Préface de Pierre-Marie Pouget
Sonnets invitatoires, de Luce Péclard (Editions du Madrier, CH 1416 Pailly, décembre 2006)« Heureux les cœurs purs,
car ils verront Dieu. »
(Mat. 5,8)Luce Péclard nous fait une fois de plus cadeau d'un ensemble de sonnets pleins de vigueur spirituelle. La poétesse du Nord vaudois écrit sous l'inspiration du « livre d'or » qui l'illumine de sa transcendante splendeur et lui permet de se dégager de la barbarie de l'humanité déchue. Les poèmes qui naissent d'une telle lumière intérieure opèrent le passage de l'indignation profonde à l'espérance salvifique, bienheureuse.
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« Invitatoires », ces sonnets sont qualifiés d'un terme appartenant au champ lexical de la liturgie monastique. La prière des « Heures » commence par les matines, se poursuit par les laudes, prime, tierce, sexte et none, s'achève par les vêpres et l'office des complies. Or, l' invitatoire est une antienne des matines que les chartreux, par exemple, entonnent entre minuit et une heure.
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Dès le premier vers du premier sonnet, la tonalité générale du recueil est donnée. La poétesse se compare au « moine en chartreuse ». Elle se sent en communion avec les orants qui vivent dans la solitude pour être tout entiers à l'écoute de Dieu. Elle aussi déambule, « capuchon rabattu, comme moine en chartreuse ». Son avance, « opiniâtre chemin », s'affirme en déambulatoire. Allant de son « pas balancé », elle ressent la nuit effrayante du monde et des cœurs. Mais la nature champêtre, étrangère à l'agitation des hommes, lui offre le silence propice à l'élan de l'âme vers l'éternelle Source. Les arbres ouvrent « les bas-côtés d'une nef sans ogive où les arcs éclatés cherchent leur clé de voûte au ciel aléatoire ».
Un lieu se constitue dans la chair frémissante et blessée du chant poétique. Le sanctuaire est ici construit sur la base palpitante d'un vécu longuement médité, filtré par les exigences critiques et spirituelles de la pensée.
L'imaginaire à l'œuvre dans cette floraison de sonnets donne accès à un univers axé sur la reconnaissance de l'Origine lumineuse d'où il vient. Cet univers peine cependant à trouver la « clé de coûte » au ciel aléatoire ». Le cours du recueil, qui se déploie sous le regard du lecteur attentif, assume une forte tension entre les aléas du ciel, associés aux vicissitudes de notre condition, et le vol des oiseaux planant « sur les sillons gravés dans le psaume éternel ». Par conséquent, les cris d'indignation de la poétesse n'ont jamais le dernier mot. L'apaisement triomphe, car les signes du temps se lisent dans l'éclairage de l'Eternel. Rien de surprenant, dès lors, que ces sonnets fassent neuf fois référence aux livres canoniques de la Bible, deux fois à l'évangile de Thomas, deux fois à saint Augustin, une fois à Dante, une fois à Angelus Silesius et une fois à l'ange dont parle Jean Cocteau.
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Le for intérieur de la poétesse est « comme une tour au-dessus de l'effroi ». Il en règle la marche et le chant. La poésie porte l'humanité déchue en chacun de nous, y compris chez les poètes et poétesses inspirés, de l'indignation la plus vive à la supplication confiante et, finalement, à la vision intérieure du « livre d'or ».
Le poète « habite un livre d'or », d'où
« l'ordinaire est banni ».
« Sous le ciel, il emplit sa corne d'abondance,
La déverse aussitôt, divinement agi,
Dans l'extase, animé d'une indicible danse ».L'indicible danse, qui nous enivre d'une musique supérieure, d'harmonie et de paix intégrales, évoque ici, non plus la lointaine figure de Dionysos, mais le Dieu d'Amour dont les rayons enflammés pénètrent jusqu'au plus épais de nos ténèbres, ne leur cédant pas la victoire.
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La danse indicible engage la personne qu'elle inspire à la rendre dicible. Ô paradoxe de la poésie ! Seules les ressources d'une image iconique, dont chaque vrai poète a le secret, peuvent laisser advenir l'indicible dans le dicible. Cette sorte d'image, loin de faire écran, est toute de renvoi à ce qu'elle n'est pas. Ainsi, l'image s'efface selon qu'elle incarne le « livre d'or » qui, dans cette même mesure, demeure en retrait de toute incarnation. Plus il est suggéré, moins il est dit ; plus il ressort dans son caractère indicible et conduit au silence d'où proviennent et retournent les mots les plus beaux, ceux qui fêtent l'accueil de cette espérance au sein des pires noirceurs.
Merci à Luce Péclard d'entonner l' invitatoire des matines, de s'ouvrir au Soleil divin, alors que la barbarie de l'homme déchu possède des moyens sans précédent pour étendre son règne de violence inouïe. Quelle immense grâce de pouvoir écouter la voix silencieuse de l'au-delà, de pouvoir s'y livrer en un geste de ferme espérance ! Quel défi calme et lucide à ce monde lancé dans le jeu des plus terribles rapports de force !
Pierre-Marie Pouget
Pierre-Marie Pouget, né en 1941, à Orsières (VS), est l'auteur d'essais philosophiques, de poèmes, de récits, de romans et de nouvelles. Membre de l'Association Ferdinand Gonseth, qu'il préside actuellement, membre de l'Association des écrivains valaisans et de celle des écrivains vaudois, il a publié de nombreux articles. Il donne également des exposés sur des sujets philosophiques et fait des lectures publiques, tirée de ses livres. Il vit alternativement dans le val Ferret et sur les bords du Léman.