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Daniel Maggetti

  Daniel Maggetti
 

Daniel Maggetti
Né au Tessin en 1961, Daniel Maggetti vit à Lausanne où il est enseignant et chercheur à l’université. Co-directeur, avec Françoise Fornerod et Sylviane Roche, de la revue Ecriture, il fait partie du comité de rédaction de Feux croisés. Il est l’auteur de nombreuses études — historiques, sociologiques et monographiques — portant sur la littérature de Suisse romande, dont il a présenté en 2002 une douzaine d’œuvres dans Lectures conseillées, paru aux Editions de l’Aire. Il a par ailleurs publié des récits, La Mort, les anges, la poussière (L’Aire, 1995) et Chambre 112 (L’Aire, 1997, Prix Dentan), ainsi qu’un recueil de poèmes, Pleins-Vents (Empreintes, 2000).

Daniel Maggetti est également l'invité du mois de décembre 2002 du Culturactif Suisse.

 

  Inédit
 

Cétoine dorée (Cetonia aurata)

I

Fête des Rois

Elle n'est presque rien. Même pas un battement impalpable, au sein de cette terre qui se fige sous l'étreinte du froid chaque jour plus acharné — et à la place de la coulée de bel humus qui réchauffe la main, il y a comme une flaque du sang noir coagulé. C'est pourtant là que, depuis fin août, elle attend; oui, là, au bord de l'étang, près de la souche du saule abattu l'an passé, envahie de lichens vert-de-gris, déjà bien avancée sur la voie du pourrissement. (Mais attend-elle seulement, figeé dans son immobilité de grain de sable, bien en-deçà encore de ce qui, en elle et pour elle, a été fixé ?) Pour l'heure, tenaillée de sommeil, elle n'existe pas, dirait-on. Invisible morte non encore née, microscopique demoiselle mordorée dormant dans l'œuf, déposée dans un berceau de poussière d'écorce et de boue durcie, pendant qu'autour d'elle, toutes feuilles et fleurs tombées, floconne la blanche saison.

II

Lundi de l'Ange

Et soudain, sous la feuille encore acidement tendre de la pâquerette, cette vibration qui la secoue du dedans, cet appel du soleil de fin mars qui a dissous les derniers cristaux du froid, qui a fini de s'en prendre aux crocus et aux primevères, qui maintenant la chatouille et la flatte. Viens! Sors donc! Le monde est ici où bourgeonne le poirier, où volète une piéride pressée promise peut-être à une pauvre fin, mais si heureusement ivre de la lumière qui l'inonde. Viens!

Larve lilliputienne, se frayer un chemin dans le terreau que trient et parcourent depuis peu ses grandes cousines âgées d'un an, revenues à la vie, ressuscitées, prêtes bientôt pour la métamorphose dont elles ignorent tout, mais qui fera d'elles ce qu'elle doivent devenir. Se gaver de bois en décomposition, détruire les vestiges du saule, ah, le projet de vie inscrit en elles! Se nourrir, grossir, grandir, se développer dans cette ombre qui toujours les enveloppe; fuir la pluie et sa menace; rêver de l'air qui, un jour, leur fera peut-être un manteau neuf, transparent et plus souple que la rude étoffe des saisons qu'elle a connues. Tout un printemps suffira-t-il à digérer tant de chimères accumulées?

III

Assomption

Il y a eu l'aubépine: à peine les dépouilles de la nymphe abandonnées au sol, elle a volé au cœur de la corolle immaculée, s'est couronnée d'étamines, a goûté à la fine texture des pétales étalés et perlés de rosée.

Il y a eu le sureau, buisson bourdonnant d'insectes rapaces — et quelle diligence il a fallu pour attacher ses crochets aux ombelles citronnées, quelle abnégation pour s'y maintenir en dépit du brouhaha des abeilles!

Il y aujourd'hui la rose carminée sur le retour, qui lui offre un chaton somptueux; joyau soyeux et barbare, ambre et topaze, elle y étincelle de sa lueur tour à tour verte et brune pailletée, elle, gemme secrète sertie dans l'éphémère tiare mérovingienne dont l'arbuste d'épines se coiffe.

Sans ouvrir ses élytres, elle s'envole parfois, magique machine vrombissante dans le ciel d'été. Pour accomplir sa mission, elle devrait encore se poser là d'où obscurément elle sait qu'elle vient, pondre ses œufs, les cuirasser de bois mort ou de glaise, assurer l'avenir avant de disparaître. En aura-t-elle seulement l'occasion, elle que guette, vorace, une corneille perchée sur le poulailler?

IV

Toussaint (coda)

Feu d'automne, nettoyage annuel, quête de purification. La flamme qui lèche les feuilles amoncelées sous les arbres dénudés par la tramontane n'épargne pas les reliques du saule. Consumées, réduites en cendres, dispersées par le vent — emportant avec elles, bien avant qu'advienne l'imago, l'insignifiante esquisse de la cétoine dorée.

(De nous, de nos projets, de notre virtuelle splendeur, en va-t-il autrement?)

Daniel Maggetti

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© Le Culturactif Suisse

Page créée le 28.11.02
Dernière mise à jour le 28.11.02

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