L'invitée
du mois est Marion Ciréfice, instigatrice du projet,
que le Culturactif a rencontrée dans son fief jurassien.
Le Culturactif Suisse: - Marion
Ciréfice, comment l'idée de ce projet est-elle
née?
Marion Ciréfice: - Depuis 10
ans, la vocation de l'entreprise culturelle Arthis, que je
dirige dans le Jura (Saint-Claude), est de travailler sur
les liens entre culture et économie. Considérant
l'homogénéité du paysage jurassien, on
pouvait s'interroger sur le peu de liens qui se tissent par-dessus
les frontières nationales, ou même départementales
ou cantonales et pas seulement dans la culture ! Pour les
gens d'ici, la Suisse, c'est Genève et les banques,
et nous sommes confortablement installés dans une attitude
auto-satisfaite, sans réel questionnement ou curiosité
pour nos proches voisins, qu'ils soient de Suisse, du Doubs
ou du Territoire de Belfort !
C'est dans ce contexte, que petit à
petit est né ce concept d'échanges et de rencontres
autour de la parole et de l'écriture. Raconter des
histoires, créer des émotions, se réapproprier
la parole, partager la richesse de nos découvertes
pour tout simplement tisser ce lien vital entre l'art et la
vie. Repasser par une question : comment mieux vivre ensemble?
Pour interroger ces frontières,
la littérature suisse s'est très vite imposée
grâce à sa grande diversité de points
de vues, exprimée par les auteurs dans leur questionnement
sur l'ouverture de la Suisse au monde. Un questionnement qui
devrait nous intéresser particulièrement au
moment où l'Europe se crée puisqu'il exprime
la complexité d'un monde en mosaïque, celle d'un
pays en quatre langues.
Cette plongée dans une Suisse
multilingue en écoutant la parole des auteurs m'a fait
mieux percevoir ce formidable réservoir de connaissances,
d'idées, de points de vues, et la nécessité
à l'avenir de favoriser davantage la rencontre avec
ces diversités culturelles réunies au sein de
la confédération helvétique.
Peut-être aussi cette conscience
qui naît dans le dialogue, la confrontation des points
de vues, la circulation des idées, l'expression individuelle
et collective.
J'ai donc pris mon bâton de pèlerin
et je suis partie sillonner cet arc jurassien entre Genève
et Bâle. J'ai d'abord découvert la chaîne
jurassique sur toute sa longueur, non seulement le Crêt
de la neige, mais aussi le grand Crêt d'eau, les aiguilles
de Baumes, le Chasseron, le Chasseral, les Franches-montagnes,
la Vallée de la Sagne, la boucle du Doubs
Très vite des liens se sont
tissés et des ancrages nous ont permis de rebondir
et d'avancer dans notre démarche pour convaincre aussi
nos partenaires financiers !
La rencontre à l'automne 2001
avec Gérald Chevrolet, directeur artistique de Maisons
Mainou à Vandoeuvres dans le Canton de Genève,
a été déterminante pour la faisabilité
du projet puisqu'elle nous a permis de monter une réelle
coopération franco-suisse, en menant de paire création
et diffusion par-dessus le mur ! Grâce à Maisons
Mainou, un partenariat a vu le jour avec la Radio Suisse Romande
(Espace 2). Dans le projet tel qu'il se présente, Gérald
Chevrolet est responsable de la mise en voix des textes avec
une équipe de comédiens de Lausanne et de Lyon,
parmi lesquels Michel Toman, de l'Ecole Romande d'Art Dramatique.
Pour mettre en jeu la notion d'
« arc jurassien » dans une perspective transfrontalière,
vous avez choisi une formule à base de pérégrinations
: le projet se déplace pendant quatre ans sur l'arc
jurassien et lors de chaque édition, des balades sont
proposées à travers le paysage, ponctuées
de lectures.
L'idée des pérégrinations
est liée au paysage, et aussi à une culture,
voire un culte de la nature qui appartient aux gens d'ici.
Il était naturel d'utiliser le paysage dans une perspective
qui permette aux gens d'ici de se reconnaître, en accueillant
les gens d'ailleurs un accueil très convivial d'ailleurs
et particulièrement bien organisé par les gens
du pays qui nous conduiront sur les sentiers et nous feront
découvrir aussi des spécialités culinaires
Si l'idée première de
cette coopération culturelle transfrontalière
est de mieux se connaître du Nord au Sud de l'arc jurassien
en mettant en place des partenariats avec les structures culturelles
- voire même économiques ! - notre souci est
aussi de relier le rural et l'urbain. En tant qu'entreprise
culturelle, nous vivons au quotidien le problème de
l'isolement, d'où notre désir de faciliter la
rencontre, d'une part, entre un auteur en résidence
et les habitants et, d'autre part, à travers une programmation
littéraire cohérente et de qualité. Il
était aussi important que cette première rencontre
entre paysages et littératures ait lieu dans cette
partie de l'arc jurassien où la frontière est
la plus marquée par la présence de la forêt
et celle du mur de pierres sèches, barrières
naturelle et humaine significatives de modes de vie autarciques.
Pour les habitants des villes qui nous rejoindront, ce sera
un voyage initiatique au c¦ur de notre histoire, avec
ses fractures et ses résistances des strates de mémoires
assoupies que nous explorerons avec les passeurs d'histoires,
en franchissant ensemble et à pied ce mur de pierres
sèches
Quel accueil votre projet a-t-il
reçu de la part des pouvoirs publics ?
Nous avons réussi à faire
l'unanimité des deux côtés de la frontière,
puisque le 18 septembre dernier la Confédération
helvétique (à travers les quatre cantons de
l'arc jurassien) et le programme européen Interreg
III ont donné un avis favorable !
C'est vrai que nos propres préoccupations
rejoignent ici parfaitement bien les objectifs du programme
Interreg franco-suisse pour renforcer l'attractivité
de l'espace de coopération en valorisant les patrimoines
naturels, culturels et les loisirs !
Coïncidence, intuition ou nécessité
? A court terme la réponse appartient aux participants
qui nous rejoindront les 11-12-13 octobre prochains. L'avenir
nous dira si nous avons su aiguiser la curiosité des
habituels lecteurs ou randonneurs !!!
A moyen et long termes, notre objectif
est aussi que les bibliothèques rejoignent l'association
Saute-frontière, entre autres sur le réseau
du web, pour suivre le travail des écrivains invités
dans le cadre des résidences d'auteurs itinérantes
d'année en année, dans les villages et villes
de l'arc jurassien. Nous souhaiterions aussi mettre en place
- avec les auteurs, les comédiens et les bibliothécaires
- des stages de formation pour conforter cette coopération
et permettre à chacun, une fois de plus, de se rencontrer
et d'échanger autour de différents thèmes
: mémoire et écriture, écriture en ligne,
langage spécifique sur le web, pratique de la lecture
à voix haute...
Comment avez-vous choisi les auteurs
en résidence ?
Nous n'avons pas cherché à
avoir des auteurs qui aient un lien direct et personnel avec
les zones parcourues mais plutôt une sensibilité
aux lieux, à la mémoire, aux gens et le désir
d'écouter puis raconter, avec leur propre imaginaire
et leur sensibilité esthétique.
Yves Laplace, auteur en résidence
itinérante en 2002 sur les villages de Foncine-le-Haut,
Chapelle-des-Bois et le Sentier en Vallée de Joux,
est genevois et publie en France, au Seuil et chez Stock ;
Fabienne Pasquet - auteur invité sur le programme 2003
entre Pontarlier, Yverdon et Neuchâtel - est haïtienne
d'origine russe par sa mère, elle a la double nationalité
franco-suisse, elle vit en France, dans le Vaucluse, et publie
chez Actes Sud.
« Un Mur cache la guerre »
d'Yves Laplace sortira chez Stock en janvier prochain. Les
personnages de ce roman sont des figures issues de cette exploration
à partir de mots, de lettres, d'archives, de cahiers
et de procès-verbaux.
Une version « courte »
avec des photos du mur dans la forêt du Risoud est éditée
par le Centre Régional du Livre de Franche-Comté
et sera offerte dans le cadre de l'événement.
Vendredi 11 au soir au Fort des Rousses, une installation
sonore et visuelle présente ces photos et un extrait
sonore du texte dans le cadre de la Soirée-spectacle
déambulatoire. Il est aussi possible de découvrir
cette ¦uvre remarquable - vraiment ! - le samedi 12
à l'Hôtel de Ville du Sentier à 17 et
20 heures, mise en voix par deux comédiens : Michel
Toman et Isabelle Bonillo.
© Le Culturactif Suisse 2002
Page créée le 10.12.02
Dernière mise à jour le 10.12.02
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