement beaucoup à attendre encore, travaillant dans la solitude et au prix de difficultés financières récurrentes (le prix est doté, rappelons-le, de la somme de 15'000 francs). Après les consécrations plus attendues de Philippe Jaccottet ou de Jacques Mercanton, de Georges Haldas ou de Nicolas Bouvier, le Grand Prix Ramuz 2000 honore une femme de plume et de coeur et parie sur la suite de son oeuvre.

Jean-Louis Kuffer

28-29 octobre 2000

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