Fabio Pusterla
Carte postale d'Italie, avril 2006
Dans l'espoir d'une lumière lointaine ils regardaient leurs enfants
et les enfants de leurs enfants, perdus sans langue ni coutumes
ils pelaient de pauvres oranges, ramassaient
avec précaution les quelques miettes sur la table
vidaient toujours leur verre jusqu'à la dernière goutte
de sang noir.
À genoux dans les galeries de patron en patron,
sur des routes ensoleillées, de porphyre et d'asphalte,
prairies à domestiquer, fumiers, jusqu'à la silicose
des bronches, à l'arthrose, la faux.
Oubliez-nous, disaient-ils,
laissez-nous partir pour toujours
dans le sillon de notre silence résigné.
Nous sommes des emphysèmes, des excroissances du temps.
Nous venons de forêts qui n'existent plus, de vieilles maisons
de fumée, devenues parkings, supermarchés
dans lesquels nous nous perdrions,
errant des jours et des jours parmi les marchandises. Laissez-nous partir.
Digues, tunnels, mines, voies ferrées,
et puis des autoroutes, des usines,
mais toujours un même abandon, une même force, celle
d'épaules et de têtes baissées, bureaux consulaires,
dialectes comme des entraves
aux chevilles. Parfois les mains serraient
des poignées de terre, respirant
une odeur d'enfance, oignons
égarés dans les siècles, animaux morts
avant même d'être nés.
Terre noire de Belgique ou d'Outre-Atlantique,
terre grasse d'Argovie ou d'Allemagne,
terreaux d'Argentine, tourbes : mais ces odeurs
ramenaient chaque fois au pays
où l'on avait appris à faire sans,
citronnier fané, éteint
citron volé.
Ils furent oubliés, comme ils le voulaient. Puis les enfants
eurent des enfants, les petits-fils des arrière-petits-fils, pizzerias, petites entreprises,
diplômes, descendances. Apprenant à dire non dans diverses langues,
et à dire merci, excusez-moi, j'ai faim, moi aussi j'existe. Pouvant choisir,
certains choisirent, enfin. Aujourd'hui ils renvoient
au pays lointain, oublieux, comme une graine portée par le vent,
ce dont le pays n'avait plus conscience :
quelle surprise ! sur l'Italie humiliée revient, de l'étranger,
un peu de décence civique, la vengeance des émigrés.
(traduit de l'italien par Mathilde Vischer)
***
CARTOLINE D'ITALIA, Aprile 2006
Sperando in una luce lontana guardavano i figli
e i figli dei figli perduti di lingua e costume
sbucciavano povere arance, raccoglievano
cauti le poche briciole dal tavolo
vuotavano sempre il bicchiere fino all'ultima
goccia di sangue nero.
In ginocchio dentro cunicoli di molti padroni,
su strade assolate di porfido e asfalto, praterie
da imbrigliare, concimi, dritti fino al silicio
del bronco, all'artrosi, alla falce.
Dimenticateci, dicevano,
lasciateci andare per sempre
nel solco del nostro silenzio rassegnato.
Siamo enfisemi, escrescenze del tempo.
Veniamo da boschi che non esistono più, da antiche case
di fumo che diventano posteggi, supermarket
in cui ci smarriremmo,
vagando giorni e giorni tra le merci. Lasciateci andare.
Furono dighe, trafori, mine, vie ferrate,
più tardi autostrade, fabbriche,
ma ancora uno stesso abbandono, un'identica forza
di spalle e teste basse, uffici consolari,
dialetti alle caviglie
come piombi. Le mani talvolta stringevano
manciate di terra, annusando
un odore d'infanzia, cipolle
smarrite nei secoli, animali già morti
prima ancora di nascere.
Terra nera del Belgio o d'oltremare,
terra grassa d'Argovia o di Germania,
zolle argentine, torbe: ma un odore
riportava ogni volta a quel paese
di cui si era imparato a fare senza,
limone sfiorito, spento
limone rubato.
Furono dimenticati, proprio come volevano. Poi i figli
generarono figli, i nipoti pronipoti, pizzerie, piccole imprese,
lauree, discendenze. Imparando a dire no in lingue diverse,
e a dire grazie, mi scusi, ho fame, esisto anch'io. Potendo scegliere
alcuni scelsero, infine. Oggi rimandano
al paese lontano immemore, come un grano portato dal vento,
la cosa di cui il paese non aveva più quasi coscienza:
che sorpresa! arriva dall'estero, sui giorni italiani umiliati,
un po' di civile decenza, la nemesi degli emigrati.
Fabio Pusterla
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