Quel que soit le nom, de Pierre Lepori
Traduit de l'italien par Mathilde Vischer, Éditions d'en bas

Premier recueil de Pierre Lepori, poète (lauréat du prix Schiller), mais aussi romancier, homme de théâtre et directeur des revues Viceversa litteratura et Hétérographe , Quel que soit le nom (2003) a la maturité aboutie d'une voix singulière. Bien qu'y soit nommé, en filigrane, le compagnonnage de Ungaretti, ou de Pavese, aucune imitation sous influence ne se marque. Poésie construite autour de récits en rêve, n'évitant pas l'introduction de grands archétypes, tels que le mot « frère », la présence lointaine de « Mères », d'un « nous » où se révèlent les silhouettes de la communauté des hommes, celle-ci interroge ce que les mots arrachent au silence de voix abandonnées à leur mutisme. Lepori écrit alors, densifiant la métaphore et l'épurant : « Les mots : denses, ébréchés,/ comme du chiendent au milieu de l'herbe » . Pour reprendre, plus loin, dans la narration d'une scène comme extraite d'on ne sait quelle enfance : « alors souviens-toi : il n'y avait pas de jardin, et elle/ vivait dans la douleur de vivre,/ fermée et perdue dans l'attente/d'un père, d'un visage,/ sous les coups de bâtons, comme des pierres,/ dans le recoin sordide d'une cour. Ton père ne viendra pas,/ l'Amérique est loin, il y a des araignées/et des scorpions venimeux. Les maisons ont toutes des jardins/et les jardins, des enfants ». La « force d'images vives et d'enchaînement fougueux, qui projettent le lecteur dans une dimension très vaste » (Fabio Pusterla), où le biographique se fond pour atteindre à la dimension impersonnelle de toute enfance, constitue les poèmes les plus marquants de ce livre, comme « Matinal » ou encore la série « Frères », dans laquelle peut-être un dernier geste est lancé vers Pasolini : « Tessons, frères,/ un désordre d'images nous dit/qu'on se tut sur la découpe/précise de la lame/mais la honte n'en fut pas moins infâme/honte d'être poussé dans le monde/comme une proie ».

Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges, n° 115

juillet-août 2010