Patrice Duret

Né à Genève en 1965, Patrice Duret partage ses activités entre l'écriture, l'édition et le métier de bibliothécaire. Il a fondé en 2004 les éditions de poésie Le Miel de l'Ours, qui publient depuis leurs débuts des grands noms de la littérature romande (Jacques Chessex, Jacques Roman, Jean-Michel Olivier, Georges Haldas) aux côtés de jeunes poètes encore inconnus. Patrice Duret a reçu le Prix Édouard Rod 2006 et le Prix Pittard de l'Andelyn-Découverte 2005 pour Le Chevreuil, 51 tableaux du journal d'un homme qui quitte la ville pour se lancer, sac au dos, dans une longue marche afin d'«atteindre un état intérieur et non un lieu».
Son dernier livre, Les Ravisseuses, est une suite de 24 textes tantôt narratifs, tantôt poétiques, tantôt écrits sous la forme d'une lettre ou d'une carte postale, qui disent les étapes d'un itinéraire amoureux.
Le poème que nous publions ici est extrait de L'Exil aux chemises mouillées . Patrice Duret vient d'en publier une version parallèle (Ed. Samizdat).
APD

 

L’Exil aux chemises mouillées (extrait)

Un sac de grains
Saveur d’épices
Ce nouveau soir
J’avise un nom
Une boîte aux lettres
Un homme debout
*
Le bol de soupe
Et la rivière
Je m’assieds sur
La pierre gravée
Le lien du sol
*
Au bord de l’eau
Courroie nouée
Les hiéroglyphes
Jouent en pente douce
Je pose un pied
Dans la rivière
Le lien titube
Les pierres s’écartent
En haut le ciel
Claque dans ses doigts
Le sol s’effondre
L’eau le tunnel
Le point du noir
*
Autre versant
Une autre ronde
Comment La vouivre
Me prend la main
Assieds-toi là
Devant la grotte

Cahier et plume
Contre les rats
Pour les insectes
J’écris debout
Je vois la chaise
Brinquebalante
Le vieux fourneau
Et les tisons
Cratère des mots
L’orage est seul
À la cognée
Et sans vergogne
Je joue gueuloir
*
À mes côtés
En file indienne
Ils sont tous là
Le pou le buffle
Le veau le cygne
La chair fragile
Tarentula
Papille d’amour
Au dulcimer
Woody Guthrie
Dylan-Joan
Et puis Ginsberg
Et puis Paul Klee
Collé au mur
Un passereau
Sur la clôture
Reprise picking
Chambre à coucher
Nos doigts s’accrochent
L’été fait rage
Blanc au soleil
*
Dis-moi l’orée
La fin du film
Dis-moi qui ment
Dans les poèmes
Je veux signer
L’abécédaire
La science est folle
Perclus mensonges
Je veux signer
Ma peau mes os
*
Et de la lampe
Je vois le grain
Ne retenir
Que grain de cendre
Terreau obscur
Brûlot fragile
À fructifier
Ne retenir
Que le début
Les lignes frêles
*
Bord du tunnel
Je vois l’habit
En haut des marches
Je suis assis
J’attends la mise
J’attends l’épreuve
Je le sais bien
Qu’il faut attendre
Il y a les forges
Qui broient la braise
Et le moulin
Rouleur de blanc
Je prends la main
Qui vient se tendre
Je lui sais gré
*
Mais ce matin
Je pense à Georges
Assis à table
Coin Chez Saïd
Désormais vide
Posé cartons
D’autres affaires
Et sans bouger
Plier des mots
Dans un cahier
*
Vouloir partir
Et me lester
Lever valise
Et boire le bol
De l’errancier

***


Sud Italie
Sur le vieux port
Un café pauvre
Ouvre ses portes
Opiacées rances
Calamars frits
Le patron chauve
La chemise grasse
Tu veux boire quoi ?
Je ne veux rien
Juste les gens
Je m’assieds seul
Ouvre mon livre
Un paravent
Je fais semblant
L’heure est absoute
*
Un peu plus tard
Au même endroit
Le bar est plein
Suis toujours seul
Quelqu’un s’approche
Ou bien quelqu’une
J’ai l’œil vitreux
Elle dit bonjour
Je comprends pas
J’ai l’œil poisson
Mais je la suis
*
Un peu plus tard
Au même endroit
Larmes et brasier
Œil délicat
La joue rougie
Premier stylo
Premier carnet
Alors je note
Sans m’arrêter
L’œil de la vouivre
Et son sourire
Le rendez-vous
*
La nuit s’emballe
Je dois rejoindre
Navire-cargot
Et les vacances
Mais je l’attends
Elle va venir
*
C’était écrit
Sourire ému
Vous le saviez
Marteau d’absence
L’été noircit
Qui me retient ?
*
Ombre & secousse
Coquille de buffle
En plein désert
Comme un chiffon
Suant naseaux
Resté cloué
Au bastingage
Je bois la mer
*
La traversée
Sans queue ni têtes
Mes compagnons
Paroles en rut
Alors je lis
Sirène sans ombre
À l’autre bout
Sur l’autre pont
Sac de couchage
Plein de poussière
Serpent fœtus
Trop d’insomnie
Je prends la mer
Au coin du front
*
En point de mire
Dans la ruelle
Elle apparaît
Poète malade
Recherche compagne
Aux yeux braisés

Escarpins vifs
Dansent au sommet
De la ruelle
*
Posté dehors
Comme un vigile
J’attends la pluie
Qui ne vient pas

Patrice Duret
octobre 2009