Confrontée à la mort, au deuil, à la souffrance de qui est irrémédiablement esseulé, que peut la parole? Rien, si elle ne se fait pas musique. Il faur ranger Moires parmi les livres où les mots cherchent avec le plus de justesse comment accompagner la traversée du Styx.
Pas de pathos. Pas l'ombre d'une emphase. Mais la lente cicatrisation d'une blessure, celle infligée par l'agonie des êtres qui ont transmis le flambeau de la vie, celle de devoir réintégrer un monde déserté, celle des générosités qu'on n'a pas eues. Cette longue marche vers l'apaisement, la sérénité peut-être, s'opère au fil des pages grâce au langage. Les impromptus, les variations, les transpositions s'enchaînent pour élaborer une composition qui allie fluidité et rigueur. Schubert et Beethoven, convoqués dans la mémoire du poète, soulignent en contrepoint ce que l'écriture possède de spontané, de délié, d'inattendu, et en même temps de construit, de concerté, de géométrique.
La musique qui en résulte ouvre la voie à la réconciliation avec autrui et avec soi-même. Le recueil marque ainsi le passage d'un état de désarroi, de stupeur, vers une lumière qui allège. C'est en fin de compte la tonalité de l'espoir qui domine, même si celui-ci "ne tient qu'aux mains qu'on se donne/d'un âge à l'autre".
Olivier Beetschen |