Rosmarie Burri et Auguste Chinet
organisateurs des « Derniers mardis » à Rolle

Depuis 2003, vingt, trente, quarante personnes se sont assises chaque mois dans le salon de Rosmarie Burri, au n°78 de la Grand-Rue de Rolle. Elles y ont écouté des auteurs, surtout romands, lire leurs textes. Plus rarement, des amis de l'hôtesse ou des habitués de ces lectures ont apporté eux-mêmes des histoires ou des poèmes qu'ils souhaitaient partager, assortis quelquefois de réflexions personnelles. L'entrée est libre, et l'organisation aussi simple que possible. Les « Derniers mardis du 78 » ont accueilli certains des plus prestigieux auteurs de Suisse romande, mais aussi des méconnus, des débutants. Le tout sans financement, sans cachets. Le projet, de par son caractère privé et même domestique, sa simplicité, son succès sur l'arc d'un lustre, la qualité de ses programmes, est unique à notre connaissance.

Rosmarie Burri passe aujourd'hui la main. Rebaptisées « Derniers mardi du 05 », les lectures continueront sous la conduite d'un nouveau responsable, Auguste Chinet, assidu de ces rencontres dès l'origine. Lui-même vit au… n°79 de la Grand-Rue, mais une autre fidèle de ces lectures a mis à disposition son propre salon — au n°5 de la Grand-Rue, on l'aura compris. Le programme 2007-2008 s'ouvre le 28 août avec Alexandre Voisard. Suivront Jacques Probst, Joëlle Kuntz, Claire Genoux, Urs Richle (lecture bilingue), Marie-José Piguet ; mais aussi quelques particuliers, qui viennent raconter une expérience personnelle ou présenter un texte qui leur est cher.

 

Entretien avec Rosmarie Burri et Auguste Chinet,
par Francesco Biamonte

Culturactif.ch : Rosmarie Burri, comment sont nés les « derniers mardis » ?

Rosmarie Burri : Jusqu'en 1996, je m'occupais de la bibliothèque communale de Perroy, où j'organisais quelques lectures d'auteurs. Nous y avons écouté Bouvier, Z'Graggen, Chessex, Bovard.... Il y avait beaucoup d'auteurs publiant chez Bernard Campiche, non pas par choix délibéré, mais parce qu'il avait réagi de manière particulièrement chaleureuse et soutenait le projet, accompagnait ses auteurs, apportait des livres. Le projet était né en pensant à des gens qui perdaient le plaisir de la lecture, parce que l'effort était trop grand, à cause de l'âge, de la baisse de la vue — un peu dans l'esprit du film La Lectrice . Certains me disaient « J'aime lire, mais le soir je suis trop fatigué » ou « Ça me change de la télé ». Lorsque j'ai quitté Perroy, ces lectures se sont arrêtées.
En 2003, je me suis demandé ce qui m'empêcherait de reprendre une activité de ce genre chez moi à Rolle, où je disposais d'une grande pièce, et d'un jardin en été.

Rien ne vous en empêchait, sans doute ; mais qu'est-ce qui vous motivait au juste ?

RB : Le plaisir est vraiment la motivation centrale. J'étais motivée par le plaisir éprouvé les années précédentes à Perroy. L'expérience faite avec Nicolas Bouvier a été marquante: il a lu une heure complètement en dehors de la ponctuation, sans s'arrêter aux points, en respirant ailleurs, ce qui donnait une lecture complètement différente de ce qu'on pourrait imaginer seul. Qu'est-ce que ça donnait quand Flaubert lisait dans son gueuloir ? Il y a des auteurs du XIXème siècle que j'aurais adoré entendre lire. Ils m'ont transportée même sans cela, mais s'il est possible de connaître aussi cette autre dimension, pourquoi s'en priver ? Le tout dans la rencontre, avec quelque chose d'incarné, de charnel. Il y a un moment dans une relation où les kilos comptent.

Le public a-t-il évolué au fil des années ? Est-il toujours à peu près le même ou change-t-il en fonction de l'auteur invité, des périodes?

Auguste Chinet  : Il y a eu dès le début un groupe de personnes habitant la Grand-Rue ou les environs immédiats. Ces personnes ont été séduites et sont revenues, créant immédiatement un noyau dur d'habitués, assez stable mais pas fixe. Certaines personnes viennent aussi des villages voisins. Certains ne viennent qu'une fois, pour un auteur. Ce sont des gens qui se connaissent parfois plus ou moins, mais la plupart ne se rencontrent guère en dehors de ces soirées. La personnalité de Rosmarie et son aisance en société ont aussi fait beaucoup pour cette fidélisation.

RB : Je pense que beaucoup ont été séduits par une atmosphère particulière, dans laquelle les lecteurs se donnent. La qualité d'écoute, la générosité des lecteurs, tout cela crée une atmosphère que les gens ont plaisir à retrouver. Beaucoup d'auditeurs viennent indépendamment de ce qui va se lire. Chez les habitués, il y a eu un accroissement et un affinement de l'attention du noyau des « fidèles », comme un apprentissage de « bon lecteur ».

Le public cherche donc à la fois le lien social et l'expérience littéraire.
Vous êtes tous deux thérapeutes, encore que d'orientation bien différente : peut-on voir une dimension de développement personnel dans ces séances ?

AC : Développement personnel ? Non, je dis non. Formellement. Nous n'entendons pas soigner la Grand-Rue. Mais en effet, l'aspect du lien social est important, et ce ne sont pas des soirées purement littéraires. Je crois que le public apprécie aussi ce côté-là. Dans certaines lectures plus formelles, seuls les érudits s'autorisent des questions ou des remarques à la fin. Ici, c'est différent. Je me demande si les écrivains eux-mêmes n'acceptent pas nos invitations en partie par curiosité d'une audience hétérogène, représentative d'un lectorat autre que de connaisseurs.

RB : Le développement personnel est un geste autocentré. Ce qui intéresse les gens ici, c'est une dimension de partage. Et une dimension physique, charnelle comme je le disais. Elle n'est pas indispensable à la littérature, mais elle l'est à l'existence humaine. Comme je le disais, plusieurs auditeurs viennent indépendamment du programme. Une personne qui se croyait résolument imperméable à la poésie est ainsi venue écouter Claire Genoux, dont les poèmes lui ont fait, selon ses propres termes « un choc en plein cœur ». Elle a ensuite emprunté à la bibliothèque communale une anthologie de la poésie romande, et elle m'a dit plus tard : « le choc continue ». Ce sont des choses irremplaçables, comme un bon enseignant à l'école.

Auguste Chinet, vous parliez de ce que cherchent les auteurs — avez-vous essuyé des refus dans la préparation de cette première saison ?

AC : Non. Beaucoup d'écrivains ont besoin de se lire en public, ou ont du plaisir à le faire. Prenez Voisard : il pourrait être blasé ; eh bien pas du tout, il a accepté immédiatement, avec enthousiasme. Ou Jacques Probst : je lui ai écrit, puis l'ai abordé à l'issue d'une lecture qu'il donnait au théâtre Le Poche, à Genève ; il a tout de suite accepté l'invitation; et dès que la date a été fixée il a su ce qu'il voulait lire : « C'est un texte qui va bien quand il fait froid », a-t-il dit. Personne n'a demandé de cachet. Voisard a souhaité à être hébergé, il sera logé chez moi.

RB : A la récente lecture de Sylviane Châtelain, le critique Jean-Louis Kuffer, qui était présent, a dit avoir entendu des choses qui lui avaient complètement échappé lors de sa lecture du même texte en solitaire. Sylviane Châtelain a répondu « Moi aussi. »

Les programmes ou la formule ont-ils évolué au fil des années ?

RB : Non, la formule est la même depuis l'origine, et le choix s'est fait toujours de manière très simple et spontanée, au fil des rencontres. Certains auditeurs font des propositions ; certains auteurs se sont aussi proposés d'eux-mêmes à l'occasion de contacts de hasard.

Le choix d'un lieu privé contribue-t-il au caractère particulier des « Derniers mardis » ?

AC : Le charme de la maison de Rosmarie a certainement joué un rôle. Mais au n°5, chez Josette, nous sommes gâtés aussi. L'accueil privé apporte une participation plus active du public, parce que ceux qui viennent pensent tout naturellement à l'organisateur qui reçoit chez lui. Les gens n'apporteraient pas aussi spontanément des tartes ou des bouteilles s'ils se rendaient dans un lieu public. Il y a aussi eu de très bons moments en rinçant les verres en fin de soirée.

Avez-vous sollicité des financements ?

RB : La deuxième année, j'ai reçu 500 francs de la Commune de Rolle, c'est tout. Moi, ça me coûtait dix photocopies, deux heures pour préparer et ranger, et voilà.

Rosmarie Burri, pourquoi passer la main aujourd'hui ?

RB : C'est la conséquence d'un changement professionnel. J'irai comme auditrice au n°5. C'est assez bon de passer la main, de faire ça quelques années, et ensuite, place aux jeunes !

Auguste Chinet, votre première saison frappe par sa diversité : des noms bien connus de la littérature romande (Jacques Probst, Alexandre Voisard, Claire Genoux, Joëlle Kuntz…) en côtoient d'autres : Urs Richle par exemple, donne l'occasion d'une lecture bilingue ; Marie-José Piguet a disparu de la scène littéraire romande, on est heureux de la retrouver ici ; et puis il y a des noms que les amateurs de littérature ne connaissent pas nécessairement : David Walters, Florent Liardet, Marcelle Schicklin…

Nous avions déjà eu une lecture bilingue. C'est un couple d'habitués de ces lectures, Annelies et François Schweizer, qui avait proposé de lire en allemand et en français des passages de « La Chambre des pollens », de Zoé Jenny. Ils connaissent Urs Richle, et ont proposé de l'inviter ; il lira en allemand, et eux en français. Le programme se fait comme ça, entre organisateurs et auditeurs. Un contact personnel de hasard nous amène la participation de Marie-José Knight-Piguet. Florent Liardet est le fils de Rosmarie, il est parti pour Saint-Jacques de Compostelle seul, et a proposé de raconter cette expérience. C'est un risque, en un sens. Marcelle Schicklin est ma compagne, elle vient parler de Proust. Elle en est à sa troisième lecture de la Recherche , elle avait envie de parler du personnage de la grand-mère. David Walters n'est écrivain que secondairement, il est avant tout psychothérapeute. C'est un bon orateur, il improvise bien. Là oui, il y aura sans doute un côté « développement personnel ». Mais ça marchera, parce que les gens s'intéressent aux gens.

Propos recueillis par Francesco Biamonte

 

« Les derniers mardis du 05 » Programme 2007-2008

28 août Alexandre Voisard Lectures choisies, prose et poésie (œuvres récentes)
     
25 septembre Carte blanche à Christian Genillard

En Antarctique avec le « Gentleman des pôles », le commandant Charcot à travers ses journaux d'expéditions.

     
30 octobre Joëlle Kuntz L’histoire suisse en un clin d’œil
     
27 novembre Jacques Probst Ce qu’a dit Jens Munk à son équipage, dans la nuit de la Pentecôte de 1620, …
     
22 décembre soirée surprises (exceptionnellement le samedi qui précède le dernier mardi !). Ce soir-là, toute personne qui en aura envie pourra présenter un livre qu’elle aime, en lire un extrait puis l’offrir à quelqu’un de l’assemblée.
     
29 janvier Carte blanche à
David Walters
Un psychothérapoète racontera ses aventures auprès de ses semblables en quête (ou en fuite) d’épanouissement.
     
26 février Claire Genoux De la poésie à la prose, la danse des mots devant les trains qui partent.
     
25 mars Carte blanche à
Florent Liardet
Mes pas vers St-Jacques de Compostelle – un récit de voyage.
     
29 avril Urs Richle L’écrivain lira des extraits de son livre « Mall oder das Verschwinden der Berge » (Mall ou la disparition des montagnes). Lecture bilingue avec la collaboration d’Annelies et François Schweizer.
     
27 mai Marie-José Knight-Piguet Point de vue : Ecrire depuis Outre-Manche.
     
24 juin Carte blanche à Marcelle Schicklin Une approche du personnage de la grand-mère dans ‘La recherche du temps perdu’.

Adresse - Contact

Grand-Rue 5, 1180 Rolle.
Premier étage. Entrée libre, sans réservation.
Lecture à 20 heures.
Verre de l’amitié pour finir la soirée. (021 825 33 81)