Un château
en Espagne sur terre vaudoise, par
Laurence Verrey |
Invitée cet été comme poète
au Château de Lavigny, dont j'ignorais - à deux pas de
ma porte- qu'il était depuis dix ans lieu d'accueil d'écrivains
du monde entier, j'ai goûté là au rare bonheur,
pour qui connaît la solitude d'écrire, de vivre avec cinq
de mes pairs une très belle aventure humaine et artistique, déliée
durant trois semaines du poids de la vie quotidienne. Par ces lignes,
je voudrais éveiller l'attention du public et des écrivains
de notre pays sur l'existence en Suisse romande de cette résidence
d'écriture, car peu d'écrivains suisses ont pour l'instant
vécu l'expérience. Restituer un peu du plaisir respiré
au château entre le solstice de juin et la mi-juillet, au long
de cette petite éternité.
Le Château de Lavigny est devenu résidence
internationale d'écrivains en 1996 par le voeu de feu Jane
Rowohlt, épouse du grand éditeur allemand Ledig-Rowohlt,
familier entre autres de Camus, Faulkner, Nabokov et diffuseur de leur
oeuvre en Allemagne. Ainsi chaque année pendant les mois d'été,
une trentaine d'artistes venus de tous les continents, choisis d'après
le projet d'écriture qu'ils présentent, se succèdent
entre les murs. Nulle obligation de produire une oeuvre durant le séjour,
ni de la montrer, mais la liberté d'écrire dans le calme,
dans la présence stimulante d'écrivains habités
par les mêmes questions fondamentales liées à la
création.
Il y eut nous : trois femmes poètes
et trois romanciers, hôtes pour vingt et un jours d'un château
en Espagne devenu réalité, entrant et sortant joyeusement
de nos tours d'ivoire, de nos belles heures d'écriture, pour
rencontrer l'autre. Au gré des festins offerts, apprivoisant
nos différences et les drôles d'accents colorant la langue
commune qui fut l'anglais, nous nous sommes écoutés, à
l'affût des ponts menant à des terres communes, de l'esprit
propre à chacune de nos cultures : la mélancolie de la
Finlande voilée d'humour caustique, le surréalisme burlesque
attaché à l'âme tchèque, une lucidité
combative venue d'Afrique du Sud, le subtil équilibre des contraires
qui se heurtent en Suisse, une lutte pour la liberté de pensée
aujourd'hui aux Etats-Unis.
Nous avons arpenté ensemble l'imaginaire,
heureux de lire à haute voix nos textes favoris, de nous traduire
mutuellement, ou de nous livrer au jeu des Cadavres Exquis, d'où
naquit même un authentique poète disparu. L'écriture
est essentielle pour chacun de nous. Ecrire, ce que personne ne peut
me prendre, dit Joel Haahtela, venu de Finlande. Ecrire a sauvé
ma vie, affirme Dawn Garisch d'Afrique du Sud. Ecrire pour ne pas mourir,
dis-je. Pour Michal Ajvaz de Prague, l'écriture est catharsis.
Quant à Susan Ludvigson, des USA, elle la nomme création
de l'âme. Elle et son compagnon Scott Ely l'enseignent à
l'université en tant que Masters of Fine Arts. L'écriture
comme ferment de vie, arme de résistance dans un monde où
faire entendre sa voix reste un combat, et la liberté individuelle
et collective toujours menacée.
L'ouverture entre les écrivains résidant
à Lavigny et les auteurs suisses gagnerait à être
élargie. Ce sera peut-être une des tendances nouvelles
à l'avenir. Une soirée de lecture publique est d'ores
et déjà offerte lors de chaque séjour, donnant
ainsi l'occasion à chaque écrivain de lire des extraits
de ses oeuvres.
Laurence Verrey
été 2005
Page créée le 16.06.06
Dernière mise à jour le 16.06.06