Extrait de presse

Vivre au-delà de la mort
«Un temps si court»; un «récit» d'Hélène Zufferey. .

«Nous aurions trouvé un appartement fin de siècle...»:ainsi commence le récit, annonçant déjà la rupture de destin. Quelques pages plus loin, c'est précisé: «métastases d'une tumeur maligne, forme explosive, infiltrations». Le diagnostic arrive «comme de la suie dans le ciel bleu du premier printemps»; la vie est fracassée.

Intégrer le malheur à l'existence quotidienne

La cassure est terrible, accentuée en contrepoint par les souvenirs heureux, par les projets que Julie et Lucien avaient élaborés, par la vie frémissante qui les entoure alors que le printemps fleurit dans la nature, I'amertume se glisse dans le corps et dans l'âme.

Lucien sait qu'il va vivre sa dernière étape: le tarissement de la vitalité, I'abattement, I'écrasement des forces confirment cette certitude; Julie l'accompagne dans ce douloureux cheminement; et porte en elle la souffrance qui la transperce comme des griffes.

Comment vivre cette cassure et l'intégrer dans l'existence ? Par le dialogue, le partage des souffrances , en communion profonde; par l'humour, cette clarté dans la nuit noire des sentiments, qui dissimule l'angoisse, qui a «quelque chose de libérateur» écrit André Breton et aussi «quelque chose de sublime et d'élevé»; par le silence qui permet d'intérioriser et de créer des espaces psychologiques de rémission; par le double jeu en ajustant le masque; par la révolte, libératrice elle aussi; et par l'acceptation:

«Tu attends les mains nues dans la fragilité de vivre dit Julie, la narratrice, acceptant l'épreuve, désireux de saisir l'instant dans ses replis les plus secrets (...) je te trouve aujourd'hui une noblesse, une pauvreté solennelle qui s'est gravée sur ton visage où chacun de nous peut se reconnaître dans la solitude et le partage de la souffrance»: «Ton exemple sera le phare au-dessus du gouffre.»

Vivre au-delà de la mort

La réflexion va basculer, se projeter plus loin que la mort: prendre au vol l'âme qui quittera le corps; aimer au-delà des tombes; malgré la trahison des étoiles, apprendre à ne pas être victime, retrouver en soi I'exigence d'exister. Et après la mort, après le dernier regard et le silence des mots, après l'éclatement de la douleur, apprivoiser le vide, se leurrer, faire comme le cerisier blessé dont parle Ramuz, qui élabore une gomme blanche pour recouvrir la blessure.

Dire la souffrance avec retenue

Hélène Zufferey écrit un récit poignant dans lequel on ressent une émotion forte mais contenue; en une écriture aux rythmes diversifiés, en phrases souvent elliptiques, dont l'agencement exprime le désarroi autant que les mots eux-mêmes; la vie devient ainsi littérature.

Avec un infini respect pour dire la douleur; et une grande pudeur, une délicatesse d'où s'épanche constamment l'émotion, même lorsque sont évoqués ou décrits les événements quotidiens, d'autres destins ou les situations internationales; car tout y est lu en regard du drame vécu chaque jour, tout y prend une résonance intérieure et une signification particulière.

Hélène Zufferey, Un temps si court, Editions Monographic.

HENRI MAÎTRE

 

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