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Remise du prix artistique de la ville de Nyon

 


Bibliographie

Né en 1952 à Nyon, Jean-Michel Olivier a passé sa maturité classique à Genève, puis sa licence en lettres à l'Université de Genève. Son mémoire de licence sur Lautréamont, Le texte du vampire, lui a valu le Prix Hentsch en 1978. Après avoir passé une licence d'anglais en 1979, il s'inscrit au séminaire de Jacques Derrida à l'Ecole supérieure de Paris, qu'il suit de 1979 à 1981.

Jean-Michel Olivier collabore régulièrement à des revues telles que La Main de singe, Belles-Lettres, Actuels. Il est en outre le fondateur de trois revues culturelles: Scènes magazine (1986), Contrepoints (1988) et La Main de singe (1990).

En 1995, professeur invité à l'Université du Michigan, il présente un cours sur le thème "Littérature et histoire des idées en Suisse au 20ème siècle".

Jean-Michel Olivier vit actuellement à Genève où il enseigne le français et l'anglais au collège.

Publications

1981 Lautréamont: le texte du vampire, L'Age d'Homme
1981 La Toilette des images, Actuels
1982 La Chambre noire
1984 René Feurer: l'Empire de la couleur
1987 L'Homme de cendre, L'Age d'Homme
1990 La Mémoire engloutie, Le Mercure de France
1991 Virus, La Main de singe
1994 L'œil nu, Ed. R. Meyer
1994 Le Voyage en hiver, L'Age d'Homme
1996 Les Innocents, L'Age d'Homme
1997 Le dernier mot, L'Age d'Homme
1998 La Montagne bleue, Ides et Calendes
1999 L'Amour fantôme, L'Age d'Homme

Ainsi qu'une centaine d'articles dans divers quotidiens et revues depuis 1978.

Jean-Michel Olivier engendre un nouvel Oedipe

LETTRES ROMANDES: Dans "L’amour fantôme", l'écrivain revisite avec succès le mythe.

Un petit roi, un papa vite effacé, une mère lascive: Oedipe hante toujours la littérature. Constamment remise au goût du jour, sa figure a subi bien des liftings Une fois n'est pas coutume, en voilà un de plutôt convaincant. Dans L'amour fantôme, Jean-Michel Olivier réussit en effet où tant d'autres ont échoué. Sans paraphraser le mythe. Avec de jolis coups de scalpel.

Oedipe, devenu ici Colin, est né de Reine. Cette mère, dès sa naissance, oublie les autres hommes. Elle sait que, désormais, elle n'existera que pour son fils. Et par son fils. Le rejeton souffre de l'amour exclusif de Reine. Pour échapper à cette chère maman castratrice, il tentera, au cours de sa vie, trois évasions. Elles ont pour noms, dans l'ordre, Rose, Mona et Neige. Trois femmes, trois raisons de vivre et de mourir. Mais, à chaque fois, Reine est là, à guetter le moment où son enfant pourra lui revenir. Elle le récupère, brisé par les coups du destin et une envie d'aimer insoutenable, dans une prison, sur un lit d'hôpital, ou au milieu des cendres d'un chalet valaisan. Alors, elle revit son rêve de mère.

Rose, Mona, Neige

Si, L'amour fantôme est caractéristique de notre époque, c'est qu'il fait le portrait de personnalités aux abois. Tous souffrent, en se raccrochant à ce qu'ils peuvent. Pour Reine, c'est Colin. Pour Colin, ce sera Rose, Mona et Neige, et finalement un dogmatisme de supermarché, version secte millénariste.

En filigrane du récit tragique emprunté à Sophocle, Jean-Michel Olivier radiographie avec soin les déficiences de la société contemporaine. Il redessine la courbe de la spiritualité, telle qu'elle évolue depuis les années septante. C'est le point commun entre Rose, chanteuse hippie, Mona, artiste sauvage et droguée, et Neige, joueuse de tennis adepte de divers gourous. Toutes sont à la recherche d'un nirvana existentiel. Chacune se vautre dans des excès mystiques. Et Colin suit, puisqu'il a été éduqué à suivre.

La langue fraîche et maladroite de l'amour

Jean-Michel Olivier a la plume incisive. Surtout quand il s'agit de démonter les absurdités des prêcheurs d'Apocalypse. L'auteur promène un regard ironique sur les aventures du pauvre Colin. Il décrit parfois avec froideur ses personnages. Mais il sait aussi, dans les scènes intimes, retrouver la langue, fraîche et maladroite, de l'amour. Quant aux clins d'œil à la tragédie antique, ils restent subtils (la mère se prénomme Reine et Colin finit malvoyant). Sophocle peut dormir tranquille. La relève est assurée.

Emmanuel Cuenod

L'amour fantôme, Jean-Michel Olivier Editions L'Age d’homme, 196 pages.

"Amour fantôme", mère abusive ou le livre d'une vie saccagée

La littérature romande stagnait dans l'attente de nouveaux auteurs qui lui injectent un souffle vivant.
Parmi eux, Jean-Michel Olivier est une voix unique, un regard d'aigle au-dessus de la mêlée

Jean Michel Olivier est avant tout un arpenteur de l’inconscient. Observant ses contemporains avec un faible très marqué pour I’esprit tordu (ou subtil?) de la femme -, il avance de livre en livre offrant aux lecteurs des récits extrêmement bien peaufinés a la structure solide et au contenu étayé par une plume qui fouille, décortique, explore les profondeurs du comportement humain.

Que tout le mal du monde incombe à Eve, I’auteur genevois doit en être persuadé. Ses précédents romans et nouvelles dénonçaient déjà cette capacité qu'elles ont à manipuler les hommes. Que ce soit dans l’homme de cendre aux prises avec sept femmes, Le Voyage en hiver, un homme à la recherche de sa mère, les héroïnes jeunes et moins jeunes du Dernier mot et aujourd'hui la mère-ogresse et les délicates amantes de L'Amour fantôme, l'obsession qui mène la plume Jean-Michel Olivier tient en un mot : la femme, toujours elle.

Le péché originel

Accusée du péché originel, la femme a-t-elle développé une intelligence particulière et secrète pour se mieux protéger de l'homme, le chasseur, l'envahisseur de sa vie, de son corps, de ses pensées? Lu au premier degré, il se pourrait bien que l'auteur genevois soit accusé de misogynie, car ses descriptions du comportement féminin sont menées au scalpel, et celui-ci déchire toutes les apparences. Lus avec un peu plus d'attention, les récits de Jean-Michel Olivier laissent entrevoir la grande tendresse qu'il porte à la femme. Car si les rapports entre les êtres semblent toujours dépendre du désir féminin, la femme apparaît, sous cette plume pleine d'émotion maîtrisée, dans sa propre fragilité. En somme, Olivier met le doigt sur le terrible silence qui ne cesse de peser sur les rapports qu'entretiennent les deux sexes. Il en parle avec d'autant plus de cruauté que l'époque est à la communication tous azimuts. Or, il semble bien qu’entre l'homme et la femme, les arcanes des échanges demeurent éternellement impénétrables. C'est ce que dit l'écrivain genevois, de manière nouvelle à chaque livre.

Ces terribles mères

Dans L'Amour fantôme qu vient de sortir de presse, Colin vit trois grandes expériences amoureuses. Les soixante-huitards jubileront à cette lecture retrouvant les années 60 et tout leur falbala de musique, d'espoirs et de filles-fleurs: " A cette époque, les femmes étaient des fées, des licornes ou des mandragores." Entre Dylan, Cohen, les Doors, et les photos du Che, Colin divague dans une "tribu sauvage" où vivent les amis Rose, qui ont des cheveux longs et mâchent du peyotl.

La femme a-t-elle développé une intelligence particulière pour mieux se protéger de l'homme ?

On lit Le Livre des morts tibétains, on dévore Le Zen macrobiotique, et le rêve d'un monde meilleur passe par la contestation, la Suisse est déjà mal notée dans ces milieux en rupture de petite bourgeoisie. Et Colin en est un, justement, de bourgeois, avec sa terrible maman, caricature des mères possessives. Si les révoltés hurlent contre tous les fascismes, l'Etat riposte à coups de matraque. Et c'est dans un commissariat de police que Reine, la mère de Colin, retrouvera celui-ci, en sang.

Insidieusement, elle va le récupérer, briser ses besoins, avilir sa personnalité. Elle veut en faire un grand gaillard arriviste, dont elle partage le lit, afin d'en finir avec ses propres angoisses. L'arrivée d'un jeune amant mettra un terme à l'amour mère-fils. Colin s'enfuit et rencontre Mona, les temps sont au body-art, aux tags et aux artistes conceptuels. Avec Mona, Colin va se laisser entraîner dans l'amour à mort qui transgresse toutes les limites, sous une galerie de portraits qui sont "autant d'énigmes" pour Colin: Boltanski, Joseph Beuys, Ulrike Rosenbach, Noël Hardling... De cette grande période de sacrifice - Mona vit trop vite, sans cesse au bord du vertige, jusqu'au suicide fusionnel, dont Colin sortira en vie, mais dans un profond coma. Reine est heureuse de reprendre en charge son gros bébé de 28 ans. Elle tente une fois encore d'en faire un homme... Celui qui prendra à nouveau la fuite pour rejoindre Neige, passionnée de tennis. Comme toujours, Colin va se plier à la volonté de cet ultime amour au rire minéral qui le conduira à gravir les degrés initiatiques d'une secte, où il subira un véritable lavage de cerveau, échappant comme d'habitude à la mort. Mais c'en est fait de Colin, cette fois Reine peut le récupérer. il lui appartient.

Ce livre d'une vie saccagée par la faute d'une mère possessive offre au lecteur la mémoire de plusieurs époques, avec leurs dieux, leurs illusions, leurs folies aussi. Il est construit à la manière d'un opéra, qui ne peut que se conclure par l'immolation du héros. En filigrane, une grande interrogation se profile: d'où vient la faiblesse de l'homme que Jean-Michel Olivier se plaît, comme dans chacun de ses romans ou nouvelles, à mettre en exergue? Car l'écrivain genevois interpelle les femme : si les hommes sont aussi démunis face à la vie qui les élève ? Qui les dresse ? Qui les enferme dans les carcans qui se répètent à travers les âges ? Une réflexion que même les féministes ne se sont jamais permise.

Bernadette Richard

Samedi 9 octobre 1999

Jean-Michel Olivier : L ‘Amour fantôme, L' Age d’Homme, Lausanne 1999, 200 pages

 

Page créée le 20.11.99
Dernière mise à jour le 20.06.02

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