Édition
Un cahier de la fondation Mémoire éditoriale
retrace la création de l'association romande qui n'était
pas insensible à l'influence intellectuelle d'une droite française
pure et antiparlementaire.
Comment est née l'Alliance culturelle
romande
Destinée à mettre en valeur les
archives de l'édition romande, la fondation Mémoire éditoriale
publie son deuxième cahier, consacré à l'Alliance
culturelle romande (1962-1992). Dirigée par Myrian Weber-Perret
(1922-1985), cette association a organisé des rencontres entre
acteurs culturels romands et publié des cahiers thématiques
sous la forme d'une revue annuelle sur papier glacé: soucieuse
de consensus, elle constitue un témoignage majeur de l'histoire
culturelle romande, bien que sa pesante officialité n'ait pas
toujours été propice à la prospection artistique.
Fils d'un commerçant alémanique,
Myrian Weber, tenté un moment par la théologie, sera professeur
à l'École internationale de Genève jusqu'à
sa retraite. Le jeune homme anime dès 1941, avec deux amis, la
revue Pages à laquelle collaborent Ramuz et Roud ainsi que des
poètes français que la censure de leur pays a fait taire.
Dès fin 1942, Weber-Perret prend en main la rubrique poétique
de Vie, Art, Cité et consacre à l'été 1943
un numéro anthologique à la poésie romande.
En retraçant les influences intellectuelles
du fondateur, tout se passe comme si l'historien Simon Roth, fasciné
par les figures littéraires de Jaloux et Reynold, s'étaient
excessivement ému de destinées individuelles, quitte à
ne pas peindre frontalement - sans rien en cacher toutefois - un milieu
à la cohérence particulièrement significative en
cet après-guerre: celle d'une droite dure, antiparlementariste,
antisocialiste, antiexistentialiste.
Le maître à penser littéraire
de Weber-Perret n'est autre que l'écrivain et académicien
français Edmond Jaloux. Lié à l'Action française,
monarchiste, antisémite, il s'est réfugié à
Lutry en juillet 1940 où il passe la guerre, donnant des articles
favorables à Pétain au Mois suisse, revue de la collaboration
"franco-allemande", mais aussi au Journal de Genève
grâce à Jacques Chenevière. Inscrit comme Morand
sur la "liste noire" à la Libération et radié
des cercles parisiens, Jaloux conserve une aura importante en Suisse
romande, où les nostalgies maurrassiennes ont l'étrange
faculté de se prolonger après l'heure. Curieux de littérature
romande, le critique français inspire à son admirateur
Weber-Perret l'idée de rassembler les auteurs romands, d'où
naîtra l'Alliance culturelle romande.
Le second mentor affiché est Reynold,
le très catholique châtelain de Cressier, admirateur du
dictateur Salazar, et farouche défenseur d'un État chrétien
monarchique. Discrédité après guerre, Reynold est
défendu par Weber-Perret qui lui ouvre les colonnes de Vie, Art,
Cité. Il deviendra président d'honneur de l'Alliance.
Durant les années cinquante, Weber-Perret
prend déjà des contacts en vue de créer une revue
orientée à droite, avec des écrivains comme Maurice
Zermatten ou Jacques Mercanton. Il publie également Écrivains
romands 1900-1950 (1951), destiné à redonner aux auteurs
le sens de leur identité et de leur solidarité. Mais la
revue de gauche Rencontre attaque Weber-Perret, auquel elle reproche
le patronage douteux de Reynold et de Jaloux.
Baptisée pourtant sur les mêmes
fonts, l'Alliance naît en 1962 dans la foulée d'autres
institutions de la francophonie. Au congrès qui la ratifie prennent
la parole deux fédéralistes convaincus, très distincts
par l'idéologie: Denis de Rougemont et Gonzague de Reynold. Weber-Perret
mènera cette lourde barque jusqu'à sa mort en 1985, sa
femme lui succèdera jusqu'en 1987, date à laquelle Présences
prend le relais, avant le sabordage de l'association en 1992.
Jérôme Meizoz
SIMON ROTH, Weber-Perret, Genèse de
l'Alliance culturelle romande, Mémoire éditoriale, 174
p.
(3, rue Saint-Pierre, 1003 Lausanne)
4 mars 2000
Page créée le 20.11.99
Dernière mise à jour le 20.06.02