Cétoine dorée (Cetonia
aurata)
I
Fête des Rois
Elle n'est presque rien. Même
pas un battement impalpable, au sein de cette terre qui se
fige sous l'étreinte du froid chaque jour plus acharné
et à la place de la coulée de bel humus
qui réchauffe la main, il y a comme une flaque du sang
noir coagulé. C'est pourtant là que, depuis
fin août, elle attend; oui, là, au bord de l'étang,
près de la souche du saule abattu l'an passé,
envahie de lichens vert-de-gris, déjà bien avancée
sur la voie du pourrissement. (Mais attend-elle seulement,
figeé dans son immobilité de grain de sable,
bien en-deçà encore de ce qui, en elle et pour
elle, a été fixé ?) Pour l'heure, tenaillée
de sommeil, elle n'existe pas, dirait-on. Invisible morte
non encore née, microscopique demoiselle mordorée
dormant dans l'uf, déposée dans un berceau
de poussière d'écorce et de boue durcie, pendant
qu'autour d'elle, toutes feuilles et fleurs tombées,
floconne la blanche saison.
II
Lundi de l'Ange
Et soudain, sous la feuille encore
acidement tendre de la pâquerette, cette vibration qui
la secoue du dedans, cet appel du soleil de fin mars qui a
dissous les derniers cristaux du froid, qui a fini de s'en
prendre aux crocus et aux primevères, qui maintenant
la chatouille et la flatte. Viens! Sors donc! Le monde est
ici où bourgeonne le poirier, où volète
une piéride pressée promise peut-être
à une pauvre fin, mais si heureusement ivre de la lumière
qui l'inonde. Viens!
Larve lilliputienne, se frayer un chemin
dans le terreau que trient et parcourent depuis peu ses grandes
cousines âgées d'un an, revenues à la
vie, ressuscitées, prêtes bientôt pour
la métamorphose dont elles ignorent tout, mais qui
fera d'elles ce qu'elle doivent devenir. Se gaver de bois
en décomposition, détruire les vestiges du saule,
ah, le projet de vie inscrit en elles! Se nourrir, grossir,
grandir, se développer dans cette ombre qui toujours
les enveloppe; fuir la pluie et sa menace; rêver de
l'air qui, un jour, leur fera peut-être un manteau neuf,
transparent et plus souple que la rude étoffe des saisons
qu'elle a connues. Tout un printemps suffira-t-il à
digérer tant de chimères accumulées?
III
Assomption
Il y a eu l'aubépine: à
peine les dépouilles de la nymphe abandonnées
au sol, elle a volé au cur de la corolle immaculée,
s'est couronnée d'étamines, a goûté
à la fine texture des pétales étalés
et perlés de rosée.
Il y a eu le sureau, buisson bourdonnant
d'insectes rapaces et quelle diligence il a fallu pour
attacher ses crochets aux ombelles citronnées, quelle
abnégation pour s'y maintenir en dépit du brouhaha
des abeilles!
Il y aujourd'hui la rose carminée
sur le retour, qui lui offre un chaton somptueux; joyau soyeux
et barbare, ambre et topaze, elle y étincelle de sa
lueur tour à tour verte et brune pailletée,
elle, gemme secrète sertie dans l'éphémère
tiare mérovingienne dont l'arbuste d'épines
se coiffe.
Sans ouvrir ses élytres, elle
s'envole parfois, magique machine vrombissante dans le ciel
d'été. Pour accomplir sa mission, elle devrait
encore se poser là d'où obscurément elle
sait qu'elle vient, pondre ses ufs, les cuirasser de
bois mort ou de glaise, assurer l'avenir avant de disparaître.
En aura-t-elle seulement l'occasion, elle que guette, vorace,
une corneille perchée sur le poulailler?
IV
Toussaint (coda)
Feu d'automne, nettoyage annuel, quête
de purification. La flamme qui lèche les feuilles amoncelées
sous les arbres dénudés par la tramontane n'épargne
pas les reliques du saule. Consumées, réduites
en cendres, dispersées par le vent emportant
avec elles, bien avant qu'advienne l'imago, l'insignifiante
esquisse de la cétoine dorée.
(De nous, de nos projets, de notre virtuelle
splendeur, en va-t-il autrement?)
Daniel Maggetti
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© Le Culturactif Suisse
Page créée le 28.11.02
Dernière mise à jour le
28.11.02
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