Fabio Pusterla

Poète, traducteur et essayiste, Fabio Pusterla est né à Mendrisio en 1957. Licencié ès lettres modernes à l'Université de Pavie, il vit à Lugano et y enseigne la littérature italienne.

Il est l'auteur de nombreux essais traitant de questions littéraires et linguistiques, et a traduit Yves Bonnefoy, Nicolas Bouvier ou Corinna Bille, mais surtout Philippe Jaccottet. Selon ce dernier, à travers la «voix ferme, sobre, admirablement maîtrisée» de Pusterla, tout est «toujours à la fois quotidien, proche, vrai et vaste, réel et néanmoins mystérieux».

Fabio Pusterla a obtenu en 2007 le prix Gottfried Keller pour l'ensemble de son œuvre.

 

Storie dell'armadillo (« Histoires du tatou »)
(Quaderni di Orfeo, Milano, 2006)

français

Bonjour, dit le tatou à un éboueur. Auriez-vous par hasard
vu passer un opossum ?
L'homme lève son balai vers le nord, où un nuage
ondoie sur les déserts comme une grande montagne. Le tatou
remercie et se met en chemin, contre le vent.

*

Sur le dos sa carapace, son casque sur le chef : il va
avec sa vue médiocre, et sa délicieuse chair
protégée. Il va parce qu'il va,
parce qu'il faut aller, parce que le monde
est vaste, le temps bref. Et le parfum
de certaines fleurs, vraiment délicieux.

*

Le tatou chantonne en chemin.
Personne ne l'écoute.
C'est dommage : si quelqu'un l'entendait
on pourrait savoir ce que chante
ce courageux petit animal. Peut-être
nous mettrions-nous aussi en chemin.

*

Maintenant le tatou a soif : il est au milieu du désert.
Il suit encore les traces de l'opossum, mais le désert
ne conserve pas ses traces. Alors il suit
des lignes plus sombres sur le sol et ainsi il arrive
devant un char d'assaut abandonné au milieu de nulle part.
Bonjour, dit le tatou au char d'assaut.
Qui reste muet.

*

Si le char d'assaut pouvait penser,
peut-être serait-il surpris. Mais il est vide,
rouillé et empoussiéré. Et le tatou est têtu.
Vous êtes grand et gros, lui dit-il. Mais vous ne parlez pas, ne saluez pas.
Et je devrai mourir de soif en face d'un mal élevé ?
Par chance un petit rat émerge
du canon désolé.
Ne fais pas attention, lui dit-il. C'est un inadapté.
Entre, je t'offre quelque chose.
Et le tatou le remercie.

*

Quand cela s'avère nécessaire
le tatou peut creuser pendant des heures :
de longues tanières, zones humides et sombres où attendre
des temps meilleurs, des pluies, époques où l'espérance
n'est plus tout à fait impossible. Si l'attente
est longue, il la trompe en dormant.
Et quand la lune se lève il lit Cervantes.

*

Dans un état presque au nord a été édictée une loi
sur les tatous : il est interdit d'en posséder.
On peut posséder
des voitures, des esclaves masqués, des fusils, mais des tatous
non. C'est une loi intéressante,
pense le tatou. Et il s'attarde un peu
dans cet état
si clairvoyant.

*

Parfois, en rêve, il lui semble les voir :
troupeaux de pumas, jaguars, autres animaux féroces
dont il ne sait le nom. Files de poids lourds,
aux roues larges, dentelées, gibier aveugle à
une immense extinction.
Prédateurs, désespérés, fugitifs,
tous alignés dans la même direction, tous
également enthousiastes.
Alors il se réveille et réfléchit.

*

Quelqu'un dit : le tatou (maintenant il réfléchit). Mais en fait
le tatou est un concept théorique : une espèce
ou du moins une catégorie. Je ne suis pas
le tatou, je suis un tatou, et je ne sais rien
de ce que je fais vraiment. Mon futur
est modeste : quelques insectes, escargots,
peut-être des petits : quatre,
un à chaque point cardinal.
Et pourtant mes pas incertains
mènent quelque part, ces tanières que je creuse
serviront aussi à d'autres, avec un peu de chance. L'espace
gardera des traces de mes rêveries
à contre-courant. Ainsi le tatou, l'idée
de tatou, me guide, et moi je la guide, je la conduis
dans mon humble existence vers les temps à venir et les montagnes
gelées, et les grands lacs.

*

Quand il polit ses écailles, se fait beau,
le tatou repense à la figure improbable
de l'un de ses ancêtres incertains, italien :
celui qui fut exposé
avec une licorne, un phoque veau marin
et des crocodiles décortiqués
par un monsieur du Pô avec des restes
des ennemis d'abord tués puis momifiés.
Il paraît qu'il y avait aussi un dragon à sept têtes : la ruse des puissants
ne surprend pas, ni l'orgueil
de ce collectionneur. Mais d'où pouvait bien venir
un tatou du quatorzième siècle au marais des Gonzaga ? Une légende
sans doute, ou une acquisition
postérieure. Il en résulte
qu'à la vitrine de l'horreur le charango est préférable
(au mieux, il est musique, et non cauchemars) ; que les serpents
ont toujours existé ; qu'un tatou, comme tout rebelle,
doit faire très attention.

*

Ce qui lui plaît : l'eau, le vent
s'il n'est pas trop fort, les bois, l'herbe magnifique
quand la nuit, humide, annonce l'aube,
l'odeur de champignons et de quelques insectes
délicats. En ville aussi certains lieux ne sont pas mal :
ruelles, tuyaux, caves parfois. Et aucun puma.
Il vénère en outre la ténacité
pacifique de l'opossum : être sans défense.

*

On peut dire : l'harnaché, le chenillé, le solitaire,
l'édenté, le craintif, le lent,
celui qui ne peut sauter, qui ne se retourne pas,
le mangeur de vermine, le lèche-fourmis, le voleur,
le fuyard, la taupe qui tourne en rond,
le couche-tard, le noctambule, le griffu ;
celui qui s'amuse à faire tomber les chevaux,
les estropie et secoue ses écailles de rire
dans son trou malodorant.
On peut le maudire, le chercher la nuit
avec des bâtons pointus, ou des massues, dents de chien.
On peut recruter des indigènes ivres
ou des armées de moustiques pour le chasser.
Le tatou ne s'en préoccupe pas.

*

Il est inutile de le tirer par la queue :
on le sait par expérience, le tatou ne cède pas
si facilement. Et puis il a fallu
peut-être cinquante millions d'années, un imprévu
fortuit et un bon coup de chance :
un marin aux belles espérances,
une tempête, un naufrage dans un golfe terrible,
une terre ignorée et fleurie où aborder.
Il en a trop vu pour s'épouvanter ou perdre courage.
Le chemin a été lent, le voyage ardu.
A présent il avance, pas à pas. Presque content.

*

Parmi d'autres choses qu'il a rapportées de ces temps
les plus anciens : la lèpre. Il la connaît, en sait
l'ignominie, l'humiliation des chairs rongées,
et combien la cuirasse de l'orgueil est fragile.
Ainsi il salue chaque fleur qu'il rencontre, gentiment,
et aux exclus il apporte des papillons séchés, de petits dons.

*

Un point faible, il est vrai : le chatouillement. Sous la queue,
où le ventre flasque s'assouplit, et les anciennes douceurs s'installent,
il suffit de peu, une plume souple ou une caresse,
un plumet, la pointe d'un aconit. Soudain le rire éclate
irrépressible. Le tatou rit tandis que des mains
le tirent en arrière, vers la mort ou la captivité, vers le bâton
fatidique qui l'attend. Et pourtant il rit,
et ce n'est pas seulement une question de chatouillement. Penser
à toute cette haine, à la violence, au désir,
et à toute chose en fin de compte ridicule, perdue
dans le néant des époques, petits éclats d'histoire
dans la cuirasse des histoires que la faim ou la force tresse
toujours semblables, toujours oubliables, atrocités
inutiles, ferrugineuses. Quand il rit ainsi, le tatou ne fait pas
vraiment peur : peut-être un trouble dans les yeux de qui
s'acharne, s'échauffe. Appétit qui diminue, et soudain
une sorte de vide dans l'estomac : une médiocre
biologie résignée appelle, sans rêves, une politique
médicamenteuse, sordide,
la conscience en rit, sombrement,
et qui assiste à la scène s'effarouche, s'inquiète.
Ce n'est pas un beau spectacle,
un tatou qui rit en mourant
tandis qu'il glisse. En réalité,
avec la joie étrange des proies,
à ces moments-là il regarde dans les yeux
du glyptodonte, et lui parle,
comme parfois on parle à un ami ou un frère disparus,
pourtant toujours présents,
et spirituels.

Traduit de l'italien par Mathilde Vischer

 

***

italiano

Buongiorno, dice l’armadillo a un netturbino. Per caso
ha visto passare di qui un opossum?
L’uomo alza la scopa verso nord, dove una nube
fluttua sopra i deserti come una grande montagna. L’armadillo
ringrazia e s’incammina controvento.

*

Addosso la corazza e l’elmo in testa: così va
con la sua vista scarsa e le sue carni
deliziose e protette. Va perché va,
perché bisogna andare, perché il mondo
è grande, il tempo breve. Poi il profumo
di certi fiori, davvero delizioso.

*

L’armadillo canticchia sul cammino.
Non lo ascolta nessuno.
È un peccato: se qualcuno lo sentisse
potremmo sapere cosa canta
questo piccolo animale coraggioso. Magari
ci metteremmo in cammino anche noi.

*

Adesso l’armadillo ha sete: è in mezzo al deserto.
Segue ancora le tracce dell’opossum, ma il deserto
non conserva le tracce. Allora segue
certe linee più scure sul terreno e così arriva
davanti a un carro armato rimasto lì nel nulla.
Salve, dice l’armadillo al carro armato.
Ma quello resta zitto.

*

Se il carro armato potesse pensare,
forse sarebbe stupito. Invece è vuoto,
arrugginito e impolverato. Ma l’armadillo è cocciuto.
Lei è grande e grosso, gli dice. Ma non parla, non saluta.
Dovrò morire di sete davanti a un maleducato?
Per fortuna dalla mestizia del cannone
sbuca adagio un topino.
Non badarci, gli fa. Questo è un disadattato.
Vieni dentro, ti offro qualcosa.
E l’armadillo ringrazia.

*

Quando è necessario
l’armadillo può scavare per ore:
lunghe tane, zone umide e buie dove aspettare
tempi migliori, piogge, epoche in cui la speranza
non è poi del tutto impossibile. L’attesa
sia pure lunga, lui la inganna dormendo.
E quando sorge la luna legge Cervantes.

*

In uno stato quasi del nord hanno fatto una legge
sugli armadilli: è vietato possederne.
Si possono possedere
automobili, schiavi in maschera, fucili, ma armadilli
proprio no. È una legge interessante,
pensa l’armadillo. E si ferma un po’
in quello stato
così lungimirante.

*

Certe volte, in sogno, gli sembra di vederli:
branchi di puma, giaguari, altri animali forti
di cui non sa il nome. Colonne di autotreni,
ruote larghe, dentate, selvaggina
ignara di un’estinzione immensa.
Predatori, disperati, fuggiaschi,
tutti in fila nella stessa direzione, tutti
ugualmente entusiasti.
Allora si sveglia e pensa.

*

Uno dice: l’armadillo (adesso sta pensando). Ma in effetti
l’armadillo è un concetto teorico: una specie
o comunque una categoria. Io non sono
l’armadillo, sono un armadillo, e non so nulla
di quello che davvero sto facendo. Il mio futuro
è modesto: qualche insetto, lumache,
magari dei figli: quattro,
uno per ogni punto cardinale.
Eppure i miei passi vaghi
vanno da qualche parte, queste tane che scavo
serviranno anche ad altri, con un po’ di fortuna. Lo spazio
serberà qualche traccia del mio fantasticare
controcorrente. Così l’armadillo, l’idea
di armadillo, mi guida, e io guido lei, io la conduco
nel mio piccolo verso i tempi a venire e le montagne
gelate, e i grandi laghi.

*

Quando si lucida le scaglie, si fa bello,
l’armadillo ripensa alla figura improbabile
di un incerto suo antenato italiano:
quello che venne esposto
insieme a un unicorno, a un vitello marino
e a certi coccodrilli scorticati
da un signore padano insieme ai resti
dei nemici prima uccisi e poi mummificati.
Pare ci fosse anche un drago a sette teste: non stupisce
l’astuzia dei potenti, né l’orgoglio
di quel collezionista. Ma da dove
poteva mai venire un armadillo
nel Trecento alla palude dei Gonzaga? Una leggenda,
senz’altro, o forse un’acquisizione
posteriore. Ne discende:
che alla bacheca dell’orrore è preferibile il charango
(mal che vada, è pur musica, non incubi); che i serpenti
sono sempre esistiti; che un armadillo, come ogni ribelle,
deve fare molta attenzione.

*

Quello che gli piace: l’acqua, il vento
se non è troppo forte, i boschi, l’erba magnifica
quando è umida di notte e annuncia l’alba,
l’odore di funghi e certi insetti
delicati. Anche in città ci sono posti mica male:
vicoli, tubi, cantine qualche volta. E nessun puma.
Venera inoltre la pacifica
tenacia dell’opossum: l’indifeso.

*

Si può dire: il bardato, il cingolato, il solitario,
lo sdentato, il pavido, il lento,
quello che non può saltare, che non si gira,
il mangiavermi, il leccaformiche, il ladro,
il fuggiasco, il talpone che gira in tondo,
il tiratardi, il nottambulo, l’unghiaforte;
quello che si diverte a far cadere i cavalli,
li azzoppa e si squassa le scaglie
dal ridere dentro il suo buco graveolente.
Lo si può maledire, cercare di notte
con bastoni appuntiti, o con mazze, denti di cane.
Si possono reclutare indigeni ubriachi
o eserciti di zanzare per dargli la caccia.
L’armadillo non ci bada.

*

È inutile tirarlo per la coda:
come si sa per esperienza l’armadillo non cede
così facilmente. E poi ci sono voluti
forse cinquanta milioni di anni, un imprevisto
casuale e un bel po’ di fortuna:
un marinaio di belle speranze,
una tempesta, un naufragio in un golfo terribile,
una terra fiorita e ignara cui approdare.
Ne ha viste troppe per spaventarsi o perdere coraggio.
È stato lungo il cammino, arduo il viaggio.
Ora procede, un passo dopo l’altro. Quasi allegro.

*

Tra le altre cose che ha riportato su dai tempi
più lontani, anche la lebbra. La conosce, ne sa
l’obbrobrio, l’umiltà delle carni corrose,
e quanto è fragile la corazza dell’orgoglio.
Così saluta ogni fiore che incontra, gentilmente,
e ai desolati porta farfalle secche, piccoli doni.

*

Un punto debole, certo: il solletico. Sotto la coda,
dove molle si snoda il ventre, e le antiche dolcezze si accampano,
basta poco, piuma morbida o carezza,
pennacchio, cima d’aconito. Subito scoppia il riso
irrefrenabile. Ride l’armadillo mentre mani
lo trascinano indietro, verso morte o prigionia, verso il fatidico
bastone che lo attende. Eppure ride,
e non è solo questione di solletico. Pensare
a tutto questo odio, alla violenza, alla brama,
e a ogni cosa in fin dei conti ridicola, perduta
nel nulla delle epoche, scaglietta di storia
nella lorica di storie che la fame o la forza s’intessono,
uguali sempre, sempre dimenticabili, inutili
atrocità ferruginose. Quando ride così, l’armadillo non fa
propriamente paura: sconcerto, forse, negli occhi di chi
si accanisce, s’infervora. Appetito che scema, e improvviso
una specie di vuoto allo stomaco: mediocre
chiama una biologia rassegnata, senza sogni, una politica
medicamentosa, sordida,
la coscienza ne ride, cupamente,
e chi assiste alla scena s’adombra, s’inquieta.
Non è un bello spettacolo,
un armadillo che ride morendo
mentre sdrucciola. In realtà,
con la strana allegria delle prede,
lui guarda in quegli istanti dentro gli occhi
del gliptodonte, e gli parla,
come talvolta si parla a un amico o a un fratello scomparsi,
eppure sempre presenti,
e spiritosi

 

Fabio Pusterla