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L'invité du mois

Jean-Michel Olivier est né à Nyon en 1952. Il est enseignant et écrivain, et a publié à ce jour une quinzaine d'essais et de romans, dont "La mémoire engloutie" (Mercure de France) et "L'Amour fantôme" (L'Âge d'Homme). Jean-Michel Olivier est en outre co-directeur de Scènes Magazine, revue partenaire du Culturactif. Depuis quelques temps, il a ouvert son propre site web autour de la littérature: www.jmolivier.ch. Jean-Michel Olivier a une fille, et pratique le jazz en pianiste passionné.

  Lire et écrire en Suisse romande


Il fut un temps, assez lointain, où la littérature suisse (et romande en particulier) avait bonne presse. C'était il y a un siècle. Dans les Cahiers vaudois, Ramuz et ses amis jetaient les bases d'une littérature (mais aussi d'une éthique et d'une esthétique) non plus centrée uniquement sur Paris, mais ouverte aux questions de la langue et de l'identité romandes. Aussi brève qu'elle fût, l'existence des Cahiers vaudois suscita un engouement remarquable, et des échos nombreux dans la presse de l'époque (Ramuz écrivait même régulièrement dans La Gazette de Lausanne).

Après un long silence, dans les années d'immédiat après-guerre, la littérature romande connut une seconde jeunesse dans les années 1960-70, grâce à des éditeurs courageux comme Bertil Galland et Vladimir Dimitrijevic. Inutile de rappeler, ici, la floraison inouïe de talents aussi divers et singuliers que Jean-Marc Lovay, Anne Cuneo, Alexandre Voisard, Jean Vuilleumier, Nicolas Bouvier, Corinna Bille - pour n'en citer que quelques-uns. À cette époque, où le débat entre contestation et tradition était très fort, comme celui qui opposait les défenseurs d'une " littérature du terroir " à tous ceux qui prônaient une ouverture plus large sur le monde, la littérature romande n'avait pas bonne presse. Mais elle remplissait les colonnes des journaux. Elle suscitait polémiques et débats. Elle effrayait les âmes sensibles. Elle terrorisait les censeurs. En un mot : elle était vivante.

Aujourd'hui, comme dirait George Bush, le monde a bien changé. Il se publie, en Suisse romande, près de dix fois plus d'ouvrages qu'à l'époque des Cahiers vaudois ou des Éditions Bertil Galland. Et les talents sont là, à chaque rentrée littéraire, pour susciter l'agacement ou l'enthousiasme, l'admiration, les cris de révolte ou de génie, ou simplement la reconnaissance.

Mais, bien sûr, personne ne les lit.
Parce qu'aujourd'hui, après avoir joui d'une bonne, puis d'une mauvaise presse, la littérature (romande) n'a plus de presse du tout !

 

  Petite revue de presse


On pourrait compter sur les doigts d'une seule main les journaux qui consacrent encore quelques lignes (je ne dis pas une page) à la chose littéraire. Tentons un modeste (et partiel) état des lieux : si l'on excepte l'excellente page "livres" du mardi dans 24Heures (due aux bons soins de Jean-Louis Kuffer) ; la page du samedi de La Liberté (dirigée par Jacques Sterchi) et du Quotidien Jurassien (sous la signature de Bernadette Richard), les pages littéraires du supplément hebdomadaire du Temps et, bien sûr, l'indispensable Passe Muraille publié à Lausanne - le reste est accablant. La Tribune de Genève a confié les livres qui viennent de paraître à Étienne Dumont (ce qui montre le mépris dans lequel on les tient dans les hautes sphères de la rédaction). L'Hebdo, qui a abandonné depuis longtemps toute ambition culturelle, ne parle que de "faits de société" et n'interviewe plus que des ex-lofteurs.

Un dernier mot sur la télévision : alors que toutes les chaînes françaises ont aujourd'hui leur émission littéraire (Vol de nuit sur TF1, Campus sur F2, Culture et dépendances sur F3, l'excellent Droits d'auteurs sur ARTE), la TSR brille encore une fois par son absence et son manque d'imagination. Et ce n'est pas la désolante aventure de Faxculture, bazar de pacotille où viennent briller quelques auteurs hexagonaux de seconde zone, qui prouvera le contraire. Là aussi, comme dans les journaux, il s'agit de tuer l'engouement littéraire dans l'oeuf.

 

  Ripostes


Alors que faire ?
Comment contourner l'interdit du silence (la plus injuste, mais aussi la plus efficace de toutes les censures) ?
En multipliant les réseaux, les connexions, les échanges, les contacts, les rencontres. En développant une complicité de l'ombre qui est la seule réponse possible au mépris des médias.
Comme dans d'autres domaines, l'Internet me paraît une riposte intéressante, puisqu'il permet de faire circuler à peu de frais beaucoup d'informations (ce que les journaux, faute de place, ne peuvent plus faire), de mettre en contact non seulement les écrivains et les lecteurs, mais aussi toutes celles et ceux qui gravitent autour du livre (bibliothécaires, libraires, éditeurs, imprimeurs, etc.). Ici, bien sûr, et ailleurs, car l'Internet abolit les frontières et les langues. Nulle forme de censure ne peut le paralyser.

 

  Le réseau

Le premier site consacré uniquement à la littérature romande fut créé au Canada en 1996. C'était L'Étoile suisse romande, lieu de débats et d'échanges, mis en ligne par Corine Renevey, autour du Centre de littérature romande de l'Université de Toronto. On pouvait y découvrir la biographie de nombreux auteurs, ainsi que des articles de presse et des textes inédits. Retiré quelque temps de la Toile, L'Étoile suisse romande sera de nouveau en ligne prochainement à l'adresse suivante :www.etoilesuisseromande.ch.

Dans le même ordre d'idées, il faut mentionner le très beau site conçu en France par Bruno Poirier (http://pages.infinit.net/poibru/) sur lequel figure un répertoire d'une cinquantaine d'écrivains, et une multitude de liens intéressants.

Grâce à Roselyne König, qui l'a concu et lancé sur le Net, et l'équipe enthousiaste qui lui a succédé, le Culturactif est désormais une adresse obligée pour toutes celles et ceux que la littérature suisse regarde. En plus d'une foule de renseignements, on y trouve des liens, des entretiens, des traductions et l'indispensable calendrier culturel (manifestations, rencontres, lectures, etc.) que les journaux passent désormais sous silence.

 

  Le feuilleton littéraire


Pour qu'une littérature vive - c'est-à-dire qu'elle s'échange, se discute, se prolonge, se transmette - il faut bien sûr pouvoir la retrouver à tout instant, la consulter, la lire et la relire. C'est dans cette optique que j'ai créé, en 2001, mon propre site Internet (www.jmolivier.ch) grâce au talent, une fois encore, de Corine Renevey, qui l'a conçu et mis en ligne.

Dans un premier temps, il comportait des extraits de mes livres, des articles de presse, des textes inédits, une biographie, des préfaces inédites ou épuisées, etc. Il y a quelques mois, j'ai rajouté une section importante à mon site : le feuilleton littéraire. Elle rassemble près de 300 articles consacrés à des livres publiés en Suisse ou en France durant ces quinze dernières années. Tous ces articles ont été publiés une première fois dans la revue SCENES Magazine (revue présente aussi sur le Culturactif), puis repris sur le site. Cela va d'Étienne Barillier à Gustave Roud, de Monique Laederach à Claude Frochaux, de Nicolas Bréhal à Bernard Comment, d'Anne Cuneo à Jérôme Meizoz, d'Yves Laplace à Louise Anne Bouchard, etc. Autant dire que le panorama est proprement infini, puisque chaque mois le feuilleton s'enrichit de deux ou trois articles supplémentaires consacrés aux dernières parutions.

C'est pour moi un plaisir, chaque mois, de rajouter une modeste pierre au fragile édifice littéraire virtuel. Mais c'en est un plus grand encore de voir que ces articles - et surtout les livres dont ils essaient de rendre compte - suscitent l'intérêt de nombreux visiteurs, suisses et étrangers (à en croire les statistiques de fréquentation, il y a chaque jour entre 50 et 80 lecteurs du feuilleton littéraire, ce qui est très encourageant).

Lire et faire lire, écrire et faire écrire, faire partager ces enthousiasmes ou ces colères, faire découvrir aussi de nouvelles plumes (car, contrairement à ce que les journaux voudraient nous faire accroire, les nouveaux talents ne manquent pas) : voilà quelques-uns des buts, modestes et sans doute utopiques, que je me suis donnés.

Une vie ne suffit pas à les réaliser tous, mais rien ne coûte d'essayer.

 

Page créée le 31.01.03
Dernière mise à jour le 31.01.03

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