Lette ouverte à ceux qui croient encore en l'écoleDire que lécole traverse une crise est un euphémisme : elle est malade de ses réformes. Les tenants de la nouvelle économie se sont alliés aux cerbères de la sous-culture pour condamner les enfants à la réforme perpétuelle. Tout change tout le temps, donc lécole doit bouger, nous dit-on. Elle a ainsi perdu ses repères et a déboussolé aussi bien les élèves que leurs parents ; de leur côté, les professeurs nen peuvent plus.
Cette lettre ouverte partage :
- la croyance quà lécole seul le savoir est porteur de graines duniversalité qui permettent à un individu de devenir lui-même en sélevant ;
- la confiance en la raison qui a inventé la liberté civique, la démocratie, les droits de lhomme et du citoyen ;
- la conviction que le monde de la culture nest pas un verni qui sécaille au moindre frimas, mais quil permet à lhumain de donner un sens à sa vie.
Ce qui soulage a remplacé ce qui sauve : la culture sauvait, le multimédia soulage. L'école sauvait, le divertissement soulage. La lecture sauvait, le jeu vidéo soulage. La religion révélée sauvait, le New Age soulage. La responsabilité sauvait, linconscience soulage.
Cette lettre ouverte en appelle à un nouvel humanisme qui pourrait sauver lécole.
Extrait de : Lettre ouverte à ceux qui croient encore en l'école
Chers vous,
Vous le savez, lécole traverse une crise inédite. Ce nest partout que réformes, restructurations, changements radicaux, introduction de cycles de formation, réécriture des programmes, redéfinition des objectifs, suppression des notes, hétérogénéité, adaptations incessantes en tous sens, qui ont fini par déstabiliser un système scolaire qui, il ny a pas si longtemps encore, se révélait un des meilleurs quon puisse espérer. Chacun y va de sa petite retouche personnelle ou de sa réforme complète pour être romando-compatible , peut-être même euro-compatible . Tout change, tout évolue : on saccorde en ceci au principe de supériorité du nouveau venu, et les professeurs, les élèves, les parents même sont mécontents parce quil sagit non pas dune amélioration mais dune véritable spoliation. En effet, personne ne sy reconnaît, et il faut être un mutant pour comprendre les arcanes aussi bien de la nomenclature moderne que la complexité des filières, des options et des incompatibilités proposées aux élèves. Le monde est complexe, vous rétorque-t-on, pourquoi voudriez-vous que lécole népouse pas les mêmes chemins tordus ? Il vous a suffi de participer une seule fois dans votre vie à une de ces fameuses séances dinformation et vous avez jaugé lampleur du problème. Vous êtes instantanément placé au cur dun labyrinthe mais cest un labyrinthe où on ne se retrouve jamais parce quà chaque tournant que vous prenez, les murs changent de position. Cest un système mouvant, sans repères, qui se modifie à mesure que vous le comprenez. En fait personne ne peut maîtriser lensemble du système. Mais cette complexité est en fait indicatrice de la vacuité du contenu. Aussi navez-vous quune vague idée de la solitude des élèves, des professeurs et des parents, placés continuellement dans la tourmente de la réformite qui sest emparée de notre école.
Et dire quici ou là nous croisons encore des agités de tous poils qui proposent de faire bouger lécole alors que nous souhaiterions nous arrêter un moment, juste un instant, une minute, pour faire le point ! Pour reprendre notre souffle avant de nous recentrer sur lessentiel.
Aussi longtemps quon pouvait croire au progrès, cest-à-dire penser que ce qui arrivera demain est supérieur à ce qui se passe aujourdhui, que le successeur est meilleur par définition, lécole pouvait affirmer quen changeant elle irait vers un mieux. Il nen est rien.
Cette courte lettre que je vous adresse, chers vous, est le fruit dune profonde inquiétude. Elle se veut un apport à la fois vif et parcellaire à une réflexion sur lavenir de notre école, sur le rôle dune institution publique aujourdhui en perte de crédibilité, minée de lintérieur par des idéologies puissantes et destructrices, et menacée par un mouvement extérieur toujours plus légitime qui milite en faveur dune réelle alternative : le bon scolaire proposé aux contribuables pour leur assurer un nouveau droit, celui de choisir librement pour leur enfant lécole qui leur convient.
Lette ouverte à ceux qui croient encore en l'école, L'Age d'Homme, Lausanne, 2001