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Thomas Bouvier

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  Improvisation 1

 

John M Armleder
Sans titre (Furniture Sculpture 167), 1987

Thomas Bouvier / Improvisation 1

TORVE [tóRv] adj.
1. (En parlant de l'oeil). Qui regarde de travers, dont le regard est oblique, menaçant. > Louche.
Regard torve, oblique et plus ou moins sournois*.
2. Littér. Oblique, placé de travers. Branche, racine torve. "Ces lèvres torves, ces yeux fuyants" (Giraudoux, in G.L.L.F.).
1532, "louche"; torvain en anc. franç.; repris 1846; lat. torvus

Torve : un mot que l'on n'entend guère aux terrasses des cafés, que l'on entend peu à la boulangerie ou au supermarché, que l'on voit rarement orner les panneaux tapageurs de la publicité. Torve avec lequel je suis vite tenté de faire vôtre et voter, orvet et vortex suivit de son X-torve qui pourrait être le nom d'un jeu vidéo dernier cri.

Torve, serré dans mon dictionnaire entre toruleux et tory, dont je ne sais pourquoi je l'aime tant et peux le dire vingt fois de suite sans qu'il perde un instant son charme oblique. Il n'est pas loin de torse et de sa cargaison pectorale. Pectoraux fermes et puissants qui tressaillent sous la caresse, poitrines lourdes et amples qui appellent la main comme l'appelle un fruit mûr. Torve, ferme dans l'attaque du t, doux dans le orve de l'arrivée. Ferme et doux, voilà pour le son. Le sens premier est tout autre qui amène la sournoiserie, la menace et le malaise léger qui suit de près tout ce qui est louche. Mais c'est le sens second, plus littéraire, qui m'importe aujourd'hui alors que je suis assis devant la reproduction photographique de l'œuvre.

Tout d'abord, je vois du vert. Un vert à la fois sourd et profond que je serais tenté de nommer vert-étang. Il évoque l'opulence d'une bourgeoisie de longue date, une fortune tranquille et sans tapage qui progresse, s'accroît, s'assied toujours davantage dans le contrôle de la chose matérielle. Je vois très bien ce vert dans les salons d'un hôtel de luxe, couvrant les fauteuils et le sol, voilant partiellement, en festons d'étoffes lourdes, les fenêtres qui donnent sur la cour intérieure où crachote dans une fontaine en demi-conque un minuscule jet d'eau. Verte la tapisserie du fauteuil, vertes les petites toiles suspendues à une heure au-dessus de lui. Celle de droite est monochrome, celle de gauche est traversée en diagonale par un filet qui sur la photo paraît d'un beige léger. Quant au fauteuil, il est ridicule. Il semble égaré dans un monde intermédiaire qui ne lui sied guère, loin des rives sûres de son monde à lui : l'horizontalité. Les pieds, le fond, les accotoirs en ont besoin. Sans elle, les voici soudain déboutés, décalés, hors sujet. Le dossier au quotidien plus vertical ne s'en sort pas mieux, voici qu'il est à l'oblique prêt à ruiner les assauts des dos les plus robustes. C'est peu de chose, à peine un déplacement. Le fauteuil, au lieu d'être poussé contre le mur semble vouloir, en reculant, grimper à la paroi, laissant la bienséance qui voudrait qu'il restât sur le plat. Or voici qu'il semble pris, non pas le cul entre deux chaises, mais le corps entre deux états : vertical et horizontal. Voici que, tout à coup, il s'essaie à l'oblique. Oblique que l'on détecte sur la petite toile de gauche. Oblique reprise en deux traits fins sur le haut du dossier, l'un clair, l'autre foncé. Je songe que maints objets deviennent hostiles s'ils sont voués à l'exil au pays de l'oblique. Une table, un lit, un bol, un pot, et aussi les ponts d'un vaste navire de plaisance. Horizontaux, je les peuple facilement de transats aux toiles tendues par les séants de gens riches et beaux, sirotant des cocktails écœurants dont les fruits se reflètent nets dans le noir profond de leurs lunettes ; de grooms empressés un plateau, un bouquet, une missive à la main. Mais faites venir un ouragan, hachez la mer en vagues de trente mètres et les ponts vont à l'oblique, puis à l'oblique encore et chacun court et crie pour sauver sa peau et plus particulièrement celle qui couvre le séant. Je songe au mot oblique qui appelle panique et pourquoi pas, Titanic ! Autant de hics qui viennent troubler le confort que l'on attend de ce fauteuil au dossier enveloppant dont la douceur maternelle est compromise par ce pas de retrait.

Je regarde encore l'image et devine que, pour qu'il tienne ainsi, il a fallu scier des pieds, amputer ce qui rendrait possible un retour à l'état premier. Voudrais-je le remettre à plat qu'il tomberait, lamentable, projeté dans une oblicité au moins aussi néfaste. Oblicité ? Ou devrais-je plutôt dire : " Torvitude " ?

Je laisse encore mon regard errer dans le vert sombre. Je songe qu'un hôtel de luxe construit tout de travers n'aurait guère de clients et que ce fauteuil, lui, ne trouvera plus guère de séants. Mettez tout le confort d'une ville bourgeoise à l'oblique et il se craquèle, se fendille, s'abolit tout à fait. Y aurait-il des ombres au Paradis ? Le regard du serpent était-il torve ? Et tous les démons sous sa coupe n'ont-ils pas les jambes torses ? Je ne sais.

Peu de choses sûres en ce monde si fort en tromperies et malices mais aujourd'hui, assis devant la reproduction photographique, j'affirme ceci "L'oblicité, presque toujours, nuit gravement au confort."

Thomas Bouvier,
Improvisation I. In: Muscheln und Blumen - Literarische Texte zu Werken der Kunst. (c) 2003 by Ammann Verlag und Co., Zürich.
mars 2003

 

  Muscheln und Blumen

 

Beat Wismer, Stephan Kunz und Sibylle Omlin, Muscheln und Blumen, Literarische Texte zu Werken der Kunst, Aargauer Kunsthaus / Ammann Verlag, 2003

Eigentlich passt die Malerei in eine Falte der Zeit, aber diese Falte wird von ihr unendlich oft wieder entfaltet, und was da vor uns ohne zeitliche Ausdehnung erscheint, bleibt doch auf ewig in der Schwebe.

Jean-Christophe Bailly

"Mehr denn je scheinen mir Worte ausgeschlossen, und doch müsste die Möglichkeit, sich ihrer zwingend zu bedienen, da sein". schrieb Rilke einst in einem begeisterten Brief an seine Frau über die Bilder Cézannes. Rilkes Beobachtung mag dem vorliegenden Band wie ein Motto voranstehen.

Aus festlichem Anlass wurden 82 internationale zeitgenössische Schriftstellerinnen und Schrifsteller gebeten, jeweils über ein Bild oder eine Skulptur aus der Sammlung des Aargauer Kunsthauses zu schreiben. Die Texte sind mehr als überraschend. Unzählig vielfältig sind die Methoden oder Herangehensweisen. Es gibt - um nur einige zu nennen - mit Worten nachgemalte Bilder, wissenschaftliche Bildbeschreibungen, assoziative Gediche, persönliche Briefe, dramaturgisch intensive Erzählungen, hochqualifizierte Essays, ein Theaterstück und Texte mit halluzinatorischen Dimensionen. Die Imaginationen der Künstler und Autoren koppeln und verdoppeln sich, und es entstehen Momente des imaginierten Sehens in ihren kunstvollsten Resultaten. Muscheln und Blumen - nach dem Relief von Sophie Taeuber-Arp, das den Umschlag des Bandes schmückt - ein gleichnishafter Titel für ein unvergleichliches Buch.
Der Band ist eine erfrischende und ganz und gar besondere Anerkennung für ein international renommiertes Museum mit Beständen aus über 200 Jahren. Und endlich, ab Oktober 2003, kommt die bedeutende Sammlung dem Publikum in einem grösseren Umfang zu Gesicht - im attraktiven Erweiterungsbau von Herzog & de Meuron und Rémy Zaugg.

Beat Wismer
geboren 1953. Kunsthistoriker, lebt in Aarau. Seit 1985 Direktor des Aargauer Kunshauses Aarau.

Stephan Kunz
geboren 1962, Kunsthistoriker, lebt in Wettingen. Seit 1988 Kurator am Aargauer Kunsthaus Aarau.

Sibylle Omlin
geboren 1965. Germanistin, lebt in Zürich. Seit 2002 Leiterin der Abteilung Bildende Kunst Medienkunst der Hochschule für Gestaltung und Kunst Basel.

 

Page créée le 08.04.05
Dernière mise à jour le 15.04.05

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