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Marie-Claire Dewarrat

  Marie-Claire Dewarrat
 

Marie-Claire Dewarrat
Marie-Claire Dewarrat. 26.02.1949. Vit à Châtel-St-Denis, Suisse. Publie aux Editions de l'Aire - Michel Moret, 15 Rue de l'Union, 1800 Vevey. Prix Dentan, BPT, Blancpain, UBS, Etat de Fribourg.
Aime le cinéma, les vaches, le sauternes, l'hiver et le Lac de Lussy.

Bibliographie

A propos du texte proposé

De la calamité publique à l'effondrement privé, de la dévastation commune à la dégradation intime, de l'état de guerre nationale à l'état de guerre confidentielle, un couple de CELEBRATION (Orlando, Floride), se mesure et s'affronte dans le décor "USA IN DISNEY'S BRAVE NEW WORLD"...

 

  Inédit

CELEBRATION
LOIS ET COUTUMES DE LA GUERRE

Roman (extraits)

"En position !
On ne mord, ni ne rue, ni ne griffe.
Le dernier resté debout est le vainqueur".

Barry Lyndon - W. M. Thackeray -1811-1863 / Stanley Kubrick - 1928-2001

Quelque chose va tomber.
Feuille. Verte encore.
C'est trop tôt pour la chute des feuilles, on dirait.

Même si, sur le front vert des parcs, quelques flammes jeunes jaunissent çà et là. Même si la végétation, le long des rives, semble prête à prendre feu à la braise du soleil couchant, aux premières étincelles qui fusent dans la nuit basse, au ras du sol, tandis qu'une lumière de midi, à peine adoucie d'ocre, éclaire encore les hauts étages, la cîme des façades et les terrasses des maisons. Même si les buissons des terrains vagues paraissent s'embraser pour de bon aux lanières des flammes qui s'enroulent, se détendent, glissent, se nouent et se défont dans l'obscur d'en bas, traces phosphorescentes de ces véhicules qu'on ne voit plus, dissouts dans l'eau noire du fond des rues alors qu'on se tient au soleil, au jour grand ouvert et que, comme chaque soir, on ne parvient pas à croire que la nuit puisse nous atteindre, dans un moment, qu'elle puisse monter si haut, délivrant la ville de son poids titanesque, de sa densité, de tout l'acier de ses racines, pour ne redessiner que l'épure légère et multicolore de ses lumières nocturnes.

Il fait beau.
A dix heures, il fera déjà chaud.
On est presque à la mi-septembre.
Feuille verte.

Il n'y a pas un seul square dans ce périmètre de bitume, entre les blocs des immeubles, virgule de verdure anguleuse dans la longue phrase grise du ciment. Il n'y a pas un seul arbre dans le prolongement de cette rue qui file tout droit jusqu'au bout de l'île, marge ouverte sur la mer, point d'exclamation bleu, ou gris, ou noir entre les hauts mots sombres des maisons.
Elle descend.
Plume végétale. Flocon de sève. Papillon-tige avec une seule aile.
Elle tombe.

C'est trop tôt pour la chute des feuilles.
Surtout pour celles qui sont encore vertes.
Surtout pour celles qui n'ont pas d'arbres d'où tomber.
Là-bas, au fond de l'avenue, on dirait qu'un nuage a obscurci le ciel.

Quelque chose tombe.
Feuilles. Blanches. On dirait.
C'est incongru, cet envol de feuilles, sans parade, sans défilé, sans héros à couvrir de confettis. Les papiers ne pleuvent pas, un jour ordinaire de la semaine, dans les rues de cette ville. Même si on doit s'attendre à tout, à tout moment, dans l'atmosphère imprévisible de ce laboratoire urbain.

Feuilles. Notes. Mémoires. Dossiers.
Elles ne se dispersent pas comme ça, sans raison, le matin, dans l'ensoleillement des rues, bien qu'il en reste toujours de déchirées, de salies, de presque intactes ou de croupies, jetées aux angles des avenues, entassées en strates humides dans les renfoncements des cours, plaquées grandes ouvertes contre les grillages des terrains de jeux, compulsées, éparpillées, amassées par les remous de ces courants contraires qui lacèrent sans arrêt le pavé. Une. Deux. Dix. Voiles ténus. Brumes. Neige.

Ramages. Duvets. Ailes perdues. Mouettes sans corps ni cri.

Les gens marchent, on dirait, sur le sol épuisé d'une forêt d'arbres mutants dépouillés d'un feuillage livide, papiers tranchants déjà à hauteur de chevilles, la cadence de leurs pas à peine modifiée par le mouvement de leur tête qui se redresse, à peine ralentie par le flottement du regard qui cherche la source de cette turbulence, à peine gênée par l'immobilité des personnes arrêtées ici ou là, que la foule contourne sans y prêter plus d'attention.

La feuille verte a disparu.
Je cours, tête baissée.

Je trébuche. Genoux pliés.

Je glisse. Bras écartés.

Je tombe.
Un grand vent noir entre dans ma bouche.

 

Quelque chose est tombé.
Goutte. Sphère fluide.

Elle se détache d'un endroit que je ne vois pas, situé quelque part au-dessus de moi. Je ne distingue rien. La nuit, tout autour, est solide. Mais je sais qu'une goutte choit, d'en haut, sur moi: j'ai connaissance de sa nature à la seconde de sa disparition dans un éclatement liquide.

Elle se brise sur ma peau, toujours à la même place, dans un fracas d'apocalypse. Tout hurle autour de cette goutte tandis qu'elle se forme, s'enfle, se libère, s'abat, s'atomise. Et c'est à sa dissolution que le vacarme entre en moi.

Je ne bouge pas. Cela ne sert à rien. Rien ne presse. Rien ne me serre ni ne m'oppresse. Je ne sens rien autour de moi. Je suis obscur et sans limite.
Goutte. D'huile. On dirait.

Je ne respire pas.
Je n'ai pas de narines.

Je n'ai pas de lèvres. Pas de bouche.

Goutte. D'ambre. Je suis l'insecte disloqué. Le fossile.
Je suis une larme de poix dans l'arbre.

Je suis l'écorce.

Je suis aussi le bois.

Je suis la terre dépecée entre les racines.

Des scies mordent. Mâchent. Grincent des dents.
J'entends, dans des éclatements terribles, le va et vient vorace du métal, le hurlement circulaire, des coups et des stridences, des ébranlements, des matières qui hurlent en se rompant.
J'entends la dislocation du monde et des choses.
Et un cri.
La goutte ne tombe plus.
L'obscurité s'effondre.
Je monte. Je m'élève dans un jour aveuglant qui me fera mourir.

 

- Elisabeth Greenwood. Identifiée. Enregistrement 0014 terminé. Sauvegarde activée. Officier Neville, parlez.

- Enregistrement 0015. Zone A 1. Code 00 H 25 / 12.09.001.
Sexe masculin. Traumatisme crâne et face. Brûlures thorax antérieur et postérieur droit. Lésions abdominales internes. Fractures multiples du membre inférieur droit. Hémorragies sous contrôle. Pronostic réservé. Admis au Mémorial Hospital 21/B.

- Identification.

- John Mitchel Portman. Agent d'affaires. New-York, 346 W 22 ND Street. Résidence légale: Célébration, Orlando, Floride. Marié. Né le 22 septembre 1955 à New Bedford, Maine.

- Sources.

- Passeport et agenda trouvés sur la victime, veste, poche intérieure gauche. Transmission des données au Centre de Recherche des Familles.

- John Mitchel Portman. Identifié. Enregistrement 0015 terminé. Sauvegarde activée. Officier Neville, parlez.

- Enregistrement 0016. Zone A 1. Code 08 H 15 / 12.09.001. Restes humains. Sexe indéterminé.

- Identification.

- Sans.

- Sources.

- Sans.

- 0016. Zone A 1. Code 08 H 15 / 12.09.001. Non identifié.

 

Maintenant, nous avons fini d'attendre.
Nous attendions depuis cet instant où les voix matinales des téléviseurs, dans les cuisines, avaient brusquement changé de tonalité, nous contraignant à suspendre nos gestes pour écouter, puis pour jeter un regard sur les écrans. C'est à partir de ce moment-là que nous avons commencé d'attendre.

J'ai pu le voir. Mitch. Et j'ai pu voir, dans son oeil ouvert sur moi, qu'il avait peur, qu'il était devenu craintif et faible. Et que désormais, il allait avoir besoin de moi...

Marie-Claire Dewarrat

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  Bibliographie
 

Romans
Careme - Les Territoires indiens - Les Jours funestes d'Algernon Logan

Nouvelles
L'Eté sauvage - En Enfer, mon Amour - L'Ame obscure des Femmes

Théâtre
Nomi - Les Mites (Mythes) du Quotidien

Vidéo
Cartes postales - Paracelse

Livrets et oratorio
Un Chemin de Croix - Cinq Prières pour l'Homme séparé - Chansons pour grandir - Le Maître du Silence

Page créée le 28.10.02
Dernière mise à jour le 28.10.02

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