Donata Berra

Née à Milan, où elle a étudié la littérature italienne et la musicologie, Donata Berra vit à Berne depuis plusieurs années . Elle y est chargée de cours de langue et littérature italiennes à l'université. Elle a traduit de l'allemand à l'italien des auteurs comme Friedrich Dürrenmatt, Klaus Merz, Stefan Zweig. Pour son œuvre poétique, elle a reçu le Prix Schiller en 1993, le Literaturpreis des Kantons Bern en 1997 et la mention d'honneur du prix Gottfried Keller en 2001.
Son nouveau recueil, A Memoria di mare, est sorti chez Casagrande à Bellinzone, dans la collection «Versanti».

Mathilde Vischer nous propose en traduction un petit collier de textes – extraits de la section «Tempo» de ce recueil – extrêmement travaillés, ciselés, où la contemplation d'une œuvre d'art, d'un paysage, est associée à la cruauté d'une attente qui ne peut se détacher de l'inexorable déploiement des jours et des nuits. Des éclats de lumière y illuminent des mots de la mer, des détails de l'homme et de son existence, mais dans le crépuscule ils révèlent leur nature éphémère; fragiles, ils s'éteignent en un «Requiem» qui emporte les doutes, les questions, les conjectures. RDI

 

A memoria di mare

Martinez, un dipinto

Un lungo muro che profila la notte,
due finestre assorte nel ricordo di luce,
la luna, alta, ma fuori quadro,
suoi riflessi ai margini delle nuvole,
linee di luce dorata nella scanalatura delle colonne,
l’Arco di Tito.

Seduto nell’angolo d’ombra,
escluso dai raggi di bianco luminescente e oro
che appena tingono il suo sottile vincastro
un pastore, giovane, in veglia
attende l’aurora.

***


Martinez, un tableau

Un long mur qui borde la nuit,
deux fenêtres absorbées dans le souvenir de la lumière,
la lune, haute, mais hors cadre,
ses reflets à la lisière des nuages,
lignes de lumière dorée dans la rainure des colonnes,
l’Arc de Titus.

Assis dans un coin d’ombre,
à l’abri des rayons d’un blanc luminescent et or
qui colorent à peine son fragile bâton
un berger, jeune, veille,
attend l’aurore.

***


E andando lasciava la nave sul liscio dell’acqua
un nastro a ricciolo largo,
allucciolato d’oro,
ricolmo di liquide stelle
inghiottite dall’onda e sempre riaccese,
e spumiglie e fiocchi di mare
emblemi di specchi ritorti
sparenti e riapparsi poi sciolti
in barbagli, in scaglie di luce;

e lasciava, la nave
il lungo profilo del suo lento passare,
e del nostro, più incerto,
a memoria di mare scritta serrata, ma poi
appena stretta la cima alla bitta, la nave
viene solo richiesta di pronta consegna
del pesce pescato
ai camion del ghiaccio.

***


Avançant le bateau laissait sur la cadence de l’eau
un ruban à boucles larges,
pailleté d’or,
comble d’étoiles liquides
englouties par les ondes et toujours attisées,
écumes et flocons de mer
emblèmes de miroirs tordus
disparus et réapparus puis dissous
en lueurs, éclats de lumière ;

le bateau laissait
la longue trace de son lent passage,
et du nôtre, plus incertain,
sur la mémoire d’une mer écrite enserrée, puis
les cordages sitôt fixés, le bateau
n’est là plus que pour la consignation
du poisson pêché
aux camions de réfrigération.

***


Scende esitante dalle cimase
una timida sera
e pare non sappia come imbrunire
l’assorto chiarore che riverbera il mare.

Manda a lambire le soglie delle case
ombre vaporose e friabili,
giovinette ancora, insicure
del loro sottile, insidioso potere.

Ah, fosse già notte. Scura,
venuta nel suo buio a lacerare
con lame nere l’illusa giornata
nostra, ardua allo smorire dell’attesa.

***


Un soir timide descend hésitant
des corniches
il semble qu’il ne sache comment assombrir
la clarté pensive que reflète la mer.

Il envoie lécher les seuils des maisons
des ombres vaporeuses et friables,
encore jeunes, peu sûres
de leur fragile et insidieux pouvoir.

Ah, s’il faisait déjà nuit. Sombre,
venue de son obscurité lacérer
de lames noires cette journée rêveuse,
la nôtre, ardue à la pâleur de l’attente.

***


Tsunami

Quando sull’arco del giorno si schiaccia la notte
e abbruna la linfa alle nostre membra sfatte

passa la mano dell’onda e subito
abbiamo tutti lo stesso nome

i giochi le reti gettate gli sguardi la compiacenza
il lungo, faticoso metterci in scena
                                                              niente più appare

sotto il cielo ragnato da un inutile sole
come se il tempo si trovasse altrove
calma è soltanto la voce
nostra, che dice – in fondo noi
                                                              lo sapevamo.

Vieni, riposa, voglio accarezzarti di buio,
buio sulla tua pelle, a piene mani ti accarezzo di buio
che renda cieca la voce.

***


Tsunami

Quand sur l’arc du jour la nuit s’écrase
et assombrit la sève de nos membres défaits

passe la main de l’onde et soudain
nous avons tous le même nom

les jeux les filets jetés les regards la complaisance
la longue et pénible mise en scène de soi
                                                                               plus rien n’apparaît

sous le ciel toilé par un inutile soleil
comme si le temps se trouvait ailleurs
notre voix seule est tranquille
qui dit – nous au fond
                                                                                nous le savions.

Viens, repose-toi, j’aimerais te caresser de noir,
noir sur ta peau, à pleines mains je te caresse de noir
qu’il rende la voix aveugle.

***


Requiem

Ma come ti slontani, come ci lasci, disperatamente,
vuoto lo sguardo, dove nel suo fuoco
s'eran combuste tutte le speranze
nostre, tutte le speranze
bruciate come ali di farfalla.

Ridacci prima, che ci spetta, il pegno
rubato, dacci, che è la fine, un segno:
se il divorarci è stato il tuo riscatto
e non, come ne sembra, spreco
                                                            per noi
di tutta la potenza del terrore.

Ma è tardi, ora, e tu svaghi
il buio della sera,
cerchi di noi, e
ci hai lasciati indietro.

***


Requiem

Mais comme tu t’éloignes, et nous laisses, désespérément,
le regard vide, où dans sa flamme
toutes nos espérances s’étaient
consumées, toutes les espérances
brûlées comme des ailes de papillon.

Rends-nous d’abord, qui nous revient, le gage
volé, donne-nous, car c’est la fin, un signe:
si nous dévorer fut ta rédemption,
et non, comme il paraît, gâchis
                                                            pour nous
de toute la puissance de la terreur.

Mais il est tard, maintenant, et tu distrais
l’obscurité du soir,
tu nous cherches, et
tu nous a laissés en arrière.

Donata Berra
Poèmes extraits du recueil A Memoria di mare
traduits de l’italien par Mathilde Vischer.