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L'invitée du mois

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  Entre paysages et littératures / Francesco Biamonte

 

C'est un vaste projet que celui mis sur pied par Marion Ciréfice. Vaste quant à sa durée, quant à l'espace géographique qu'il souhaite investir, quant au nombre d'écrivains représentés, de partenaires engagés. Pendant quatre ans «Par-dessus le mur, l'écriture» parcourra physiquement et littérairement l'arc jurassien. Au travail accompli par des écrivains en résidence s'associent des événements qui rassembleront, pendant quelques jours par an, le public, des comédiens, de nombreux écrivains, des guides, autour du paysage jurassien, autour de textes mis en voix, autour d'une frontière et d'un mur de pierre sèche qu'il s'agira de franchir et de questionner.

Des thèmes associeront ainsi le paysage et la littérature, dès ce mois d'octobre et jusqu'en 2005: strates - perméabilités - résurgences - confluences, voilà ces thèmes, à la fois géologiques et littéraires. Une manière de penser une région, une frontière, un échange culturel entre ville et campagne, entre pays.

La première édition, dès octobre, sillonnera le Jura depuis le village français de Foncine-le-Haut à la Dent de Vaulion, en passant par Les Rousses et Le Sentier. Le public pourra entendre des lectures dans les villages, ou s'inscrire pour des randonnées (faciles ou plus sportives), elles-mêmes entrecoupées de lectures par des comédiens ou des écrivains.

F.B.

Programme complet et inscriptions: www.arthis.fr,
ou 022 750 02 50, ou 0033 384 45 18 47.

 

  Entretien avec Marion Ciréfice

L'invitée du mois est Marion Ciréfice, instigatrice du projet,
que le Culturactif a rencontrée dans son fief jurassien.

Le Culturactif Suisse: - Marion Ciréfice, comment l'idée de ce projet est-elle née?

Marion Ciréfice: - Depuis 10 ans, la vocation de l'entreprise culturelle Arthis, que je dirige dans le Jura (Saint-Claude), est de travailler sur les liens entre culture et économie. Considérant l'homogénéité du paysage jurassien, on pouvait s'interroger sur le peu de liens qui se tissent par-dessus les frontières nationales, ou même départementales ou cantonales et pas seulement dans la culture ! Pour les gens d'ici, la Suisse, c'est Genève et les banques, et nous sommes confortablement installés dans une attitude auto-satisfaite, sans réel questionnement ou curiosité pour nos proches voisins, qu'ils soient de Suisse, du Doubs ou du Territoire de Belfort !

C'est dans ce contexte, que petit à petit est né ce concept d'échanges et de rencontres autour de la parole et de l'écriture. Raconter des histoires, créer des émotions, se réapproprier la parole, partager la richesse de nos découvertes pour tout simplement tisser ce lien vital entre l'art et la vie. Repasser par une question : comment mieux vivre ensemble?

Pour interroger ces frontières, la littérature suisse s'est très vite imposée grâce à sa grande diversité de points de vues, exprimée par les auteurs dans leur questionnement sur l'ouverture de la Suisse au monde. Un questionnement qui devrait nous intéresser particulièrement au moment où l'Europe se crée puisqu'il exprime la complexité d'un monde en mosaïque, celle d'un pays en quatre langues.

Cette plongée dans une Suisse multilingue en écoutant la parole des auteurs m'a fait mieux percevoir ce formidable réservoir de connaissances, d'idées, de points de vues, et la nécessité à l'avenir de favoriser davantage la rencontre avec ces diversités culturelles réunies au sein de la confédération helvétique.

Peut-être aussi cette conscience qui naît dans le dialogue, la confrontation des points de vues, la circulation des idées, l'expression individuelle et collective.

J'ai donc pris mon bâton de pèlerin et je suis partie sillonner cet arc jurassien entre Genève et Bâle. J'ai d'abord découvert la chaîne jurassique sur toute sa longueur, non seulement le Crêt de la neige, mais aussi le grand Crêt d'eau, les aiguilles de Baumes, le Chasseron, le Chasseral, les Franches-montagnes, la Vallée de la Sagne, la boucle du Doubs

Très vite des liens se sont tissés et des ancrages nous ont permis de rebondir et d'avancer dans notre démarche pour convaincre aussi nos partenaires financiers !

La rencontre à l'automne 2001 avec Gérald Chevrolet, directeur artistique de Maisons Mainou à Vandoeuvres dans le Canton de Genève, a été déterminante pour la faisabilité du projet puisqu'elle nous a permis de monter une réelle coopération franco-suisse, en menant de paire création et diffusion par-dessus le mur ! Grâce à Maisons Mainou, un partenariat a vu le jour avec la Radio Suisse Romande (Espace 2). Dans le projet tel qu'il se présente, Gérald Chevrolet est responsable de la mise en voix des textes avec une équipe de comédiens de Lausanne et de Lyon, parmi lesquels Michel Toman, de l'Ecole Romande d'Art Dramatique.

Pour mettre en jeu la notion d' « arc jurassien » dans une perspective transfrontalière, vous avez choisi une formule à base de pérégrinations : le projet se déplace pendant quatre ans sur l'arc jurassien et lors de chaque édition, des balades sont proposées à travers le paysage, ponctuées de lectures.

L'idée des pérégrinations est liée au paysage, et aussi à une culture, voire un culte de la nature qui appartient aux gens d'ici. Il était naturel d'utiliser le paysage dans une perspective qui permette aux gens d'ici de se reconnaître, en accueillant les gens d'ailleurs un accueil très convivial d'ailleurs et particulièrement bien organisé par les gens du pays qui nous conduiront sur les sentiers et nous feront découvrir aussi des spécialités culinaires

Si l'idée première de cette coopération culturelle transfrontalière est de mieux se connaître du Nord au Sud de l'arc jurassien en mettant en place des partenariats avec les structures culturelles - voire même économiques ! - notre souci est aussi de relier le rural et l'urbain. En tant qu'entreprise culturelle, nous vivons au quotidien le problème de l'isolement, d'où notre désir de faciliter la rencontre, d'une part, entre un auteur en résidence et les habitants et, d'autre part, à travers une programmation littéraire cohérente et de qualité. Il était aussi important que cette première rencontre entre paysages et littératures ait lieu dans cette partie de l'arc jurassien où la frontière est la plus marquée par la présence de la forêt et celle du mur de pierres sèches, barrières naturelle et humaine significatives de modes de vie autarciques. Pour les habitants des villes qui nous rejoindront, ce sera un voyage initiatique au c¦ur de notre histoire, avec ses fractures et ses résistances des strates de mémoires assoupies que nous explorerons avec les passeurs d'histoires, en franchissant ensemble et à pied ce mur de pierres sèches

Quel accueil votre projet a-t-il reçu de la part des pouvoirs publics ?

Nous avons réussi à faire l'unanimité des deux côtés de la frontière, puisque le 18 septembre dernier la Confédération helvétique (à travers les quatre cantons de l'arc jurassien) et le programme européen Interreg III ont donné un avis favorable !

C'est vrai que nos propres préoccupations rejoignent ici parfaitement bien les objectifs du programme Interreg franco-suisse pour renforcer l'attractivité de l'espace de coopération en valorisant les patrimoines naturels, culturels et les loisirs !

Coïncidence, intuition ou nécessité ? A court terme la réponse appartient aux participants qui nous rejoindront les 11-12-13 octobre prochains. L'avenir nous dira si nous avons su aiguiser la curiosité des habituels lecteurs ou randonneurs !!!

A moyen et long termes, notre objectif est aussi que les bibliothèques rejoignent l'association Saute-frontière, entre autres sur le réseau du web, pour suivre le travail des écrivains invités dans le cadre des résidences d'auteurs itinérantes d'année en année, dans les villages et villes de l'arc jurassien. Nous souhaiterions aussi mettre en place - avec les auteurs, les comédiens et les bibliothécaires - des stages de formation pour conforter cette coopération et permettre à chacun, une fois de plus, de se rencontrer et d'échanger autour de différents thèmes : mémoire et écriture, écriture en ligne, langage spécifique sur le web, pratique de la lecture à voix haute...

Comment avez-vous choisi les auteurs en résidence ?

Nous n'avons pas cherché à avoir des auteurs qui aient un lien direct et personnel avec les zones parcourues mais plutôt une sensibilité aux lieux, à la mémoire, aux gens et le désir d'écouter puis raconter, avec leur propre imaginaire et leur sensibilité esthétique.

Yves Laplace, auteur en résidence itinérante en 2002 sur les villages de Foncine-le-Haut, Chapelle-des-Bois et le Sentier en Vallée de Joux, est genevois et publie en France, au Seuil et chez Stock ; Fabienne Pasquet - auteur invité sur le programme 2003 entre Pontarlier, Yverdon et Neuchâtel - est haïtienne d'origine russe par sa mère, elle a la double nationalité franco-suisse, elle vit en France, dans le Vaucluse, et publie chez Actes Sud.

« Un Mur cache la guerre » d'Yves Laplace sortira chez Stock en janvier prochain. Les personnages de ce roman sont des figures issues de cette exploration à partir de mots, de lettres, d'archives, de cahiers et de procès-verbaux.

Une version « courte » avec des photos du mur dans la forêt du Risoud est éditée par le Centre Régional du Livre de Franche-Comté et sera offerte dans le cadre de l'événement. Vendredi 11 au soir au Fort des Rousses, une installation sonore et visuelle présente ces photos et un extrait sonore du texte dans le cadre de la Soirée-spectacle déambulatoire. Il est aussi possible de découvrir cette ¦uvre remarquable - vraiment ! - le samedi 12 à l'Hôtel de Ville du Sentier à 17 et 20 heures, mise en voix par deux comédiens : Michel Toman et Isabelle Bonillo.

© Le Culturactif Suisse 2002

 

Page créée le 10.12.02
Dernière mise à jour le 10.12.02

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