La divergence

Regolare come un orologio, il ginevrino Jean Vuilleumier pubbica dal 1968 un libro all'anno suppergiù: nei venticinque volumi prodotti s'intrecciano romanzi e opere saggistiche. S'intrecciano, più che alternarsi, dacchè le preoccupazioni sulle responsabilità dello scrittore e dell'intellettuale sono ben presenti nelle produzioni narrative; viceversa una forte ansia letteraria, poetica e religiosa è il centro delle realizzazioni saggistiche. Si prendano due libri chiave, di questa bibliografia sovrabbondante: Le complexe d'Amiel del 1985 et Blanche, Marthe, Camille, del 1996. Il primo tenta di trarre un teorema da un'impressionistica lettura del grande non-scrittore ginevrino Henri-Frédéric Amiel (1821-1881), impotente a scrivere per troppa ambizione. Il secondo ripercorre il destino delle Carmélites rese celebri da Bernanos e Poulenc, per evidenziarne il sovvertimento mistico dei valori correnti. Entrambe queste preoccupazioni, le ritroviamo in quest'ultimo romanzo, La divergence: protagonista uno scrittore "a secco", che in un viaggio in Canada subisce come uno sdoppiamento doloroso il suo raccogliere onori e gloria e il vuoto interiore di un'ispirazione che sembra mancargli. Fin troppo scontato è l'arrivo del secondo tema - pilotato da Vuilleumier, con una suspense un po' artata: lo scrittore in panne ritroverà di che ringalluzzire la sua penna nell'incontro con l'ambasciatore francese che lo accompagna nei festeggiamenti, che gli confida come un'immane tragedia personale la partenza della propria figlia presso un convento di monaci trappisti. Il racconto lineare non piace allo scrittore ginevrino, ecco perché - in modo meno felice che nei libri precedenti - la vicenda è costruita per interpolazione di brani di diario, di ricordi di un precedente viaggio in Borgogna, nel quale il nostro era stato folgorato dall'assassinio perpetrato in Algeria proprio su un gruppo di monaci trappisti. Ma la sensazione di assistere a un gioco narcisistico di chi scrive il romanzo, l'eccessiva simbolizzazione cui è sottoposta una "divergenza" tutto sommato transitoria (e perché no, normale!), lasciano nel lettore la sensazione che si meni un po' il can per l'aia e che il trucchetto meta-narrativo non sia che un modo - purtroppo non assunto - di far fronte a una vera afasia di Vuilleumier. Il che, giunti all'opus 25, e a poco più di un anno di distanza dal numero 24, non dovrebbe quasi neppure stupire.

Pierre Lepori

Radio Svizzera Italiana – Rete2

La Manipulation

Vuilleumier signe un polar dépouillé et revendicatif

Ce vingt-quatrième livre de Jean Vuilleumier, livres parmi lesquels on compte non seulement des romans et des récits mais aussi des essais, porte l'un de ces titres que l'auteur, apparemment, affectionne, et qui se réduisent le plus souvent à un substantif : après La rémission, L'effraction, Le transfert, pour ne citer que les derniers parus, c'est ici La manipulation, qui s'annonce d'emblée comme un policier

Un acte utopique

Désespérés par leur impuissance à défendre les exclus de la société dont ils s'occupent, un groupe d'animateurs d'une péniche où sont logés les sans-abri se laisse entraîner peu à peu à réaliser un acte utopique : avec la complicité du chauffeur d'un riche banquier, ils vont enlever celui-ci pour exiger une rançon. Le rapt échoue à cause de plusieurs retournements de situation inattendus, et les membres du pseudo-gang écopent de peines de prison assez sévères. Même si l'argument policier n'est certainement pas, pour Vuilleumier, le principal, il vaut mieux arrêter là le résumé, ou à peu près, pour laisser sa surprise au lecteur.

Une surprise qu'il n'attendra pas longtemps; les pages de ce que Vuilleumier appelle ici un "récit" sont extrêmement dépouillées, et, de surcroît, peu nombreuses. Sans doute est-ce à cause de ces dimensions que l'auteur parle de récit plutôt que de roman, car on ne voit guère, à niveau de la forme, ce qui justifierait autrement l'appellation si l'on compare ce livre aux précédents.

Une fois de plus, Jean Vuilleumier se penche sur ce qu'on appelle maintenant le quart-monde pour décrire non seulement ce scandale mais aussi la totale impuissance à laquelle sont réduits les gens de bonne volonté qui voudraient leur venir en aide. Qu'un tel sentiment conduise à rêver l'impossible est logique, peut-être même, pour les plus engagés, inéluctable : exutoire à la rage, ne serait-ce que cela.

Fidèle à son principe, Vuilleumier confie aux divers protagonistes sa plume pour qu'ils racontent les faits. Or, ils sont aussi succincts que l'est toujours l'auteur lui-même, et ils partagent manifestement avec lui son goût pour la description et son refus de plonger dans les intériorités des personnages.

D'ailleurs, on pourrait croire que l'écrivain genevois a repris les ingrédients de son précédent roman pour les agencer selon une nouvelle configuration : nous retrouvons l'homme d'Eglise, et la mort violente par accident de voiture, par exemple, et, bien sûr, les idéalismes des comparses confrontés à l'impitoyable déni des nantis et des collectivités face à ce que Vuilleumier va jusqu'à appeler ici "génocide".

Jean Vuilleumier, La manipulation, Ed. l'Age d'Homme, 101 pages

Monique Laederach

21.10.2000

La Rémission

La rémission, c'est d'abord un sursis, un apaisement, unes suspension du mal: cet autre versant de la vie que découvre le libraire Germain Lancelot, fraîchement opéré d'un cancer, alors qu'il refait surface dans un centre de soins, sous l'air pur des montagnes et l'attentive tendresse de son amie Nicole. Mais la rémission désigne aussi l'action de remettre les fautes, de trancher les liens qui enchaînent la victime au coupable. Sur ce double sens, l'écrivain genevois Jean Vuillemier (également critique littéraire à la Tribune de Genève) a tendu un roman grave, sobre, introspectif, mais porté en même temps par quelque chose d'aérien, comme un souffle tiède. Germain Lancelot paraît y flotter entre ciel et terre quand, tout à coup, le passé vient frapper à sa porte. Sous l'allure d'un d'un promeneur bedonnant, le libraire a reconnu l'homme qui a brisé, de manière horrible, la vie de sa jeune soeur Nancy. La confrontation a lieu. Face à ce criminel éperdu du désir d'expier, de racheter ce que la prison n'a pas suffi à acquitter, Germain va voir ses humeurs balancer "entre la répulsion, l'irritation et l'étrange, l'inquiétante connivence". Rien d'une fascination morbide, non, mais le constat que le coupable n'est jamais seul à porter le poids de son crime. Germain va décider d'alléger le fardeau: "Une noirceur s'était dissoute, dès la seconde où, tacitement, il s'était chargé de l'ancienne faute de son visiteur, afin d'en partager avec lui le poids." C'est sur cette pente de la rémission que glisse doucement le roman méditatif de Jean Vuilleumier dont on goûte les méandres subtils, et la lumière qu'il fait naître au plus proche du voisinage de la mort.

La Rémission L'Age d'Homme 126 p.


15 janvier 1998



Le Transfert

Jean Vuilleumier tente une réponse spirituelle

Comment peut-on avoir envie de vie monastique en cette fin de millénaire en accéléré.

A la rédaction de La Dépêche, on s'attend à des licenciements, ce qui va inciter Julien Levasseur, l'un des personnages du roman de Jean Vuilleumier, Le transfert, d’accepter de faire un reportage sur la vie monastique. Les illustrations seront assurées par Carole Dupin, qui élève seule son fils Jonathan, traquée cependant par son ex-mari et ses violences jalouses.

Au monastère d’Hautefeuille, Julien retrouve un de ses anciens collègues, Christophe Bachelard, qui, à l'époque, avait brusquement disparu et dont personne ne savait, n'imaginait même qu'il avait pu choisir la vie monastique.

Julien fait donc ses interviews, happé par instants par l'atmosphère du cloître comme par une nostalgie. Carole fait ses photos, tendue à l'idée que son fils pourrait être menacé. Et Christophe s'explique sur ce qu'il considère comme une "contestation radicale" d'un monde de violence et de profit.

UN REGARD DÉCONCERTANT

Jean Vuilleumier travaille ici par chapitres de plus en plus succincts, et de plus en plus "décharnés", pourrait-on dire, s'il n'y avait la volonté apparente de ne laisser saisir par les personnages que ce qu'ils perçoivent par l'un ou l'autre de leurs sens: l'ouïe et la vision, bien sûr, mais aussi l'odorat. Ainsi, c'est bien à niveau d'une sensualité, avec tous les filtres qu'y suppose la subjectivité (qui rejette autant qu'elle transmute), que Vuilleumier construit son roman en une sorte d'extension de "l'école du regard", mais avec non moins de rigueur dans son application. Ce qui ne laisse pas de déconcerter un peu le lecteur qui, loin d'être conduit le long d'une histoire (ou d'une quête spirituelle) se voit contraint de suppléer largement au non-dit par sa propre imagination.

Il est vrai que, malgré les apparences, ce n'est sans doute pas l'histoire du journal La Dépêche, ni celle de Julien, ni même celle de Carole et de sa mort brutale qui sont les enjeux de ce livre. Les "événements", si l'on peut dire, sont d'une violence quotidienne, et sans doute était-il plus important pour l'auteur de noter - de manière très peu conventionnelle au demeurant - pourquoi et comment on peut, dans les années nonante encore, rêver de vie monastique. Comme "contestation radicale" peut-être, mais tout de même avec une ambition haut placée: "Oublier notre petite personne, notre individualité avec ses exigences. Non pour l'étouffer, et moins encore la mutiler que pour la subordonner à un projet plus ample."

UN ROMAN ENGAGÉ

Dans cette perspective, il faut sans doute considérer Le transfert comme un roman engagé: Vuilleumier tente de trouver (d'offrir) une réponse spirituelle à la frénésie d'égocentrisme et d'hédonisme de cette fin de millénaire, et si ce n'est une réponse "spirituelle", dédiée peu ou prou à Malraux, du moins une hiérarchisation des perspectives qui, débouchant sur "plus ample que nous", nous rendrait le sens des responsabilités humaines.

Jean Vuilleumier, Le Transfert, Ed. L'Age d'Homme, 114 pages

Monique Laederach

12 FÉVRIER 2000

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