"Le Silence d'Ilona"

Journaliste à Paris pour 24 Heures et La Tribune de Genève, Vincent Philippe est originaire de Delémont. En 1978, il publie un livre historico-politique, Le Jura République. Il a passé ensuite au roman, avec Dans les pas de Sophie en 1988, et Son Fils Mateo en 1994. Son dernier roman, Le Silence d’Ilona, a paru à la fin de l’année dernière.

Récit de la mémoire, images troublées du passé, regard jeté sur l’histoire d’un siècle particulièrement sauvage, commentaires à propos d’une Suisse qui ne fut pas si propre qu’on voudrait le faire croire, fragilité des êtres, le livre de Vincent Philippe explore les méandres d’une histoire familiale bouleversée par la guerre, mais sévèrement tenue secrète par la mère, Ilona, la juive hongroise qui a eu la chance d’épouser un Suisse.

C’est au travers de photos que Thomas (l’auteur ?) remonte le fil de souvenirs qui ne sont même pas inscrits dans sa propre mémoire, puisque Ilona a porté seule, durant toute une vie, le fardeau du malheur de son clan : sa mère et sa sœur ont été emportées jadis par le nazisme. Ont-elle fini à Auschwitz ? Ont-elles été jetées dans le Danube comme tant d’autres victimes ? Thomas est brutalement confronté à une réalité enfouie, que seul son père connaissait. Un ami et un cousin resté en Hongrie vont l’aider et le soutenir dans sa quête de vérité. Pour cet enfant né en Suisse et devenu adulte, le monde bascule quand il comprend qu’il a de fait échappé à la mort, lui qui menait une petite vie tranquille, " qui allait à la messe le dimanche matin…, qui se goinfrait de pâtisseries, quand les enfants du même âge, dans l’Europe voisine en train de relever ses ruines, en étaient encore à espérer du pain ".

Il va tenter de comprendre le silence d’Ilona à propos du drame qui la touche, et à propos de son état de juive, elle qui était catholique pratiquante. Moult personnages du passé vont surgir, tels des fantômes traînant dans le sillage de la mort. Un grand-père haut en couleur, Cornelia l’Autrichienne, fervente Nazie, amie d’Ilona, et sa fille Bettina, furtif amour de Thomas, une fille trop libre pour lui, qui disparaît dans le chaos de la nouvelle vie urbaine et artistique de Berlin.

Chargé d’émotions, le récit de Vincent Philippe explore avec délicatesse la complexité des âmes qui ont passé par d’indicibles souffrances et par la peur. Inscrivant une histoire particulière dans les désordres de l’histoire contemporaine d’une Europe à feu et à sang, l’auteur parvient à insuffler au texte des accents d’authenticité qui toucheront le lecteur. Celui-ci regrettera peut-être que l’écriture ne soit pas plus rigoureuse. Construit de manière assez subtile, Le Silence d’Ilona ne fait aucune place à un style littéraire qui eût pourtant convenu au sujet. C’est dommage, car il étire par moments phrases banales et lieux communs, en contradiction avec la sensibilité du texte. Mais après tout, il s’agit d’une sorte de témoignage, l’écriture journalistique hâtive ne lui enlève pas sa force.

Vincent Philippe, Le Silence d’Ilona, Campiche Éditeur, Orbe. 1999, 140 pages.

Bernadette Richard

vendredi 5.5.2000

 

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