Hommage à Monique
Laederach
Version imprimable
|
En témoignage
d'estime et de gratitude
Monique Laederach,
écrivaine
Maintenant que j'ai ramené dans
ma chambre
cette récolte d'images,
et la nuit va tomber, les quatre murs de la nuit,
je vais me taire et me coucher en elle
|
C'est par ces vers émouvants
d'acceptation et d'apaisement que s'ouvre le faire-part
de décès de Monique Laederach.
Monique Laederach, je l'ai
rencontrée en lisant ses livres. Depuis
J'habiterai mon nom - Jusqu'à ce
que l'été devienne une chambre 1,
c'est un long parcours qui se mesure en romans,
en recueils de poèmes, en traductions,
mais en quêtes encore, en revendications,
en engagements. Elle savait que le temps lui était
compté et cela semblait décupler
sa volonté d'achever les projets en chantier.
Sa capacité de travail m'étonnait;
j'ai admiré son courage.
|
|
Son uvre littéraire -
une trentaine de publications - est délibérément
accomplie. Chaque livre tombe comme l'expression ou la conscientisation
d'une étape nouvelle dans un long processus d'évolution
et de travail sur soi et sur l'écriture. Une uvre
riche s'élabore ainsi dans la durée et dans
l'intervalle. Toutes ces voix - pas encore apaisées,
comme brûlées vives - qui couvent à l'intérieur
de l'auteure encore jeune, Monique va très tôt
les assumer, leur donner une forme, la forme du don, la forme
du poème:
Fini le temps que je restais embusquée
sur le bord des forêts
certaine de la proie et de ma ressemblance
avec la proie
Il faudra vivre. Vivre cela.
Et toi
ma Chienne
ma contiguë
ne plus errer la queue basse entre les haies la nuit
2
Dès lors il n'est que de se
battre. Monique Laederach a choisi. Elle se battra. Elle revendiquera.
Elle écrira. Fille d'enseignante et de pasteur, elle
accomplira les écritures, soit, mais à
la lueur d'un esprit éclairé, à la lueur
d'une plume originale et créative, dans le questionnement
qui est le propre d'un individu assumant à la fois
son héritage et sa liberté. Un parcours de combattante.
Qu'elle mènera à maturité. Dans la cohérence
qui marque son uvre, son engagement, et jusqu'au choix
des auteurs qu'elle a traduits, dont Adolf Muschg, Mariella
Mehr et Erika Burkart.
On a parfois reproché à
Monique Laederach des prises de positions tranchées
ou tranchantes. Non seulement elle les assumait, mais elle
les revendiquait. Si elle suscitait le différend, n'est-ce
pas que l'identité et la différence la questionnaient?
Au-delà de ses engagements, ce qu'elle défendait
avec passion, me semble-t-il, c'est le droit -non seulement
le droit mais le devoir - d'être soi-même. En
cela elle était exigeante, toute forme de lâcheté
l'irritait. C'est à la racine de l'être que s'ancrent
et s'organisent les combats, les engagements les plus durables,
c'est là que germent nos raisons de vivre; à
ce propos on ne saurait ignorer certains poèmes qui
sont comme le corpus et la genèse de l'histoire:
Avant même que je vienne au
monde
dit-elle,
tout était préparé. Le moule ses
rondeurs et ses aspérités.
Le nom. La qualité.
Avant même que ma peau soit étendue sur tous
mes membres,
Ils avaient décidé quelles choses étaient
à droite,
lesquelles à gauche décidément,
et que les petites filles sont dociles,
qu'elles n'ont aucune méchanceté.
Seulement, dit-elle: moi, j'étais
méchante.
Déjà dans le ventre de ma mère
une petite graine volubile et méchante... 3
Le défi a été
relevé, la graine a pu germer. Monique Laederach nous
lègue une uvre riche, originale et forte. Dépassant
le champ réduit du combat intime et nécessaire,
l'écrivaine a atteint toute sa dimension. Ces dernières
années, on la voit aborder des thèmes plus variés
et arpenter les champs de l'imaginaire dans des titres tels
que Je n'ai pas dansé dans l'île ou Ce
chant mon amour 4. Elle en était consciente
et savourait cette liberté nouvelle: "Depuis trois
ans, je pense que j'ai passé un seuil. Avant, je me
concentrais surtout sur l'exclusion, l'exil
Aujourd'hui,
je me laisse peut-être plus aller à mon plaisir
de raconter" 5.
Monique Laederach et Le Culturactif
Suisse
En 1997, au moment où fut créé
le site Internet www.culturactif.ch, je sollicitai la collaboration
de Monique Laederach. Le site souhaitait apporter un écho
de la production littéraire des différentes
régions linguistiques de Suisse. Monique Laederach
avait à la fois les compétences nécessaires
et la connaissance des différents milieux littéraires,
c'est ce qui m'a incitée à la contacter. Les
bases du site étaient à peine posées,
il fallait convaincre, trouver des partenaires; Monique Laederach
n'a pas hésité, dès le départ,
elle s'est engagée sans réserve, elle a tissé
des liens, contacté des auteurs, et régulièrement
elle les a traduits sans rien demander en retour. Sa collaboration
aura été des plus précieuses.
Enthousiaste, ouverte, généreuse,
c'est ainsi que je l'ai connue, heureuse de surcroît,
quand elle pouvait contribuer à faire connaître
le talent d'un jeune auteur. La musique l'habitait, la thématique
de la création et de la traduction la passionnait.
Dans sa traduction de la Lettre au père de Kafka,
on la voit poursuivre une recherche dont elle évoque
l'intérêt et les enjeux dans la postface du livre
6. Ses exigences littéraires étaient
fortes: Il s'agit d'acquérir la maîtrise de
la langue poétique; au jour le jour il s'agit d'acquérir
un véritable métier, soulignait-elle l'été
passé, dans les échanges que nous poursuivions
entre membres du jury d'un concours de poésie.
Une relation de travail s'est développée,
des liens se sont tissés. Attentive à l'autre,
Monique sollicitait le partage sans l'imposer, elle proposait
une rencontre, parlait volontiers de l'écriture, des
personnages qui l'habitaient, de Jarkko ou de Cornélia,
de musique, de poésie. La maladie, elle ne l'évoquait
pour ainsi dire jamais, un mot à peine quand la chaleur
de l'été l'accablait et que la respiration se
faisait plus difficile. Défiant l'échéance,
elle se projetait dans un nouveau roman, achevait une traduction.
Et ses projets le lui rendaient bien, qui la portaient, qui
la tenaient debout. J'ai rencontré une femme courageuse,
une femme habitée par tant de projets qu'elle réussissait
à faire oublier qu'elle était aussi une femme
en train de mourir
Ouverture
Désemparée face à
la mort dans tout ce qu'elle a d'irrémédiable,
je fais demi-tour, pivote sur mon siège et me retourne
face aux rayons de la bibliothèque. Les livres sont
là, ceux que j'ai achetés, ceux qu'elle m'a
offerts, dédicacés. J'en prends un, je lis un
passage qui s'accroît d'une autre dimension. Je cherche
un titre que je ne trouve plus dans ma bibliothèque,
La flèche dérobée au vent 7
a disparu. Et puis je me souviens d'un CD où l'auteure
lit ses propres textes 8, je branche les écouteurs,
j'écoute sa voix. Un écho emplit toute la pièce.
Le sentiment de peine et de perte se mue en sentiment de reconnaissance.
Qu'elle repose en paix, je ne peux m'empêcher
de penser.
A celles et à ceux qui sont
éprouvés par son décès -à
sa famille tout particulièrement- à ces fidèles
amis dont elle parlait avec attachement, je voudrais dire
ma sympathie. Les êtres disparaissent mais ces instants
fugaces où la rencontre a eu lieu sont des parcelles
inestimables d'éternité.
Cela au moins ne disparaîtra
pas.
Roselyne König
Mars 2004
- J'habiterai
mon nom, poèmes, L'Age d'Homme, 1977 et Jusqu'à
ce que l'été devienne une chambre, poèmes,
Vernay, 1978
- Jusqu'à
ce que l'été devienne une chambre, poèmes,
E. Vernay, 1978
- Si vivre
est tel, poèmes, L'Age d'Homme, 1998.
- Je n'ai
pas dansé dans l'île, L'Age d'Homme, 2000.
Et Ce chant mon amour, poèmes, L'Age d'Homme,
2001.
- Charly Veuthey,
Journal du sud fribourgeois, La Gruyère.
- Le Culturactif
: http://www.culturactif.ch/livredumois/sept2003kafka.htm
- Flèche
dérobée au vent, Roman, L'Age d'Homme,
Coll. Contemporains, 2004.
- Si vivre
est tel, poèmes, L'Age d'Homme/Ecrit des Forges
(Québec), 1998 - avec un CD des poèmes
lus par l'auteure.
|
|
|
Revue de presse
Je n'ai pas lu tous ses
livres, personnellement je la connaissais à peine et
les rares contacts que j'ai eus avec elle n'ont pas toujours
été faciles. Peu importe. En apprenant la mort
de Monique Laederach, la semaine dernière, je me suis
sentie très triste et la Suisse m'a semblé encore
un peu plus pauvre: pauvre en convictions, pauvre en engagements,
pauvre en saine colère. Pauvre en vraie souffrance,
celle qu'on peut nommer, celle qu'on peut combattre et qui
laboure la conscience. Pauvre en choses fortes à dire,
à couler dans des mots qui brûlent, qui coupent
et qui font mal. [...] Monique Laederach a écrit en
écorchée vive et en femme debout [...].
Silvia Ricci Lempen
Samedi culturel
Samedi 27 mars 2004
Monique Laederach est décédée
à 66 ans
hommage · Romancière,
poétesse, traductrice, l'auteure neuchâteloise
de 27 ouvrages, trois fois lauréate du Prix Schiller,
collaborait également à «La Liberté»
en tant que critique littéraire.
L'écrivaine Monique Laederach
est décédée mercredi soir à son
domicile de Peseux, près de Neuchâtel, des suites
d'une maladie. Elle s'est éteinte paisiblement, entourée
des siens, à l'âge de 66 ans, a indiqué
hier sa famille.
Née le 16 mai 1938 à
Neuchâtel, fille d'un pasteur et d'une professeure d'origine
allemande, Monique Laederach était du nombre des rares
écrivains suisses familiers des cultures littéraires
romandes et alémaniques. Elle a notamment traduit en
français des auteurs comme Adolf Muschg, Erika Burkart
ou Günter Eich, et plus récemment Franz Kafka.
Licenciée ès lettres des Universités
de Neuchâtel et Lausanne, elle a partagé sa vie
entre l'enseignement, son engagement dans le milieu littéraire
et des tournées de conférence destinées
à présenter la littérature suisse à
l'étranger. Elle est elle-même l'auteure de 27
ouvrages (romans, recueils de poésies, pièces
de théâtre).
trois prix schiller
L'écrivaine neuchâteloise
a remporté le Prix Schiller de littérature en
1977, 1983 et 2000. La dernière distinction couronnait
l'ensemble de son oeuvre. Elle a également été
honorée par les Prix Saffa (1958), Bachelin (1976)
et Belles-Lettres (1978).
Ses plus récentes publications sont un roman, Flèche
dérobée au vent et sa Poésie complète,
parues aux Editions de L'Age d'Homme. Monique Laederach fut
aussi l'auteure de pièces radiophoniques et de livrets
de comédies musicales. Diplômée du Conservatoire,
elle était titulaire d'une virtuosité de piano
de l'Académie de Vienne.
la femme, la souffrance
C'est la femme qui est très
tôt au centre de l'oeuvre importante de Monique Laederach.
Une femme qui souffre. Valérie Cossy, dans le chapitre
consacré à l'écrivaine neuchâteloise,
au quatrième tome de L'histoire de la littérature
en Suisse romande, notait très justement que comme
chez Marie Cardinale, c'est cette souffrance qui est le point
de départ de l'écriture, pour y être sublimée,
comme une renaissance. D'où des pages dénuées
de pathos, mais comme nostalgiques de l'amour fou, de la fusion
des sexes, des romans où la passion était comme
en filigrane permanent du souvenir. Ce qui donnait une force
remarquable aux romans de Monique Laederach. L'écriture
féminine était pour elle une claire affirmation
de la liberté face à la tradition littéraire
occidentale, plutôt masculine. A ce sujet, il faut rappeler
que la réédition de sa poésie complète
est importante, tant elle démontre la place du corps
dans l'écriture de Monique Laederach. Poésie
exigeante, vivante, toujours en quête de sa propre forme.
Liberté de la forme, de la ponctuation, du maniement
des lettres et des mots.
une critique redoutée
Pourtant, Monique Laederach aura souvent
eu l'impression d'être incomprise, comme était
à ses yeux incomprise et méprisée la
littérature de ce pays. Critique littéraire
redoutée, elle aura mouché plus d'un écrivain,
tentant surtout d'insuffler à ses lecteurs cette passion
pour l'écriture en général, et la poésie
en particulier, qui animait cette femme malheureusement atteinte
depuis des années par la maladie, mais qui aura gardé
un caractère de feu, l'indignation flamboyante et la
complicité malicieuse.
Jacques Sterchi, avec ATS
Vendredi 19 mars 2004
[...] C'est avec L'étain la
source, recueil paru en 1970 à la Coopérative
Rencontre, que le talent poétique de Monique Laederach
fut initialement remarqué, qui se déploya peu
après dans Pénélope, à égale
distance du quotidien décanté et du mythe.
La condition féminine, et plus
précisément la perception féminine affirmée
comme telle, sont au c¦ur de l'¦uvre de Monique
Laederach, des poèmes de La partition (L'Aire, 1982)
à ses premiers récits-romans, Stéphanie
(L'Aire, 1978) et La femme séparée (L'Aire /
Fayard, 1982), marqués par le thème de la rupture
et modulés par une écriture acérée.
Non loin d'une Yvette Z'Graggen, Monique Laederach a donné
l'un de ses meilleurs romans avec Trop petits pour Dieu (L'Aire,
1986), évoquant l'îlot des hautes terres jurassiennes
entre mars 1940 et juin 1941, et l'histoire de l'émancipation
d'une femme, scellée par l'épreuve de la mort.
Très attentive à la «
difficulté d'être femme », notamment en
littérature, et plus précisément en Suisse
romande, Monique Laederach laisse une ¦uvre qui ne
se borne pas pour autant à un « manifeste »
féministe, à la fois traversée par une
ardente sensualité verbale (qu'illustre sa poésie
souvent étincelante) et réellement « incarnée
» par les doubles fictifs de la romancière. Intellectuelle
active, critique volontiers incisive, voire acerbe, Monique
Laederach fit également beaucoup pour le rapprochement
des deux communautés francophone et germanique de notre
pays, en traduisant des auteurs tels Erika Burkart ou Adolf
Muschg, entre autres. [...]
Jean-Louis Kuffer
19.03.2004
Monique Laederach, corpo a corpo
con le parole
La scrittrice romanda è scomparsa
mercoledì a Peseux (NE), all'età di 66 anni.
Lascia un'opera di grande ricchezza - romanzi poesia teatro
- coronata nel 2000 dal Premio Schiller alla carriera.
Nonostante la malattia, lunga, faticosa,
Monique Laederach era tutt'altro che spenta. Se il fiato troppo
spesso le mancava in gola, il suo spirito battagliero era
intatto, il corpo a corpo con le parole che aveva scelto come
modus vivendi era tutt'uno con la battaglia della vita.
Personalità impegnata, che non disdegnava di scendere
in campo polemicamente, in politica e letteratura (temutissime
le sue recensioni su "La Liberté"), Laederach
aveva saputo cogliere a fondo la ricchezza del suo trilinguismo.
Nata nel 1938 a Les Brenets, sul confine con la Francia tra
le gole della Doubs, portava con sé l'eredità
francofona del padre, l'Hochdeutsch della madre berlinese,
lo svizzero tedesco della nonna. Come se non bastasse, dopo
il sogno di una carriera di pianista, a Vienna, aveva concluso
i suoi studi all'università di Neuchâtel con
un mémoire sulle traduzioni in francese di Montale
e Luzi. E la traduzione l'ha sempre accompagnata, fino agli
ultimi momenti della sua difficile vita, in cui terminava
le nuove versioni della poetessa svizzera Erika Burkart. L'anno
scorso, nella collezione "Mille et une Nuits"
(Fayard), aveva tradotto la Lettera al padre di Kafka,
guardandosi bene dal limare gli inciampi di un tedesco pieno
di sassi, per restituire a questo terribile testo anche la
parte d'angoscia che s'incrostava nella lingua. Perché
tra angoscia e linguaggio, Monique Laederach ha sempre combattuto,
per lasciare affiorare la parte più ferita: nel durissimo
rapporto con il padre pastore protestante, nel matrimonio
castrante con lo scrittore Jean-Pierre Monnier, nel combattimento
quotidiano per essere riconosciuta come donna, intellettuale,
scrittrice. E questa rivolta fatta di parole è confluita
nella poesia (L'étain la source, 1970; Pénélope,
1971 fino al suo magmatico capolavoro Si vivre est tel,
1998), poi nella narrativa, nel lacerante traslato autobiografico
di Stéphanie (1978) e nel suo titolo più
noto La femme séparées (1982, L'Aire/Fayard,
tradotto in tedesco da Yla von Dach). Perché Monique
Laederach è stata sempre sul confine: tra le lingue
(con traduzioni di Mariella Mehr, di Rilke), tra le culture
(nel Gruppo di Olten o nelle iniziative editoriali), tra i
generi (tutta da scoprire è ancora la sua produzione
teatrale). Intensa, battagliera, spesso ruvida, le avrebbe
certo fatto piacere vedere nell'annuncio della sua scomparsa
"Monique Laederach, ecrivaine", mentre le
grammatiche francesi continuano a pretendere che la parola
- nella lingua di Marguerite Yourcenar, di Andrée Chedid,
di Monique Laederach - è una parola invariabile.
Pierre Lepori
Giornale del Popolo
Page créée le 30.03.04
Dernière mise à jour le 31.03.04
|
|
© "Le Culturactif
Suisse" - "Le Service de Presse Suisse"
|
|