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L'invité du mois
Alain Berset
des Editions Héros-Limite
A propos d'une nouvelle collection de CD littéraires: " Timbres "

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Les Editions Héros-Limite lancent une nouvelle collection de CD assortis de livrets originaux. On y trouvera des voix d'auteurs de Suisse romande lisant, disant leurs textes. Charles-Albert Cingria et Valère Novarina donnent le départ. " Timbres ", tel est le nom de cette collection, ainsi décrite par l'éditeur : " La collection " Timbres " est née d'un goût pour le document parlé ainsi que du constat d'un manque dans le paysage éditorial romand. L'enregistrement sonore permet d'aborder une oeuvre de façon originale et sensible. La voix restitue un univers, celui d'une personne ou d'un milieu à un moment précis : elle donne la couleur, la mesure d'un événement. Nombreux sont les auteurs suisses qui ont laissé une trace sonore : interviews, chroniques, conférences. "

Alain Berset, responsable des Editions Héros-Limite, répond ici à nos questions autour de ce projet.

 

  Entretien avec Alain Berset par Brigitte Steudler et Francesco Biamonte

 

Alain Berset, parlez-nous de votre intérêt pour les sons, la lecture de texte à voix haute ou plus généralement pour l'audio - d'où cela vous vient-il ?

Le point de départ a été la radio, que j'ai toujours beaucoup écoutée. Il y a une magie du direct, on peut entendre un tas de choses et subitement quelqu'un vous parle comme s'il s'adressait à vous personnellement. Il y a aussi un effet lié à la solitude, je ne sais pas trop comment l'expliquer, tout comme dans la lecture, d'ailleurs. Et puis les documents d'archive, le montage, les très longues émissions qui déroulent un univers dans lequel vous pénétrez... En outre, lorsque vous entendez quelqu'un parler, vous pouvez tout saisir de l'état dans lequel il se trouve, immédiatement. La manière dont on pose sa voix, dans certaines circonstances ou à certains moments de la journée, est en quelque sorte toujours indicative. Mais indépendamment de cet intérêt personnel pour la voix, il faut rappeler que la parole littéraire a une histoire bien plus ancienne que l'écriture. La parole est une "onde", dit Novarina. La poésie, avant d'être inscrite sur la page, a été dite, chantée. Longtemps, la lecture n'a pas été intérieure et silencieuse, mais devait s'apparenter au chant.
D'ailleurs les textes eux-mêmes, avant de trouver leur espace dans des livres, avant d'être imprimés, étaient écrits sur de longs rouleaux de parchemin ou de papyrus : un forme qui livre le texte d'un seul souffle, d'en seul tenant, sans le pli et la coupure de la page ; une forme donc qui marque sa parenté avec l'oralité. Et l'écriture en boustrophédon, où la ligne court de manière continue d'un bord à l'autre du support de l'écriture, de gauche à droite puis de droite à gauche, complètement linéaire donc, est aussi un témoignage de ce rapport au texte, continu, d'un seul tenant. D'où le goût pour l'archive, le direct, et pour des documents sonores d'un seul tenant, sans montage, ou avec le moins de montage possible…. Je n'ai ni le désir ni la capacité de faire des montages, de faire des " émissions radio en CD ".

Estimez-vous que le montage nuit à l'authenticité ?

Il y a des génies du montage, comme Yann Paranthoën, avec l'Atelier de Création Radiophonique, mais je ne peux pas me substituer à des gens comme ça. Le montage chez Paranthoën s'apparente à la composition, il fait œuvre. Je me verrais éditer des choses comme ça si ça se donnait.

Quels sont vos critères pour choisir telle ou telle voix ? Dans quelles directions aimeriez-vous aller ?

Ce qui m'intéresse dans l'enregistrement d'une voix, dans le document sonore, c'est lorsqu'il y a œuvre, création. Que la voix est davantage qu'un éclairage porté sur le texte. C'est le cas pour de nombreux auteurs. En cela j'aime beaucoup le mot " timbre ", il vient d'un mot qui signifie tambourin ou tambour. " Tympan " n'est pas très loin étymologiquement. Au Moyen-âge le mot s'appliquait à une cloche immobile que l'on frappait avec un marteau. Par métonymie, il désigne la qualité d'un son, son grain. Le mot est aussi employé en héraldique, il prend le sens particulier de " marque imprimée ", proche de la vignette, certifiant quelque chose. Mais timbrer signifie d'abord jouer du tambour ! Et quelqu'un que l'on dit timbré, serait quelqu'un qui déraille un peu. C'est important, cette idée de dérive… C'est à ce moment-là que l'artiste invente, qu'il crée un monde, d'autres figures.

Charles-Albert Cingria

En éditant des " voix ", je souhaiterais toucher à tous les états de la langue, à son mystère et à son incroyable richesse. Je serais aussi heureux d'aller voir du côté des patois, des accents, des dialectes.
Il faut noter que je dépends pour beaucoup des partenaires, en particulier de la Radio Suisse Romande, qui détient une très riche documentation. Ils m'ont permis que le Cingria se fasse ; mais ils ont aussi leurs propres productions.
Pour le reste on ne sait jamais vraiment qui l'on peut atteindre, j'espérerais atteindre quelqu'un d'inconnu, quelqu'un qui ne serait ni lecteur, ni cultivé, qui ne s'y attend pas ! C'est une utopie...

Justement, en ouvrant les feux avec Cingria et Novarina, vous semblez plutôt vous adresser d'emblée à un public pointu - ce qui entre parfaitement dans la ligne générale de Héros-Limite, volontiers porté vers les avant-gardes du XXème siècle et leurs héritiers actuels. Pensez-vous que la place du livre audio dans le monde francophone soit d'abord à chercher de ce côté là - par opposition par exemple au monde germanophone, traditionnellement rompu à la lecture à voix haute, et qui voit conséquemment se développer une offre incomparablement plus large en livre audio que la francophonie ?

Ces différences entre monde germanophone et francophone viennent aussi de la structure de la langue. L'allemand est quand même bien plus rythmé, plus propice à la lecture à haute voix (avec l'art du Hörspiel que l'on sait, sans équivalent en français). Cela dit, il y a toujours eu une petite production marginale aussi en français, Seghers l'avait fait avec des 45 tours. Les moyens techniques actuels rendent peut-être le développement de ces expériences plus aisés, le CD et le MP3 sont plus faciles à manipuler que le microsillon, mais cela prend un peu de temps pour que ces propositions entre dans les mœurs. Pour le moment on ne s'attend pas à trouver des disques chez un libraire et des livres chez un disquaire. Mais ça commence.
Cela dit, en ce qui concerne le choix de ces deux auteurs pour ouvrir la collection, je me suis retrouvé malgré moi, quasi fatalement dans la ligne déjà tracée par les Editions Héros-Limite. Pour un projet concrétisé, trois n'arrivent pas à terme. A vrai dire, j'aurais aimé ouvrir la collection vers un public plus large… mais les projets qui auraient pu s'adresser à un autre public n'ont pas pu se faire.

Mais le principal pour moi dans cette collection est le lien entre voix et texte, et de ce point de vue, la collection démarre bien. En outre Novarina est un grand lecteur de Cingria, et il y a ainsi un ancien et un contemporain…
Valère Novarina

Vous aviez déjà lancé un projet de revue sonore, " Madam Revue Sonore ", qui n'a connu à ma connaissance qu'un démarrage…

Le groupe qui la faisait s'est dispersé, on parle de la reprendre. Le projet de " Timbres " existait déjà quand " Madam Revue Sonore " est sortie. L'idée était de publier de la poésie sonore " pure " avec la revue, et quelque chose de plus ouvert avec " Timbres ".

" Timbres " se voue-t-elle exclusivement à la lecture par l'auteur ?

Oui, c'est une des données de la collection.

Lecture par l'auteur, lecture par le comédien… comment les voyez vous l'une par rapport à l'autre ?

Je trouve qu'elles se complètent bien. Il est relativement rare qu'un auteur lise bien, il n'est pas nécessairement le meilleur lecteur de son texte. Il y a aussi des documents disponibles à la radio qui s'avèrent impubliables, de très grands auteurs chez qui la lecture ne donne rien. Mais il existe aussi des " défauts " oratoires passionnants, des difficultés dans l'oralité qui créent un phrasé, une scansion. Et s'il y a un souffle comme chez Cingria, Novarina, et bien d'autres, vous apprenez quelque chose en les écoutant, leur lecture dévoile le processus d'écriture, le cheminement de la pensée.

Parmi les auteurs ayant laissé des documents sonores impressionnants, il y a aussi Gherasim Luca, qui a donné le nom à votre maison d'édition…

Gherasim Luca, était un grand lecteur de ses textes, c'est un prodige de l'entendre, il est sur le fil du rasoir des mots. La particularité de Gherasim Luca est aussi d'écrire en français alors que sa langue maternelle est le roumain. Il écrit dans un bégaiement " qui n'est pas celui d'une parole, mais celui du langage lui-même " disait Gilles Deleuze. Un bégaiement lumineux, décapant, qui le fait passer du son au sens et du sens à l'essence. Ce balbutiement est le moteur de sa pensée. Le seul enregistrement qui soit sorti de son vivant est une lecture de " Passionnément " un petit 45 tours transparent publié par la Galerie genevoise de Claude Givaudan.

Votre prochain projet pour " Timbres " ?

Plusieurs projets sont en cours, mais une des prochaines parutions sera vraisemblablement Gustave Roud ; il a une manière magnifique de parler de son écriture, et de la musicalité de la poésie. Dans un entretien qui date de 1968, il rappelle que la poésie qui s'écrit et jouait avec le plan de la page, perd ce rapport à la musique des mots.

Propos recueillis par Brigitte Steudler et Francesco Biamonte

 

Page créée le 14.11.06
Dernière mise à jour le 23.11.06

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