la revue COMA
un petit ovni littéraire (Par Pierre Lepori)

Quel joli mystère. Entre les mains, deux fascicules aux couleurs discrètes (rose ancien et kaki), au format modeste. Sur la couverture, estampillés en bleu et noir, quatre lettres et un petit logo: coma , au dessus d'une virgule de bonne taille… un titre d'une belle ambiguïté. Le colophon dit seulement : premier numéro, deuxième numéro. Dans ses 36 pages soigneusement imprimées, des textes de création en italien, en français, en allemand. Cela nous intéresse au plus haut point, mais le mystère persiste… Aucun texte n'est signé, aucune mention d'une rédaction ou d'un responsable de publication ne figurent sur les deux plaquettes. Seules les dates (mars et octobre 2007) et une adresse électronique pourraient nous donner une piste. Nous écrivons aussitôt à cette adresse fantomatique ( coma_info@gmx.net ), demandant à être renseigné. La réponse, qui nous arrive par la poste, nous surprend et nous plaît, d'autant plus qu'entre-temps, la lecture des inédits nous à offert quelques belles surprises littéraires : nous sommes bien loin d'un simple jeu potache.

Voici cette première réponse, recopiée d'une feuille A4, sans signature bien sûr :

Coma est le prétexte de la maintenance d'une rencontre en proximité de l'écriture. Le principe qui régit Coma est l'absence de la marque de l'auteur. D'une part, parce que la signature n'ajouterait rien au texte ; d'autre part, pour prendre au pied de la lettre l'effacement de l'auteur. Bien qu'il soit évident que le style éperonne le parafe. Coma résiste dans la tension de cette contradiction. Coma ne sera pas l'auteur mais le passage d'une trace multiple.

Coma se trouve au hasard ou tombe du ciel. On peut aussi bien la voir reposer sur un banc que sur l'étagère d'une librairie, dans une boîte aux lettres, à la poubelle. Ou ne rien en savoir. Au fond, Coma est en voie de disparition. Cela fait son moteur.

La prise en compte d'une suspension, de la décadence d'un état, fait que Coma accepte des textes inachevés, des textes qui essaient, qui balbutient, qui respirent artificiellement.

Coma est l'oreille et la bouche.

Le prochain numéro sortira en mars 2008.

Toutes proportions gardées, ce joli programme convoque des expériences fort significatives dans la littérature contemporaine, notamment dans les groupes collectifs réfléchissant aux problèmes du droit d'auteur, et au concept même d'auteur, tel qu'il s'est forgé dans l'histoire de la littérature. Cela nous rappelle, en particulier, le collectif italien Wu-Ming (issu d'un projet underground, rassemblant plusieurs auteurs anonymes sous le nom fictif de Luther Blisset). En une dizaine d'années, Wu-Ming a publié plusieurs ouvrages à succès chez Mondadori. Son nom chinois signifie «sans nom». Ce projet se concevait comme un acte culturel subversif : sa stratégie visait à dynamiter le système éditorial fondé sur le renom (parfois «télévisuel») d'un auteur, tout en restant à l'intérieur de la production d'un grand éditeur.
«Coma» semble aller plus loin dans l'effacement de l'auteur : pas de signature, pas d'éditeur affiché, bien que la qualité de ces petits fascicules laisse imaginer la présence, sinon d'un éditeur, du moins d'un imprimeur doué. La visée non commerciale de « Coma » rappelle en outre le mouvement international du bookcrossing  : il s'agit d'abandonner un livre dans un lieu public, avec une étiquette qui permette d'en suivre le parcours, pour qu'il circule librement et passionnément de main en main, de lieu en lieu. Le projet semble donc s'inscrire également dans une démarche anti-commerciale, avec une prise de position par rapport au marché du livre. Il pose la question fondamentale du statut du professionnalisme et de la rentabilité dans la création.
En répondant aux questions que nous leurs avons adressées, «Coma» a gardé tout son mystère, en nous renvoyant des ripostes plus ou moins sibyllines, et bien sûr sans signature.

 

Entretien (par mail)

Par son absence de signature et d'éditeur, Coma fait penser au mouvement international du copyleft (c.à.d., pour simplifier, le contraire du copyright ). A nos yeux, il s'agit donc d'un acte politique. Comment vous situez-vous par rapport au vaste débat sur le droit d'auteur (très aigu dans le domaine de la musique, mais présent aussi dans la littérature) ?

Coma n'est pas un acte délibérément politique. Du moins, elle n'est pas une conscience politique. Elle est, au mieux et après coup, un lieu interprétatif du politique. Et politique, au sens le plus trivial, de « vivre ensemble », voire de « tenir ensemble ». A son insu. Coma n'a pas d'opinion et refuse de trancher. Elle glisse en dessous des polémiques.

Vous revendiquez un effacement de l'auteur, mais ne poussez pas votre démarche jusqu'à l'effacement du moi : quelle est votre approche de l'individualité en écriture, dans ce contexte anonyme? Quel «je» est-il mis en jeu dans les textes de Coma ?

Je me demande si le « je » se rapporte nécessairement à un « moi ». Il est une voix narrative comme une autre. D'ailleurs, on ne règle pas la question du moi, simplement en supprimant le « je ». Le monde n'est pas nominaliste.
Si Coma est un individu, dans le sens où il se laisse enfermer par son nom, on peut s'interroger sur sa manière d'être : morcelée, schizo, artefact, etc.
A remarquer, l'indécision de son sexe. Coma vibre en le « il » et le « elle ».

Si l'on ose une question plus terre à terre: le support de ces écrits égarés est beau: petit format original, papier et caractères d'imprimerie soigneusement choisis, souci du détail. S'agit-il d'un travail artisanal (également collectif) ?

Oui, accidentellement.

Sommes-nous, face à Coma, en présence d'une performance, ou d'une revue de littérature fantomatique (voir fantasmatique)?

Il y a peut-être quelque chose de performant, dans le sens où l'écriture se met en jeu, et cherche à s'épuiser et à se relancer sans cesse. Coma est à la fois fantomatique et fantasmatique. Mais aussi fantastique. Coma se maintient en suspens entre le réel et l'imaginaire, entre le vrai et le faux, pouvant créer quelque chose comme un sentiment d'étrangeté.

Belle surprise: Coma est plurilingue, elle présente des textes en italien, français et allemand. Cela a-t-il des implications plus subtiles sur les textes eux-mêmes ? Des «auteurs» italophones écrivent-ils, par exemple, dans une autre langue, ou inversement? Le choix des trois principales langues nationales suisses est il délibéré (rien ne nous indique que votre siège est en Suisse), ou envisagez-vous d' élargir votre palette à l'anglais, au romanche ou à d'autres langues?

Coma est une ouverture. Elle mange dans toutes les langues. L'utopie de Coma, s'il avait une utopie, serait qu'elle se crée dans plusieurs lieux à la fois de manière autonome.

Vous écrivez que « Coma ne sera pas l'auteur mais le passage d'une trace multiple »: êtes-vous une seule personne, plusieurs (ou peut-être un martien graphomane) ? S'agit-il d'un travail collectif sur chaque texte, écrit à plusieurs mains ? Ou chaque texte porte-t-il au moins une subtile trace de son auteur (puisque vous dites aussi que « le style éperonne le parafe »)?

Toutes les combinaisons sont possibles, mais pas nécessaires.

Les multiples voix qui traversent Coma et y laissent leur trace ont-ils une démarche stylistique collective, avec une discussion «rédactionnelle» autour des textes ?

Coma n'a pas d'idées reçues sur l'écriture. Il est en devenir. Coma sécrète.

L'inachèvement est également un des principes assumés de Coma : jusqu'à quel point poussez-vous ce principe ? Seriez-vous partisans du premier jet, publiable sans retouches? Y a-t-il un lien entre la « décadence d'un état » (celui d'auteur tout puissant, j'imagine) et l'inachèvement ?

Oui.

Les participants à Coma se connaissent-ils personnellement ou travaillez-vous dans un anonymat respectif, communiquant par mail, sous pseudonyme, nick-name ou fantôme interposé ?

Oui, il y a des mains derrière Coma. C'est ce qui fait sa contradiction ou son impossible. Elle n'est pas acéphale. Cela la rend, malgré tout, vulnérable.

 

Quelques extraits de la revue

Le tueur de poupées

Kurtz Bellmer entrait dans la boutique gothique « Au cœur des ténèbres », son fusil à pompe en bandoulière, le braqua sur la vendeuse : « Allez me chercher la poupée dans la vitrine et déshabillez-là ! » Il prit le mannequin, lui arracha les bras, les jambes et la tête. « Je garde la tête. Maintenant, allez poser le tronc dans la vitrine ! » Il allait repartir quand il se ravisa, se retourna et lâcha : « Je suis l'unique créateur ! » tandis qu'il déchargeait son fusil en plein cœur. Le corps de Lilah Kemp fut projeté contre le mur avant de s'affaisser au sol. Dans la vitrine, le tronc trembla légèrement. Ce qui déplut à Kurtz Bellmer.

***

Le terrain en friche, écartant divertissement les quelques mots inattention malvenus qui font négligence barrage au sens. Les obstacles ne vous effraient nullement, vous les enjambez sans peine, évitez les pièges en tout genre. Vous les saisissez au corps. Dans un coin étourderie légèreté imprudence . Acculés ainsi, on ne donne plus alors guère cher de leur peau.

Imperturbable, ces tentatives de déconcentration vous effleurent.

Pas d'impair, seul compte l'obstination. Les écarts ou autres bévues vous sont désormais étrangers.

Atout simple mais exemplaire, votre œil aguerri. Toute l'attention disponible s'est concentré en deux points de

Coma , premier numéro

 

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Endes des Sommers

1
In ihren schäumenden Kronen eine längst
vergessene Post
Die nie gelebten Träume entschlafener Matrosen
Unausgesprochene Wünsche rauher Hände,
deren Mut im Gelächter der blauen Schwester
verstummte.

2
Beim Übergang stolperte ich,
meine alte Haut löste sich wie von selbst.

Coma , deuxième numéro

 

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Pelle di daino

Radio spenta. Era notte. Rannicchiato. Rasato, rosa fresco, tre dita di basette. Due volte al giorno procedeva al rito. Lama, sapone e talco. Pantaloni marroni, piegati sulla seggiola di velluto verde. Odore di vecchia tappezzeria. Muffa. La tazza ancora sul comodino, scheggiata. Pigiama chiuso fino all'ultimo bottone, a quadrettoni sbiechi. Paraocchi Lufthansa e mani pelose, il Dottor Konrad dormiva lieto, la bocca socchiusa a mo' di tana di grillo. I premolari d'oro brillavano nella penombra, ingiallendo l'atmosfera notturna. L'ultima volta che aveva passato la notte alla locanda Würzenburg, un secolo prima, si era sentito più solo che mai, come quando, al ritorno da una battuta di pesca subacquea, dopo aver sguazzato e ucciso (magari un paio di saraghi), fuori dai flutti si scoprono gli scogli deserti e sciacquati dalla pioggia.

Non avrebbe più mangiato i Knödel della padrona, la prosperosa signora Sadonova. No, decisamente tutto quel burro non conciliava il sonno. Se lo sentiva ancora scivolare in gola. La zuppa alle ortiche era sicuramente migliore, più leggera, del resto glielo avevano anche detto. Poi quel suo retrogusto azotato, ne era ghiotto.

Dovevano essere le due del mattino. Era l'ora alla quale ogni notte si alzava per alleggerire la vescica. Sarà stata l'età, o l'abitudine. La pioggia batteva, un tic tac incessante sulle imposte di larice vecchio. L'aria pesante e fredda era una melassa nella stanza. Infilò le pantofole dai motivi scozzesi, un prolungamento del pigiama. Poi, in uno scricchiolio di articolazioni, si diresse verso la porta, tastando la maniglia storta con i polpastrelli asciutti. Il corridoio era scuro. Giù in fondo, a una decina di metri, non lontano dal bagno, sulla sinistra, sembrava esserci un chiarore verdognolo, come una macchia di luce ritagliata da un profilo aguzzo. Una figura, qualcuno. Inghiottito nell'atmosfera arcaico- rustica dell'arredamento, il Dottor Konrad, guidato anche dalla curiosità morbosa dello scienziato (la stessa che lo aveva condotto negli anni di lavoro presso l'Istituto di Etno-entomologia della capitale), schivò le pieghe del tappeto anatolico e si spinse verso quella luce. Lì, vicino alla scansia che reggeva le scarpe degli ospiti, c'era una sagoma, un rumore leggero, come di acqua, una cascatella, una fontana. Si era avvicinato, preciso e sistematico come era. Ed eccolo là in piedi, sghignazzante in a, con un'aria tra il malizioso e il fasullo, il padrone. Ma non era morto anni prima , di malattia, di setticemia o forse in guerra? Poi dicevano che beveva. E cosa teneva nella mani? Un cilindro, un pezzo di legno che gli pendeva fra le gambe. L'indecente urinava allegramente da quel coso, proprio sulle sue scarpe, quelle stesse che aveva portato con sé dal Galles, e alle quali teneva in modo maniacale. Quel loro cuoio morbido, daino, e le stringhe rigate. […]

Coma , deuxième numéro