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L'invité du mois
Mario Camelo

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Né en Colombie, Mario Camelo, encore adolescent, pris les armes contre le gouvernement en place, et quitte le pays en 1979 sous protection diplomatique. Il vit aujourd'hui en Suisse. Poète, traducteur et passionnée de photographie (voir à ce sujet son site http://www.dinaphotography.ch/), il est présenté sur la page http://www.culturactif.ch/ecrivains/camelo.htm, et a fait l'objet d'un dossier dans la revue Feuxcroisés (n°4, 2002).

 

  Entretien avec Mario Camelo (Francesco Biamonte)

 

Vous avez quitté la Colombie il y a 27 ans - vous étiez un très jeune homme - pour des raisons politiques, sous protection diplomatique. Pourriez-vous aujourd'hui y retourner sans courir de risques ? Y songez-vous parfois, ou la Suisse est-elle devenue pleinement votre pays?

La Colombie est aujourd'hui en proie à une guerre civile qui ne dit pas son nom. La classe politique au pouvoir est profondément liée à la mafia de la drogue et soutenue par les USA qui livrent une guerre sans merci et catastrophique contre la population colombienne. Il est facile d'imaginer que quiconque ramène une voix discordante ou en contradiction avec le discours du pouvoir est considéré comme un ennemi. C'est mon cas, comme celui de tant de colombiens, vivant dans le pays ou en exil. L'assassinat des intellectuels au pays est l'un des délices macabres des régimes en place.
Retourner au pays natal? Le pays n'est pas seulement un espace physique,
c'est aussi un espace social, humain, un espace de rêves et rêveries partagés, de combats inextricables et sans fin. Je ne suis sorti que du pays physique pour aller vers d'autres rêves, d'autres hommes qui élargissent mon âme, stimulent mon vécu et ma titubante compréhension du Monde. Dans ce sens la Suisse est devenue aussi mon pays natal.

Dans une notice autobiographique parue dans la revue Feuxcroisés et reprise sur notre site, vous expliquez que vous n'avez pas eu besoin de demander l'asile en Suisse, tant votre intégration a été naturelle, évidente même, et immédiate. Est-il indiscret de vous demander concrètement comment vous avez pu vous établir dans ce pays généralement restrictif envers l'immigration extra-européenne? Plus spécifiquement, comment vous êtes-vous senti accueilli en Suisse en tant qu'auteur, dans le milieu de la littérature et de la culture ? Et réciproquement, quel effet vous a fait le milieu littéraire suisse au moment de votre arrivée et au fil du temps ?

Quand je suis arrivé en Suisse, la situation n'était pas aussi tendue qu'aujourd'hui vis-à-vis des étrangers. (Il faut dire que cette situation de tension n'est pas une spécificité Suisse, c'est un phénomène qui touche toute l'Europe.) Est-ce l'immigration massive qui pose problème, ou l'absence d'une pensée sur l'autre? La civilisation occidentale a été et continue d'être une civilisation centrée sur elle-même, aveugle, muette et sourde vis-à-vis de ce qui n'est pas elle-même. Mon cheminement en Suisse est des plus banals. Je ne pas opté pour l'asile politique, parce que j'étais déjà hors danger, et j'ai considéré que cette place là pouvait être octroyée à quelqu'un d'autre en réel danger de mort. Je me suis inscrit à l'Université de Fribourg dans la section de français, langue que je ne parlais pas, et je me suis marié peu de temps après avec une Suissesse.
En tant qu'auteur j'ai été accueilli correctement, on a témoigné de l'intérêt et de la curiosité pour mon travail littéraire tant en Suisse alémanique qu'en Suisse romande. Jamais je ne me suis senti rejeté ou mis dans un placard sous une belle étiquette quelconque. Avec quelques auteurs se sont tissées de riches amitiés, et mes rapports avec les institutions suisses de la culture ont toujours toujours eu pour objet des projets (viables ou non), et non pas mes origines.

Dans la notice autobiographique évoquée, vous parlez très joliment de Fribourg, où vous vivez, et que vous comparez d'une façon qui m'a étonné et ravi à Carthagène des Indes: avez-vous envie de nous dire quelques mots encore de votre ville?

L'environnement physique - dans mon cas la cité - nous relie à une histoire qui devient actuelle et vivante à travers les vieilles pierres, surtout pour un enfant à l'écoute de légendes, d'anecdotes sur sa ville. Carthagène des Indes est une ville forteresse construite par les espagnols, pour abriter et défendre leurs navires, et comme porte d'entrée au pays de cocagne. Par là sont passés tous les trésors pillés pendant la "conquête", des esclaves par milliers; la ville était riche et dotée des constructions remarquables, qui sont arrivées jusqu'à nous presque intactes. Parallèlement l'ancienne Fribourg nous est parvenue dans un état également remarquable. Ces cités tellement contrastées quant à leur l'architecture et à leur espace urbain ont quelque chose qui ne laisse pas d'étonner, peut être ces silences, ces absences palpables, ces dimensions hors du temps, quelque chose de secret ou d'endormi qui recquiert un effort pour décrypter sa langue de signes et préparer le festin de la rencontre, dans un temps au-delà d'hier et d'aujourd'hui. C'est une invitation, ointe de parfums qui ne sont plus familiers, à comprendre ce qui nous structure et qui s'est produit dans l'histoire, à créer des liens, à renouveler la rencontre de sangs qui nous appellent, c'est en somme l'autre miroir protéique et germinal dans lequel nous pouvons nous inscrire dans la continuité, nous sauver de notre individualité envahissante et gangreneuse.

Avez-vous le sentiment d'appartenir davantage à la scène culturelle suisse ou colombienne? A la francophonie ou à l'hispanophonie?

Sans l'ombre d'un doute à l'espace hispanophone. Je n'écris pas en français et j'ai été
très peu traduit dans cette langue. (Cela ne m'empêche de me sentir un auteur Suisse de langue castillane, mais cela reste une élection affective et délicieusement arbitraire.)

Après deux recueils publiés en Colombie avant de quitter ce pays, vous avez publié à Barcelone. On ne dispose malheureusement pas à ce jour d'une traduction française de vos poèmes en volume. La situation semble plus favorable en Italie, où une édition de vos oeuvres complètes était prévue en édition bilingue italien-espagnol. Quel regard portez-vous sur la réception de vos poèmes en Suisse, en Espagne, en Colombie et ailleurs? Où souhaitez-vous le plus vivement être lu?

On souhaite être lu par quelqu'un qui soit prêt à l'écoute, c'est tout. Dans ce sens être lu ici ou ailleurs, dans une langue ou une autre n'a pas d'importance. La poésie ne change pas le monde, elle tente de l'enrichir un peu, conforte dans l'espoir que l'homme est et peut devenir plus que lui-même, et même malgré lui-même. En ce qui concerne la publication le problème reste le même pour les poètes de par le monde : la poésie n'est pas rentable ! Des invitations à publier m'ont été adressées, mais il y a toujours une contribution financière à apporter dont je ne dispose pas actuellement.

C'est grâce à vous que le Service de Presse Suisse (l'association qui édite le Culturactif et Feuxcroisés) a connu un autre Sud-américain de Suisse romande, Américo Ferrari, poète remarquable, et préfacier de l'un de vos recueils. Existe-t-il à proprement parler un milieu littéraire hispanique en Suisse romande?

Pas à ma connaissance. Nous sommes plusieurs auteurs issus du milieu latino-americain à nous rencontrer et à partager des lectures, des conférences, etc., mais sans
un esprit proprement organique.

Votre oeuvre est essentiellement poétique et en langue espagnole. Certains poètes immigrés en suisse ont commencé à écrire en français (Luiz-Manuel ou Marius Popescu par exemple). Votre français parlé est excellent. Avez-vous jamais tenté d'écrire en français? Cette perspective vous tente-t-elle?

Le problème se trouve dans la poésie elle-même : comment écrire un poème dans une langue que ne vous a pas bercé ? La langue poétique est plus que la langue elle-même, elle est aussi un amas d'intuitions, de rappels cryptés, de voix immergées dans le temps, de jeux des mots et de sons remontant à l'enfance, de souvenirs des êtres qui vous ont construit d'une certaine manièreŠ Sans compter les thèmes abordés, qui d'une façon ou d'une autre appartient à une époque et à un espace spécifique. Le Tambour de G.Grass ne pouvait pas être écrit par un
auteur panaméen, par exemple.

La Suisse découvre peu à peu les richesses des littératures d'immigration, qui bénéficient d'un début de reconnaissance - il y a quelques années on a ainsi commencé à parler d'une "cinquième littérature de Suisse". Quel regard portez-vous sur cette tendance récente?

Cinquième suisse sonne comme cinquième colonne dans le meilleur des cas, et cinquième catégorie, dans le pire. C'est un raccourci maladroit de journaliste en mal de mots ou de pensées. Quand je rencontre des gens lors de lectures, ou que ce soit, je n'entends jamais personne parler de la cinquième suisse; ils parlent simplement des ouvres littéraires. Les gens sont plus intelligents que les journalistes, ils ont l'intuition que toute littérature appartient à l'humanité toute entière, et basta.
Il faut dire que dernièrement, un intérêt croissant est perceptible pour
tout ce que se produit en Suisse en matière de culture.

Vous avez traduit en espagnol avec Norberto Gimelfarb des poètes romands (une anthologie a notamment paru en 1995 à Barcelone). Pouvez-vous nous parler de cette démarche, de ce qui vous y a conduit, et de ce que vous avez compris, appris, observé à travers elle ?

La découverte de tant de poésie écrite en Suisse fut une véritable surprise. Dans l'univers hispanophone, elle est parfaitement inconnue, et nous avons voulu apporter un peu d'information, c'est tout. Une autre anthologie est nécessaire, plus riche, plus méthodique. La qualité, la variété, et la complexité des auteurs suisses l'impose.

Votre regard sur la littérature hispano-américaine s'est-il modifié-t-il à travers votre expérience de la littérature suisse, ou de la Suisse en général?

Cette question mérite à elle seule un livre complet pour la développer. Je ne crois pas que quiconque se confronte à une littérature suisse en particulier, ou se confronte à une littérature autre que la sienne. C'est enrichissant et réconfortant de sentir l'autre, cela vous envahit de liberté, de tendresses et de solidarités inédites, inconnues jusqu'à alors.

Quels sont vos projets littéraires du moment?

C'est simple: trouver comment financer le prochain livre, et il y en a plusieurs dans les tiroirs. Tout un programme.

Propos recueillis par Francesco Biamonte

 

Page créée le 19.10.06
Dernière mise à jour le 19.10.06

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