Marion Ciréfice et " Par-dessus le mur l'écriture "

Voici quatre ans, nous avions suivi le lancement de " Par-dessus le mur, l'écriture" : un vaste projet, singulier, expérimental et ambitieux, qui s'achèvera cette année.
Rappelons en quelques lignes la teneur de cette manifestation complexe : il s'agissait de parcourir en quatre années et quatre éditions l'ensemble de l'arc jurassien, et d'interroger la frontière franco-suisse à travers des événements et des rencontres littéraires. " Par-dessus le mur… " fondait son action au niveau local, notamment à travers des rencontres dans des bibliothèques entre des écrivains français et suisses et le public, au printemps de chaque année. En outre, chaque année à permis à un auteur d'écrire " en résidence ", avec pour mission d'élaborer son texte à partir de rencontres et d'échanges avec des gens du lieu. L'organisation de ces rencontres était de la responsabilité des bibliothèques. En septembre avait lieu l'événement le plus visible : les " Pérégrinations littéraires ", soit un long week-end de randonnées rythmées par des lectures à haute voix, assumées par des comédiens. Il s'agissait ainsi de favoriser le partage d'une expérience littéraire et des échanges personnels entre des participants locaux et des visiteurs venus de l'extérieur. Les dernières pérégrinations auront lieu en septembre de cette année, et marqueront la clôture de cette manifestation. Marion Ciréfice, instigatrice et responsable de l'ensemble du projet, peut aujourd'hui déjà considérer le parcours de " Par-dessus le mur… " avec un certain recul. C'est dans ce sens que nous avons souhaité la rencontrer à nouveau. Elle témoigne de par son attitude dynamique et volontiers autocritique d'un état d'esprit pionnier, et proche de la recherche appliquée : elle a en tout cas conçu une manifestation culturelle originale et très développée, à haute teneur civique. Qui plus est, son concept a su évoluer d'année en année, rendant l'expérience d'autant plus intéressante à reconsidérer après coup.
Le Culturactif, qui se veut un lieu privilégié de la circulation de textes et de l'échange culturel a choisi de relayer la dernière édition et même d'y participer activement : un entretien de Marion Ciréfice figure ci-dessous ; des textes écrits dans le contexte de la manifestation par Marius Daniel Popescu, Alberto Nessi, Jordi Bonells et Philippe Fusaro seront à découvrir les mois prochains dans notre rubrique " Inédits ". Enfin, le Culturactif sera assis à la table du forum " Pensons ailleurs ", une manifestation supplémentaire inscrite dans le cadre de " Par-dessus le mur l'écriture ".

 

Pérégrinations littéraires

Pré-programme des 23 ,24, 25 septembre

Partons !


Vendredi 23 septembre « Migrations des activités humaines »

Entre 18 h et 19 h , rendez-vous à l’hôtel de Ville de Bellegarde-sur-Valserine (Ain).
Ouverture de la quatrième édition des pérégrinations littéraires avec un apéritif offert
par la commune.

A partir de 20 h : c’est au Refuge du Berbois (La Pesse - Jura), au pied d’un des plus beaux sommets du Jura , dans la Combe de Malatrait, que nous serons accueillis pour cette première soirée des pérégrinations littéraires.

Dans cet espace recomposé, entre habitat traditionnel de la montagne jurassienne et campement nomade de toiles colorées, nous aurons le loisir de découvrir
les quatre fictions des quatre auteurs invités des « Ecritures en chantier ».
Rut Plouda(S) Marius Popescu(S) Jordi Bonells(F) et Philippe Fusaro(F).


Samedi 24 septembre « Migrations des activités humaines »

En journée : au départ du Berbois
accompagnés par des personnes du pays, une dizaine de petits groupes se disperseront au cœur de la montagne, empruntant de très anciennes voies de communication à travers combes, cols et vallées reliant autrefois la Cluse de Gex et le Rhône aux abbayes de Chézery et Saint-Claude mais aussi la Méditerranée et la Germanie du Nord !
Carrefour historique reliant jadis la France, l’Italie et l’Espagne, la Borne au Lion est aujourd’hui le trait d’union de trois communautés de communes, entre Franche-Comté et Rhône-Alpes, haut lieu de résistance et croisée de chemin de randonnées.
Sur ces chemins, portés par l’écho des clarines, l’appel de la bergère, les tronçonneuses des bûcherons, chaque groupe fera halte matin et après-midi dans une ferme jurassienne accueilli par les hôtes de la maison, un comédien et « son » auteur.
Ce moment de pose sera l’occasion d’habiter les lieux par la voix et la magie du texte.

19 heures : résonances sonores dans la Combe de Malatrait pour un apéritif musical

En soirée, le Refuge du Berbois accueille Maryse Vuillermet, auteur en résidence entourée de ses protagonistes, habitants de la montagne jurassienne
autour de la thématique : Migrations … qu’est-ce que le travail d’une vie ? »


Dimanche 25 septembre « chemins de poésie »

Matinée :
Marche par petit groupe pour relier le Crêt de Chalam, le Crêt du Nerbier et le Crêt au Merle dominant le refuge du Berbois et la magnifique Combe de Malatrait,
avec les poètes Beat Christen (S), Léonardo Zanier (S), Fabio Pusterla (S)
Marc Porcu (F), Joël Bastard (F)

Après-midi :
Final polyphonique en pleine nature avec l’ensemble des auteurs présents.
Vente de livres par un libraire et dédicaces par les auteurs présents


Forum "Pensons ailleurs"

22 septembre : Château de Dardagny (Hôtel de ville) - Canton de Genève
23 septembre : Hôtel de Ville de Bellegarde-sur-Valserine (Rhône-Alpes)
24 septembre : Refuge du Berbois – la Pesse (Franche-Comté )

Tables-rondes animées par Nicole Lapierre

- Sociologue, Directrice de recherche au CNRS
- Co-directrice avec Edgar Morin de la revue « Communications »
- Directrice de la collection « un ordre d’idée » chez Stock

Aux frontières des disciplines et en marge des territoires,
entre haute-chaîne du Jura et Rhône,
réalité et fiction,
idées et expériences,
espaces géographique et littéraire
d’un lieu à l’autre,
auteurs et traducteurs, sociologues, historiens, ethnologues, géographes, éditeurs, acteurs économiques et culturels partageront avec les habitants des montagnes et des centres urbains une réflexion itinérante, voire même vagabonde.

A la globalisation arasant les reliefs, érodant les différences et effaçant les héritages s'oppose souvent le repli derrière les remparts illusoires des frontières nationales.
Dans cette polarisation entre mondial et national, l'expérience des régions frontalières en Europe, à la fois fortes de leur spécificité et perméables à la circulation des hommes, des langues et des idées, ne représente t’elle pas l’alternative d’un régional en mouvement ?

L’objectif, à travers ce forum public, est de questionner la montagne jurassienne (arc jurassien) dan sa confluence avec le Rhône (arc lémanique) en tant que :

- limite, lisière, confins et marge

mais aussi :
- lieu de passage (par les cols, cluses, percées, chemins, ponts etc…)
favorisant la migration des activités humaines

- et lieu de refuge (peuplement de la montagne par des gens venus d’ailleurs
et développement d’une pluriactivité).

A partir de ces singularités morphologiques et humaines, nous traverserons les frontières géographiques et politiques pour dépasser les limites du connu et nous aventurer dans la création littéraire : cheminement et migration de la pensée.

Par l’espace offert au regard et la parole vivante, cette rencontre entre les habitants et les hôtes venus d’ailleurs, pourrait nourrir un processus de transformation qui, prenant en compte l’ouverture aux autres et le renouvellement de soi, apporterait une contribution originale à la coopération transfrontalière dans l’arc jurassien : redonner le goût du risque et de la création.

 

Entretien avec Marion Ciréfice,
instigatrice et responsable de " Par-dessus le mur, l'écriture "

Le Culturactif : Après trois éditions, et pendant que la quatrième prend forme, êtes-vous déjà à même de tirer un bilan ?

Au vu des récentes votations, par lesquelles la France a refusé d'adopter la Constitution européenne, je suis plus convaincue que jamais de la nécessité de tels projets, qui témoignent d'une démarche citoyenne d'implication - une démarche qui consiste à se raconter des histoires ensemble. Le mot " ensemble " prend ici encore plus de sens, mais cela requiert du travail que de lui donner tout son sens - dans une époque de replis dus à des peurs qui ne trouvent pas d'autre lieu où s'exprimer. Je suis convaincue que notre place est aujourd'hui sur les frontières, pour en faire des lieux de passage. En ce qui concerne les zones de montagne, et notamment l'arc jurassien, je pense que la communication était paradoxalement plus aisée et plus naturelle par le passé qu'elle ne l'est aujourd'hui. La montagne était aussi plus habitée.

Les expériences passées ont elle contribué à donner une forme différente à cette dernière édition, ou pour le dire autrement, en quoi cette édition manifeste-t-elle sa valeur de " cérémonie de clôture " ?

Le projet contient depuis sa naissance plusieurs objectifs. L'un de ceux-ci était de travailler sur la relation entre la voix et le paysage, le texte et le paysage. Petit à petit, cet aspect est devenu nettement central, et nous avons peu à peu gommé d'autres aspects que nous pensions développer à l'origine. Au départ en effet, je comptais diversifier les approches, et travailler aussi dans le domaine des arts plastiques, de la musique, de la mise en scène. Mais nous avons en fait simplifié toujours plus, pour mettre le participant face au paysage et à la voix, parce que c'est là l'essentiel, la magie qui fait l'événement. Même si ça ne peut pas toujours marcher. La première année, ça a marché. La deuxième, ça n'a pas marché. Nous nous sommes demandés pourquoi, et avons conclu que nous nous étions étalés sur trop de lieux, dans un trop grand espace. Il faut une unité de lieu, même dans une manifestation qui prévoit que l'on marche et se déplace, que l'on se croise… Cette dispersion a mis les participants dans une situation d'insécurité, ne sachant plus où aller, où s'arrêter. Et il y avait plus généralement une trop grande diversité à l'intérieur des " Pérégrinations ". Même si, comme l'a dit Jordi Bonells lors d'une rencontre avec des élèves ce printemps : " La consigne, c'est d'avoir tous conscience que nous prenons tous un risque "…

Un autre objectif de la manifestation est d'ordre artistique et expérimental. Il a pris dès 2002 la forme de la résidence d'auteur, notamment : Yves Laplace a tiré de sa résidence le livre Un mur cache la guerre, qui s'est fait très rapidement. En 2003, c'est Fabienne Pasquet qui était l'auteur en résidence ; nous avons cherché a intensifier ses contacts avec la population locale, et en effet elle en a eu beaucoup. Et même trop. Ça a pris trop de place, et les contacts ont pris le pas sur l'écriture. Cette dispersion se retrouvait dans l'espace trop grand et sans repères dont je parlais tantôt (qui incluait le Val de Travers, le Mont d'Or, Pontarlier, Neuchâtel., Yverdon… bref…). Du coup, on n'a pas pu trouver de " substantifique moelle ", et les personnes qui avaient accueilli Fabienne Pasquet ne se sont pas retrouvées dans son travail - contrairement à ce qui s'était produit avec Yves Laplace. Ce sont les aléas de la formule " auteur en résidence ".
Mais nous avions aussi sollicité six auteurs (de la Suisse italienne, alémanique, romande, de France) pour écrire chacun un petit texte autour de quelques questions, sans davantage de consignes - de sorte que certains ont opté pour un traitement plus sociologique, d'autres plus littéraire, etc. La cohérence a manqué entre ces textes. D'ailleurs les auteurs ne s'étaient pas vus.
En 2004, pour l'édition " Au fil du Doubs ", nous avons donc essayé de corriger le tir avec Michel Beretti, et nous nous sommes retrouvés dans l'excès inverse : il s'est trouvé trop cavalier seul ; d'ailleurs il avait son sujet d'emblée. En revanche, les quatre auteurs invités en 2004 ont abouti avec un très beau travail lu à haute voix, enregistré et édité sur un CD - d'ailleurs très réussi aussi d'un point de vue technique grâce à Espace2, qui en assurait la réalisation). La relation au paysage s'est également tissée de très belle manière, avec relativement peu de gens et de belles rencontres le soir dans les bibliothèques. Une réussite.
Une nouveauté a en outre été introduite en 2004 : la collaboration avec les établissements scolaires de part et d'autre du Doubs, où les quatre auteurs invités ont animé des ateliers d'écriture avec les élèves, débouchant suer des textes individuels ou collectifs. L'expérience a été très concluante ; mais il y a manqué la dimension de l'échange transfrontalier, essentielle dans notre démarche.

Donc en 2005…

D'abord, nous avons instauré deux semaines culturelles en mai, au lieu d'une comme dans les éditions précédentes. Les trois auteurs invités (il devait y en avoir quatre, mais il y a eu une dédite au dernier moment) ont passé les soirées dans les bibliothèques avec le public, et deux journées chacun avec une même classe pour y animer un atelier d'écriture. La dimension de déplacement géographique qui, comme je l'ai dit, avait fait défaut en 2004, a été intégrée. Tous les textes nés de cette démarche paraîtront en septembre 2005 dans Le Persil, le journal de Marius Daniel Popescu, l'un des auteurs invités, qui s'est particulièrement engagé.
Ce travail avec les écoles semble être appelé à se poursuivre : il y a une forte demande des écoles, surtout des petites. Les communes aussi ont compris et apprécié. C'est la première fois que j'ai le sentiment que l'une de nos initiatives va rebondir, et durer indépendamment de la manifestation proprement dite.
L'auteur en résidence cette année est Maryse Vuillermet, que nous avons dirigée vers la relation entre texte et paysage. Son temps est partagé en deux : la moitié pour écrire, l'autre moitié pour participer au projet dans les écoles, les bibliothèques. Elle a simplement pour mission de nous livrer environ 40 pages sur la thématique de l'année, " Confluences ". (Si Laplace avait sorti un livre tout de suite, Fabienne Pasquet et Michel Beretti n'ont pas, ou pas encore, abouti à un texte, d'où notre volonté de donner cette consigne à notre nouvelle auteure en résidence.) Le projet de Maryse Vuillermet est lié à des histoires de migrations et de confluences humaines. Pour les rencontres en bibliothèque, nous avons essayé cette année une nouvelle formule : l'auteure avait 15 minutes pour se présenter et lire un extrait, la parole était ensuite donnée à des personnes invitées par les bibliothèques. Le résultat a été formidable, des histoires extraordinaires sont sorties, avec des moments extrêmement forts, et même des révélations, des histoires importantes pour le village. Ces histoires deviennent donc le matériau que l'auteure va " retricoter " - selon son propre terme - dans un roman.
Là., le travail s'est vraiment fait avec les habitants, et il est pratiquement acquis qu'ils viendront participer aux " pérégrinations littéraires " en septembre. Avec une confluence vers la Borne au Lion; des associations locales de marcheurs conduiront les groupes. C'est très important, parce qu'un de nos objectifs est de créer des liens entre gens " d'ici " et " d'ailleurs ". Or l'accueil des visiteurs par les habitants est la partie du projet la plus difficile à réussir, c'est ce qui a marché le moins bien jusqu'à présent en dépit de nos efforts.

De qui se compose le public ?

Ce sont surtout des urbains qui viennent aux " pérégrinations ". Les gens de la montagne les perçoivent comme du tourisme, et par conséquent ils ne s'y intègrent pas. Le manque d'engagement personnel des habitants du lieu est d'ailleurs aussi un problème de l'industrie touristique : les gens sont souvent d'accord de travailler dans ce secteur et de gagner de l'argent, mais sans s'engager personnellement et humainement dans l'accueil. D'où l'importance des semaines culturelles de mai, où le public est justement composé de gens du lieu.
A noter que parmi les " urbains ", 35% sont fidèles à la manifestation et reviennent d'une année sur l'autre. Il y a donc de nombreuses personnes qui auront suivi la manifestation sur quatre années et auront parcouru avec elle tout l'arc jurassien. Et ce ne sont ni de grands marcheurs ni de grands lecteurs : ce sont des gens curieux.

" Par-dessus le mur, l'écriture " s'achève cette année. Quelles sont les perspectives de Saute-frontière, l'association qui porte le projet ?

Nous espérons faire émerger un nouveau projet émanant davantage du terrain, des élus, des acteurs culturels locaux, toujours autour du thème de la montagne en tant que confin, mais aussi lieu de passage, marge mais aussi refuge. Nous avons des propositions, qui doivent aussi s'exprimer dans le forum de cette année " Pensons ailleurs " : l'une des fonctions de ce forum est justement de lancer des pistes pour l'avenir.

On peut avoir actuellement le sentiment d'une " tendance " consistant à interroger le paysage et la frontière par la littérature : on peut penser à " Paysages en poésie ", à " Lettres-frontière ", par exemple. Quelle est votre place là-dedans ?

Notre spécificité, c'est la marche. C'est elle qui libère l'esprit pour l'écoute. Les participants nous le disent : le contexte permet à beaucoup de gens un accès à des textes dans lesquels, sinon, ils ne seraient pas entrés.

Propos recueillis par Francesco Biamonte