Hommage à Jean-Paul Pellaton

Jean-Paul Pellaton, prince des lettres jurassiennes

Il s'en est allé discrètement, selon sa volonté, selon son habitude, par pudeur et pour ne déranger personne. La discrétion était, pour Jean-Paul Pellaton, une forme de vertu, presque une religion. Le tact, la mesure, le respect de soi et des autres formaient les qualités intrinsèques de cet homme tranquille, qu'on ne pouvait rencontrer sans tomber sous le charme de la sérénité souriante de son regard. Tous ceux qui ont eu la chance de le connaître et de l'apprécier, dans sa vie comme dans ses livres, savent que c'est une part précieuse de leur être intime qu’il a emporté avec lui en franchissant la distance qui nous sépare des étoiles.

Jean-Paul Pellaton figure parmi les écrivains les plus marquants qui ont illustré la république des lettres jurassiennes au siècle qui s'achève. Il était de cette génération, née entre les deux conflits mondiaux, dont l'adolescence studieuse a été marquée par les bouleversements qui ont accompagné et suivi l’effroyable folie de 1939-1945. Tout en consacrant la plus large part de sa vie active à enseigner la jeunesse, pour laquelle il publia ses premiers récits, il n'a jamais cessé de pratiquer l'art d’écrire. La retraite venue, son génie s’est épanoui en une floraison d’œuvres où s’affirme une maîtrise exceptionnelle de la langue, mise au service d'un talent de conteur de premier ordre. S'il marque une prédilection pour la nouvelle et les textes courts, il a osé un relever le défi du roman de longue haleine, avec Le Mège, publié en 1993, une histoire qui plonge au cœur du passé jurassien, comme plongeaient dans le mythe des origines ses Contes et légendes du Pays rauraque, ouvrage prestigieux réalisé en connivence avec le peintre André Braichet, sorti de presse en 1989. Si la fiction demeure son domaine privilégié, il a su également aborder avec un égal bonheur d'autres genres littéraires, du lyrisme poétique (Coplas, 1979) à l'évocation de sa ville (Delémont, 1988), sans négliger l’essai en matière artistique (Vitraux du Jura, 1968, plusieurs fois réédité).

Sans esbroufe ni tapage médiatique, le rayonnement de l'écrivain Jean-Paul Pellaton s'est tranquillement imposé au monde des lettres francophone, qui voit en lui " un des nouvellistes suisses importants de la 2e moitié du XXe siècle ". En 1985, le canton du Jura s’est honoré en remettant le Prix des lettres jurassiennes à ce citoyen émérite, qui fut aussi lauréat du Prix Paul Budry en 1969, reçu le Prix de la Bibliothèque pour Tous en 1982 et le Prix Schiller en 1985. L’héritage littéraire que laisse Jean Paul Pellaton est de ceux qui enrichissent prodigieusement le patrimoine intellectuel d’un peuple. Son oeuvre est vivante et elle vivra autant que durera le dialogue silencieux qui unit l'écrivain à son lecteur. Par la mystérieuse alchimie du verbe, Jean-Paul Pellaton, prince des lettres jurassiennes, est toujours parmi nous.

Benoît Girard, bibliothécaire cantonal, au nom de l’Office du patrimoine et de la culture.

29.04.2000

L'hommage du professeur Jean-Claude Joye

Redoutée depuis quelque temps par ses amis et ses lecteurs fidèles, la disparition de Jean-Paul Pellaton offre au moins l'occasion – triste mais nécessaire consolation - de rendre hommage à un écrivain de très grand talent.

Le romancier et le poète que Delémont abritait dans ses murs a édifié patiemment une oeuvre qui résistera à l’épreuve du temps. Pourquoi ce pronostic qui ne laisse pas d’être périlleux ? Parce que Jean-Paul Pellaton a rappelé durant des décennies que l’écriture est d'abord un métier. Lequel doit tout à la réflexion créatrice et rien à la hâte, ni aux modes et aux tics où se perdent, hier comme aujourd'hui, tant d’écrivains à succès. Mais l'écriture est aussi une ascèse - surtout quant on s'y livre parallèlement à une autre activité.

Jean-Paul Pellaton a prouvé qu’on peut être à la fois un bon professeur, destiné à critiqué et a commenter les oeuvres des autres, et un magicien de son propre verbe, qui s'introvertit dans l'espace intérieur de son imaginaire.

Ils sont rares, ceux qui ont su et pu concilier le professorat (surtout en lettres) avec la création d’un univers romanesque et poétique. En effet, Jean-Paul Pellaton ne nous laisse pas ce qu'on nomme, avec une condescendance quelquefois justifiée, des " livres de professeur ". Ses nouvelles, pour ne parler que d’elles, dont la réputation s’étend bien au-delà de nos étroites frontières, ne trahissent jamais la moindre et ennuyeuse intention pédagogie - celle à laquelle même Sartre n’échappe pas toujours. Pellaton, c’est la justesse, parfois acérée, du trait. C'est aussi le plaisir contrôlé çà et là par une tendre ironie à la Maupassant, de peindre une situation ou un personnage que tout immerge dans son temps, souvent le nôtre, mais qui transcendent les identifications trop faciles.

Autre remarque sur l'écrivain qui vient de nous quitter : il n'a cessé de progresser durant plus d’un quart de siècle. Au lieu de répéter indéfiniment le même livre sous d'autres formes, il s'est développé jusqu’à se hisser très haut dans l'échelle de la bienfacture et d'une pureté qui n'est pas celle des bonnes intentions dont est pavé l'enfer littéraire, mais bien celles des belles réalisations. Noblement obtenues.

Jean-Paul Pellaton n’avait qu’un défaut: la modestie. Il lui manquait l'arrogance des consécrations médiatiques, tapageuses et fugaces. À quoi il faut ajouter – c’est aussi un beau défaut – l’exquise urbanité qui le caractérisait et qui imposait une mesure souriante à tous ses jugements.

Ayant eu voici une quinzaine d'années la chance de rencontrer Marguerite Yourcenar, nous avions été frappé par la bienveillante et pudique retenue de cette grande dame. C'est dans cette eau-là que l’attitude existentielle de Jean-Paul Pellaton n'a cessé de se ressourcer. Il est rare, dans l'histoire de la littérature, que l’homme et l’œuvre méritent l’un et l’autre l'estime et l'admiration. Tel est pourtant le cas de Jean-Paul Pellaton.

Jean-Claude Joye

29.04.2000

Hommage de l’éditeur Claude Frochaux
Jean-Paul Pellaton : sur la pointe des pieds

Jean-Paul Pellaton nous a quittés. Et maintenant que nous mesurons son absence, nous découvrons que nous avions encore beaucoup de choses à lui dire. Sa discrétion infinie, cette manière qu'il avait de s'effacer en même temps qu'il s'affirmait, son retrait qui n’était pas de la timidité, mais une extrême attention aux autres qui le faisait se taire pour laisser parler, tout cela nous vaut des regrets. Nous n’aurions pas dû le laisser aussi effacé : nous avons cédé comme toujours au spectaculaire et au bruit et le silence de Pellaton aujourd’hui, parce que sur fond de silence, blanc sur blanc, nous laisse insatisfait de nous.

Chaque fois que je voyais Jean-Paul Pellaton, je lui disais : vous écrivez toujours mieux. C’était vrai et à mes yeux surtout depuis Les passeurs de l’aube. En passant plus régulièrement de la nouvelle au roman, Jean-Paul Pellaton se découvrait des dons de narrateur qui s’émancipèrent avec Le Mège et ce drôle de petit livre, fragile et intimiste, intitulé Georges au vélo et auquel je me suis attaché tout particulièrement.

Son dernier livre, Terres de silence, est peut-être le meilleur de toute son oeuvre, preuve s'il en fallait de cette maîtrise lente mais irréversible vers une parfaite expression de son art d’écrivain. Que le mot silence soit celui qui clôt sa bibliographie est tout un symbole. Mais comment pourrait-on définir cet art si particulier de Pellaton ?

Il faut revenir au silence et à ce retrait, à cette discrétion aux vertus essentielles. On ne pourrait pas dire que Jean-Paul Pellaton observait. Observer, c’est déjà agir, c’est déjà aller vers l’autre, intervenir. Or Jean-Paul Pellaton n’intervenait pas. Il rendait compte et il attendait.

Sa patience était infinie : il attendait. Il faut comprendre que pour lui le mystère était dans les êtres et dans les choses. Il n’y avait donc aucune raison de les mettre en mouvement ou de vouloir qu’ils résolvent leur problème. Il n’y a rien à résoudre dans les livres de Pellaton. Seulement des êtres et des choses qui sont. Et ce qu’ils sont est mystérieux.

Parfois fantastique, souvent énigmatique, toujours mystérieux pour ne pas dire incompréhensible. Ce qu’on peut faire et qu’il faut faire c’est se placer, discrètement et poliment, bien sûr, devant ces êtres et ces choses et les décrire. Jusqu’à ce que leur dimension d’étrangeté se dévoile. On a parlé de fantastique au quotidien : c’est une autre façon de dire la même chose. Et c’est vrai que plus une chose est familière et plus elle apparaît extraordinaire lorsque le mystère qui la pénètre se fait jour.

Voilà ce qui va nous manquer : ce guetteur de mystère au cœur du plus familier. Il faut imaginer Jean-Paul Pellaton, dans sa minceur filiforme, s'avancer vers son univers habituel, et sur la pointe des pieds, sans avoir l'air d'y toucher – et d'ailleurs ne touchant à rien – décrypter pour ses lecteurs fidèles et attentifs le mystère contenu dans tout ce qui vit et dans tout ce qui est.

Claude Frochaux

05.05.2000

 

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