Le 19 décembre dernier, une centaine d'éditeurs
et de représentants du monde littéraire francophone,
répondant à l'invitation de l'association BookToFilm,
se réunissait dans le superbe hôtel particulier
de la Société des Gens de Lettres à Paris
14ème. Face à eux, trois représentants
du cinéma américain (la productrice indépendante
Linda Goldstein, connue pour ses adaptations de livres à
l'écran, dont la dernière en date vient de remporter
le prix du public au Festival du film de Toronto, le producteur
Michael Costigan, ancien vice président de la production
chez Columbia Picture, et Richard Green, co-fondateur et dirigeant
du département Livres de UTA, quatrième plus
importante agence artistique aux Etats Unis) et deux avocates
françaises, spécialistes du droit d'auteur :
Karine Riahi et Anne-Judith Lévy. L'objet de la rencontre,
on l'aura deviné, était de débattre des
possibilités d'adaptations cinématographiques
de livres francophones aux Etats-Unis. Et cela en vue de préparer
la grande manifestation BookToFilm qui se tiendra à
Los Angeles les 27 et 28 mai prochains et permettra aux éditeurs
de promouvoir leurs ouvrages auprès d'un public de
producteurs, de réalisateurs et d'agents.
Pourquoi aller vendre notre littérature
à Hollywood ? La question m'a souvent été
posée pendant l'année qui a vu naître
et se concrétiser l'aventure BookToFilm. Pourquoi écrire
? pourquoi publier ? pourquoi faire la promotion des livres
? ai-je envie de rétorquer. Qu'on soit cynique ou simplement
amoureux du cinéma américain, qui, soit dit
en passant, en vaut bien d'autres quand il se met à
avoir du talent, on n'a à mon sens que de bonnes raisons
de vouloir faire entendre sa voix là où elle
a le plus de chances de porter. Cela s'appelle s'ouvrir, élargir
le cercle, et c'est à la fois nécessaire et
urgent.
Hollywood serait commercial quand nous
serions culturels. Mouais. Car vu des bancs de UCLA, des pages
cinéma du Los Angeles Time, ou des soirées débats
organisées par les associations de scénaristes
ou réalisateurs américains, l'Europe ne paraît
déjà plus si éloignée. Là-bas
comme ici (mais est-ce si surprenant ?), c'est l'envie de
faire valoir son talent et de défendre un point de
vue artistique qui l'emporte. A mon arrivée à
Los Angeles, il y a exactement un an, la presse ne parlait
que de la Chambre du fils de Nanni Moretti, Monster's Ball,
de Marc Forster, film très critique contre la peine
de mort, ou In the Bedroom, film sublime et dérangeant
de Todd Field sur le thème de se faire justice soi-même.
Oui mais ce sont là des exceptions et des intellectuels
? Et alors ? S'il s'agit d'établir un pont, autant
le construire là où le fossé est le moins
large, la troupe passera, et elle sera bien accueillie. Car
curieusement, alors qu'il nous fallait nous battre, Nicolas
Couchepin et moi-même, pour entraîner les éditeurs
français, suisses et belges à aller coloniser
l'Amérique, l'Amérique, elle, nous invitait
cordialement à passer à l'attaque.
Mais alors, comment expliquer que les
seuls livres français ayant fait carrière à
Hollywood que l'on puisse citer de mémoire se limitent
à La Planète des Singes et Si c'était
vrai de Marc Lévy ? Pour plein de mauvaises raisons
serais-je tentée de dire. Parce que la cité
des anges est à 12 heures de vol et que rares sont
ceux qui ont fait l'effort de se rendre sur place avec des
livres sous le bras. Parce qu'il y a un temps pour tout, et
que l'intérêt pour l'adaptation cinématographique
(Cf. le Forum de l'adaptation audiovisuel de Monaco) est plutôt
récent. Enfin, parce que les rares expériences
américaines faites par les éditeurs jusqu'à
ce jour ont plutôt contribué à tanner
la peau des idées reçues, pourtant déjà
coriace.
L'objectif premier de la réunion
du 19 décembre était donc, dans un premier temps,
de faire le tri entre les vrais obstacles et les faux prétextes.
La sincérité des trois américains présents,
leur professionnalisme et leur désir de convaincre
ont largement contribué à nuancer l'image d'arrogance
qui colle à Hollywood. Pour ce qui est des pratiques,
commerciales notamment, là encore, l'obstacle est plus
dans la forme que dans le fond. Il a beaucoup été
question de notre "droit moral", garant du respect
de l'oeuvre et de l'auteur, qui n'existe pas dans la législation
américaine. Ou du proiblème de la durée
des cessions de droits (comment récupérer les
droits audiovisuels d'un livre si l'acquéreur américain
n'en fait rien ?), bref de tout ce qui hante les mauvais souvenirs
des éditeurs qui se sont frottés à aux
studios américains jusqu'à présent. Si
toutes ces questions n'ont pu être résolues en
un jour, la réunion du 19 décembre aura au moins
posé le principe d'envie réciproque à
partir duquel on peut commencer à rêver, et trouver
des solutions. Car c'est bien de cela qu'il s'agit. Si Hollywood
s'intéresse à notre littérature, c'est
que le manque d'idées se fait cruellement sentir, même
là où on a de quoi se les offrir. Et si les
éditeurs français, suisses et belges ont répondu
nombreux à l'invitation BookToFilm, c'est que leurs
auteurs sont tentés par la notoriété
et l'argent qu'une adaptation suppose.
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