Extrait du roman "Janice Winter
- été 1982"
[...]
Mais c'est dans le parc - dans ses
compartiments les plus profonds, sur ses pelouses les plus
nues - que la réalité de Horst se manifeste
de façon indiscutable. La pression de ses doigts sur
la gorge de Léa, ou sur le crâne de Janice, les
variations immenses de son humeur qui modifient instantanément
la couleur de ses yeux, la forme de sa chevelure et jusqu'à
l'odeur de sa peau, la minceur de son corps quand il se baisse
pour ramasser des pierres et les poser quelques mètres
plus loin, la tête auréolée de feu, tout
cela oblige les surs à une attention aiguë,
sans relâche, et tout prend alors un relief presque
solennel, ce qui les entoure et ce qui apparaît dans
leur esprit à l'écoute des propos de Horst.
- J'ai commencé tout au fond,
vingt-deux mètres sous terre, manuvre, chantiers
divers à Berlin, Berliiin, ignorantes ! Mes mains n'ont
pas supporté, je suis remonté un peu, jusqu'aux
sous-sols de l'Opéra, une bonne place, beaucoup de
mouvements, beaucoup d'objets animés ! Quoi ? Pourquoi
j'ai quitté maman et la maison ? Parce que la voix,
une des mes voix à moi bien sûr, je ne suis pas
un fou, celle de mon papa, je veux dire la voix de mon père,
ignorantes ! m'est parvenue le jour de mes dix-huit ans dans
ma chambre au dernier étage de la maison, à
l'instant où maman la cuisinière soulevait un
couvercle. Tu vois? a chuchoté la voix. Ta maman entrouvre
et referme, refermera toujours si tu ne te mets pas toi-même,
Horst, à chercher ce qui t'appartient, tout t'appartient,
voilà exactement ce qu'a dit la voix. Commence tout
au fond, Horst, par remettre de l'ordre et après tout
sera possible ! J'obéis... Bien que très fatigué
j'obéis à la voix... La voix qui vous a mises
entre mes mains pour... je ne sais pas encore dans quel but,
nous improvisons, redoutons que tout s'arrête et prions
que tout s'arrête !
Il part dans un rêve et elles n'osent
pas bouger, ou à peine.
- Quoi, qu'est-ce que vous voulez savoir
encore ?
Horst se retire dans un silence accablé,
son corps tremble et Léa lui essuie le visage et la
nuque avec une poignée de ses cheveux. (Léa
qui ressemble dans ses attitudes de plus en plus à
mère, surtout quand elle se penche ainsi et que la
ligne de son dos s'étire comme le fil d'un songe féminin.)
- On ne veut rien, Horst !
- Mais si, mais si ! Dis-lui, Léa,
que sa maman... Père dit que grand-tante est dans une
grave solitude anormale ! Est-ce qu'on ne devrait pas lui
dire que tu vis maintenant tout près d'elle ?
- Anormale ! ricane Horst. Elle ne
sait rien, oui, la voix n'a parlé qu'à moi,
à moi seul. Il faut attendre, compris ? D'abord du
fond du fond monter, et ensuite...
- Ouiii ?
-... attraperai le pied du petit, très
petit Horst enfant et lui demanderai où est son papa...
[...]
Rose-Marie Pagnard
Toute reproduction même partielle
interdite
© Le Culturactif Suisse
Page créée le 27.12.01
Dernière mise à jour le
27.12.01
|