Le Voyage en hiver

Le fils de la diva

Jean-Michel Olivier reprend un drame antique dans son nouveau roman sur fond de musique et d'AIlemagne.

Un soir, un train. A sept ans, le narrateur du nouveau roman du Genevois Jean-Michel Olivier prend le Paris-Genève pour échapper à la guerre, mais aussi à la vie vagabonde de sa mère. Johanna Süber est chanteuse de cabaret et d'Opéra, mais elle donne peu de nouvelles à ce gamin qui végète sur les bords du Léman. Avec Bâcle, son protecteur, il va imaginer de beaux scénarios jusqu'à ce jour de 1950 où, après un rendez-vous manqué, il décide de partir à la recherche de cette mère mystérieuse.

Sa quête, qui a tout du parcours initiatique, est aussi une nouvelle version d'un drame antique. Un drame qui se joue dans le décor d'un pays dévasté, l'Allemagne de l'après-guerre. De Berlin à Heiligenhafen (entre Kiel et Lubeck) en passant par l'Amérique, le jeune homme va reconstituer le parcours de cette femme. Très vite, il va se rendre compte que son enquête ne sera pas dépourvue de risques, mais tel Icare il préférera se brûler les ailes plutôt que de devoir renoncer à son «soleil».

Revenant à une écriture plus classique et plus compacte, Jean-Michel Olivier parvient à entraîner le lecteur dans son dédale. Toutefois, le fil du récit est tellement bien tendu qu'il ne saurait se perdre en route. Voilà un roman sur la filiation et une réflexion sur la force de l'art et de la musique en particulier qui a toutes les allures d'un thriller.

Le voyage en hiver, Editions L'Age d'homme. 139 pages.

Henri-Charles Dahlmen

26 janvier 1995

Bleu comme l'indicible

...mais les photographies ne sont pas là pour illustrer les mots, ni les mots pour servir de légendes aux images. Chacun des deux cheminements créatifs est essentiel à la compréhension du tout. Et ce tout demeure un insondable mystère, celui de la montagne qui nous élève ou nous ensevelit, nous offre le ciel à toucher du doigt ou le précipice dont on ne revient pas.

Louise Reno
Extrait tiré de info Dimanche



Le Dernier Mot

Le misogyne dans sa chambre noire

Trois histoires tragiques et drôles de Jean-Michel Olivier, trois variations sur le rire et le mourir, sur l'humour et les femmes, sur la vie et sa fin: pour grincer des dents sur la plage...

Jean-Michel Olivier, qui vit et écrit en Suisse, est trop peu connu en France. Professeur et journaliste à Genève, il est pourtant l'auteur d'une dizaine d'essais et de romans, notamment Le Voyage en hiver et Les Innocents (L'Age d'homme, 1994 et 1996) ou La Mémoire engloutie (Mercure de France, 1990). Et aussi d'un étrange et beau récit, La Chambre noire (éd. du Styx, 1982), hommage très subtil à L'Arrêt de mort, de Maurice Blanchot. L'ombre de Blanchot est de nouveau présente dans ce Dernier Mot, tout comme Jean-Jacques Rousseau, autre figure mythique de l'imaginaire de Jean-Michel Olivier et héros de l'histoire qui donne son titre au livre.

Le Dernier Mot affiche sur la couverture « Nouvelles ». En fait, il s'agit de trois contes: le premier, «Félix Unglück », en quatorze petits chapitres, sortes de « tableaux », les deux autres, «L'autre vie » et « Le dernier mot », en dix-neuf «tableaux». Trois histoires tragiques et drôles, trois variations sur le rire et le mourir, sur l'humour et les femmes, sur la vie et sa fin, sur LA question: qui, de la vie ou de la mort gagne ? A qui appartient «le dernier mot» ? L'une des clés se trouve dans le premier texte, au début de la séquence 13 (on ne sait si Jean-Michel Olivier attribue à ce chiffre des pouvoirs maléfiques) «Oui, le monde appartient aux femmes... C'est-à-dire à la mort (...)"Qui a dit ça, déjà "? " Il cherche à retrouver le nom, mais sa mémoire est vide. "Sollers ? MCSolar "» Olivier a sans doute raison de citer un rappeur, même s'il orthographie mal son nom. Si on le rappait « fin de siècle», ce (voici la citation exacte): «Le monde appartient aux femmes/ C'est-à-dire à la mort./ Là-dessus tout le monde ment" », ferait peut-être enfin réagir les femmes.

Jean-Michel Olivier, pour préserver la concision, la densité, la cohérence, le côté lapidaire et allusif de ses contes, ne peut pas étendre sa citation. Mais, dans le roman de Philippe Sollers, Femmes (Gallimard, 1983), quelques lignes après la phrase que reprend Jean-Michel Olivier, on lit le paragraphe suivant: «Règlements de comptes? Mais oui! Schizophrénie ? Comment donc ! Paranoïa ? Encore mieux! La machine m'a rendu furieux ? D'accord ! Misogynie ? Le mot est faible. Misanthropie ? Vous plaisantez.... On va aller plus loin ici, dans ces pages, que toutes les célébrités de l'antiquité, d'avant-hier, d'hier, d'aujourd'hui, de demain et d'après-demain... Beaucoup plus loin en hauteur, en largeur, en profondeur, en horreur, mais aussi en mélodie, en harmonie, en replis... Qui suis-je vraiment? Peu importe. Mieux vaut rester dans l'ombre. Philosophe dans la chambre noire...»

On peut parfaitement reconnaître Jean-Michel Olivier dans cette image de justicier qui va régler ses comptes avec ironie et cruauté. Il commence avec le personnage Félix Unglück le mal nommé puisque son prénom le prédispose au bonheur et son nom signifie malchance. Entre son prénom et son nom, entre la joie et la peine, entre la vie et la mort, Unglück n'arrive pas à choisir. II a essayé à plusieurs reprises de se suicider et s'est raté. Au moment du dernier (est-ce vraiment le dernier?) suicide, il revoit les femmes de sa vie , toutes les figures négatives effrayantes, castratrices ou hystériques, mortifères à coup sûr commencer évidemment par... sa mère. Rien de plus banal, penseront certains, que ces éternels conflits entre hommes et femmes. Précisément. Et c'est pour cela que sujet-là révèle, ou non, le talent d'un écrivain.

Etre femme et ne pas rire aux propos de Jean-Michel Olivier, c'est assurément manquer d'humour . Mais être femme et ne pas rire un peu « jaune » en lisant ce livre, c'est probablement n'avoir jamais réfléchi à la question du malentendu fondamental entre les sexes. Le deuxième conte, «L'autre vie» est plus simple, mettant en scène une vengeance -peut-être une saine vengeance - de femmes, de filles contre leur père coupable d'abandon. La troisième histoire, dont le héros est un Jean-Jacques Rousseau égaré au XXème siècle, est la plus terrible. Une femme, qui fut en apparence la soumission même, attend la mort de l'écrivain et, après avoir appelé le journal Le Monde pour annoncer «Jean-Jacques est mort », détruit le livre dans lequel il s'expliquait sur lui-même et ses erreurs ...Cela, on pourrait le rapper autrement: «Vraiment les femmes sont "trop". » On aura compris que pour grincer des dents en bronzant, Le Dernier Mot est extrêmement recommandé.

LE DERNIER MOT de Jean-Michel Olivier. Ed. L'Age d'homme, 192 p., 110F.

Josyane Savigneau

7 août 98

 

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