Philippe Lejeune
Le 11 février 2006, la Comédie de Genève accueillait une " Nuit du journal intime ", faite de lectures et de débats. Peu avant, nous avions découvert un site consacré à l'un des noms les plus célèbres du journal intime, Henri-Frédéric Amiel, www.amiel.org. Une coïncidence qui nous a donné envie d'adresser une série de questions à l'un des spéclialistes les plus reconnus de l'autobiographie et du journal intime, Philippe Lejeune. Ancien maître de conférence à l'Université de Paris-Nord Villetaneuse, Philippe Lejeune, aujourd'hui retraité, continue à se consacrer très activement à sa passion, notamment à travers l'Association pour l'Autobiographie, sise à Ambérieux-en-Bugey, entre Genève et Lyon : un organisme qui a pour vocation d'archiver et de valoriser les récits autobiographiques, journaux, correspondances, et qui publie son périodique, sous le beau titre La faute à Rousseau. Philippe Lejeune tient en outre son propre site Internet, www.autopacte.org.
Il a répondu à nos questions de premiers de classe de manière aussi passionnante que peu professorale et nous lui en savons gré !
La confession, la réflexion sur soi-même et le journal de voyage existent depuis très longtemps, avec des exemples aussi célèbres qu'Augustin ou Ignace de Loyola. En quoi le " journal intime " se distingue-t-il de ces antécédents historiques ? En quoi l'émergence du journal intime peut-elle être reliée à la naissance d'une sensibilité moderne ?
Tenir un journal, c'est d'abord entretenir un certain rapport avec le temps : se créer des archives, une mémoire de papier. Car c'est l'apparition (révolutionnaire, comme aujourd'hui Internet) du papier qui, à partir de la fin du Moyen Age, a permis aux notables, aux bourgeois de se faire chroniqueurs de leur vie quotidienne. Et cette gestion de la vie locale, familiale s'est peu à peu déplacée vers la vie privée, personnelle, puis intérieure. On a tenu les comptes de son âme, souvent les comptes de ses maladies, parfois ceux de ses amours, ou de sa solitude. Ce glissement s'est produit essentiellement au XVIIIe siècle, et il est né en partie d'un flirt avec la correspondance : l'idée est venue de s'écrire, au jour le jour, des lettres à soi-même, en quelque sorte. Le journal, qui était jusque-là une affaire sérieuse d'hommes, est devenu aussi une affaire sensible de femmes. Mais en même temps qu'il donnait à l'individu la possibilité de se créer, en marge de la société, un territoire personnel, il a été, pour la société, par le biais de l'éducation, un moyen tout puissant de contrôler ce territoire. Vous le voyez, c'est une histoire compliquée. Elle est d'ailleurs pour l'instant mal connue. On connaît peu de journaux intimes du XVIIIe siècle, par rapport à la quantité de ceux qui ont dû s'écrire. La plupart ont été détruits ou se sont perdus. La " naissance de la sensibilité moderne ", comme vous dites, est encore affaire d'archéologie
Le genre littéraire du journal intime est historiquement très lié à la Suisse: on considère souvent Benjamin Constant comme le premier diariste moderne; c'est le Zurichois Johann Kaspar Lavater qui inagure en 1741 le terme Geheimes Tagebuch, reliant ainsi la notion d'écriture quotidienne à l'expression de l'intime. Au XIXe siècle, Henri-Frédéric Amiel pousse la pulsion du diariste presque jusqu'au délire, avec les 173 cahiers manuscrits de son Journal. Peut-on parler d'une ascendance suisse de ce genre littéraire, et si ou comment s'explique-t-elle?
Si la Suisse revendique d'être la patrie du journal intime, est-ce en référence à Calvin, à l'industrie horlogère, ou à un croisement des deux ? Un regard plus ouvert sur l'Europe suggère que la patrie du journal personnel serait plutôt l'Angleterre. Les différentes pratiques du journal s'y sont nettement développées à partir du début du XVIIe siècle. À ma connaissance, à part Casaubon, qui écrivait en latin, on ne connaît guère de journaux personnels en Suisse avant la seconde moitié du XVIIIe siècle. Mais ce qui est juste, c'est qu'à cette époque, la Suisse francophone était plus active en ce domaine que la France des Lumières. Les fonds de journaux inédits conservés par la Bibliothèque publique et universitaire de Genève le montrent de manière éloquente. En Angleterre comme en Allemagne et en Suisse, ce sont les pays protestants qui ont lancé le mouvement. Votre question me fait d'ailleurs regretter qu'on n'ait encore jamais écrit une grande Histoire du journal intime en Suisse, même si Luc Weibel s'est penché sur " les petits frères d'Amiel ". Peut-être la Suisse a-t-elle un peu peur de son patrimoine, comme le suggère le mot de " délire " que vous employez à propos d'Amiel. Elle devrait en être plus fière. Pour moi, rien n'est beau comme le journal de Benjamin Constant.
De Laclos à Yourcenar, le genre épistolaire est très présent dans la littérature française. Quels rapports entretient-il avec le développement et la diffusion du journal intime?
Lettre et journal sont deux choses voisines, différentes, mais qui se recroisent souvent. Ce qu'elles ont en commun, c'est qu'elles ne sont pas, en elles-mêmes, des genres " littéraires ". Cette maladie-là - si j'ose dire ! - ne leur est arrivée qu'après. Ce sont d'abord des pratiques de vie. On écrit des lettres pour atteindre quelqu'un avec qui on ne peut pas parler. On note sur un papier de quoi fixer sa mémoire ou soulager son cur. La littérature vient après. On a exploité l'effet de réel en fabriquant des romans-mémoires, des romans épistolaires, des romans-journaux. Puis on a parfois soigné ses lettres privées avec l'idée qu'elles deviendraient publiques. C'est surtout le journal qui s'est trouvé pris dans ce tourbillon mondain : depuis la fin du XIXe siècle, certains écrivains ont parié sur la publication posthume de leur journal, puis travaillé à sa diffusion anthume
On se retire dans une solitude très peuplée qu'on veut séduire
L'un des grands soucis d'Amiel fut de ne pas parvenir à écrire une grande oeuvre littéraire: il vouait en effet tout son temps et tout son talent aux milliers de pages de son Journal, y revenant plusieurs fois par jour pour noter de petites conversations, ses lectures, ses rêves, sa digestion au point que Jean Vuilleumier a pu parler d'un "complexe d'Amiel", sorte d'oblomovisme littéraire. A vos yeux, dans quelle mesure l'écriture diaristique féconde-t-elle l'activité littéraire d'un écrivain, dans quelle mesure la bloque-t-elle?
Tout le monde a oublié les écrivains dont Amiel enviait, à tort, le succès. Pourquoi l'écriture diaristique devrait-elle être considérée uniquement, de manière instrumentale, par rapport à une " activité littéraire " - dont elle ne ferait donc pas vraiment partie ? Il y a des gens qui aiment lire les journaux pour eux-mêmes, et parfois regrettent que les diaristes aient perdu leur temps à autre chose. D'ailleurs les journaux, surtout s'ils ont été écrits sans trop d'arrière-pensées, " vieillissent " bien mieux que l'immense majorité des uvres " littéraires ".
On tend souvent aujourd'hui encore à considérer les journaux de grands écrivains (Tolstoï, Woolf) comme des "annexes" à l'oeuvre proprement dite, qui permettent de découvrir les coulisses du travail de l'écrivain, ou le caractère et les aspirations de l'auteur. De fait, l'auteur ne le conçoit pas nécessairement lui-même comme une oeuvre à part entière. Qu'est-ce qui fait qu'un journal est écrit et/ou perçu comme oeuvre littéraire? Et historiquement, à partir de quand un journal est-il susceptible d'être considéré comme une oeuvre littéraire?
À la question précédente j'ai répondu un peu " à côté ", sans doute dérangé, excusez-moi, par le diagnostic médical porté sur Amiel. C'est l'inconvénient d'un entretien dont les questions, posées en bloc au début, sont forcément sourdes aux réponses données. Souvent, on aurait envie, plutôt que de répondre aux questions, d'analyser leurs présupposés en déplaçant le débat, d'engager un dialogue. Je me ressaisis. Je réponds. Il y a en gros trois situations possibles : l'écrivain qui tient un journal parallèlement à son uvre et relativement indépendamment d'elle (ce serait le cas de Léon Tolstoi et de Virginia Woolf) ; l'écrivain qui tient un journal qui est une sorte de laboratoire de son uvre (Michel Leiris, Hervé Guibert sont les meilleurs exemples) ; et l'écrivain qui conçoit son journal lui-même comme une uvre (Paul Léautaud). Tous sont passionnants. Mais il y a d'autres configurations possibles. Par exemple celle d'André Gide, organisant lui-même la publication progressive d'un journal qui éclaire l'" espace autobiographique " dans lequel baigne son uvre. Celle de Charles Juliet, un des rares écrivains dont le journal soit la première uvre publiée. Mais l'aventure la plus extraordinaire est sans doute celle des dix volumes du Temps immobile de Claude Mauriac, un montage non-chronologique et labyrinthique de soixante-ans de journaux personnels, à la recherche du secret du temps. La pratique du journal n'est pas du tout un " à côté " documentaire de l'uvre. Le journal est une écriture fragmentaire à haut risque : on écrit en composant un texte dont la suite, fatalement, vous échappe, on collabore avec un avenir imprévisible. Le journal est un des facteurs, leviers, levains, de la modernité, et même de la post-modernité. Il met en question le modèle fermé et artificiel de l'" uvre ". Il transforme la littérature en ce qu'elle est au fond, une vaste " installation ".
Comment expliquez-vous l'intérêt actuellement suscité par le journal intime et l'autobiographie? Est-il lié essentiellement aux préoccupations de la microhistoire et de la sociologie, et à la forte présence de la psychologie et de la psychanalyse dans les sciences humaines? Ou s'agit-il d'un mouvement plus large de redéfinition de l'intime?
Cet intérêt n'a rien de nouveau, il est une des constantes de notre civilisation depuis plus d'un siècle. Tous les dix ou vingt ans, on s'étonne : " L'intime envahit tout ! ", et on se demande pourquoi. Savez-vous qu'en 1888, Ferdinand Brunetière a lancé un cri d'alarme contre la littérature personnelle, pour lui la mort de la civilisation ? On a survécu. Ce qui se passe depuis quelques dizaines d'années s'inscrit dans ce mouvement, avec une accélération. Je vais vous donner en vrac une série de pistes - juste des pistes. Car honnêtement, c'est une question immense, complexe. Il n'existe pas de réponse simple. Essayons.
Le relâchement des liens sociaux de proximité, l'accroissement de la mobilité, la fragilisation des couples ? L'accélération du changement historique lui-même ? L'allongement incroyable de la durée de la vie humaine en l'espace de deux générations ? Le développement vertigineux des technologies de communication, qui aboutit à la fois à une " mondialisation ", mais à l'autre bout à une " individualisation " extrême, chacun pouvant créer des messages qui circulent partout ? Le développement d'une civilisation de l'image, qui fait du " témoignage " la cellule de base de l'information ?
La socialisation frénétique de l'intime répond probablement à ces difficultés croissantes à se construire une identité dans le temps et dans l'espace. Mais n'oubliez pas qu'il s'agit là d'un phénomène propre aux pays occidentaux développés, modèle qui se répand avec la mondialisation économique, mais qui rencontre dans le reste du monde de très fortes résistances : la présentation de soi y est souvent aussi tabou que la représentation de Dieu
L'un des phénomènes les plus impressionnants d'Internet est l'éclosion et la dilatation formidable de la " blogosphère ", autrement dit l'apparition de milliers de sites personnels, rédigés avec une régularité comparable à celle d'un journal intime - même si les contenus ne relèvent pas toujours de l'intime, les blogs se concentrant souvent sur le ou les thèmes de prédilection de leur auteur, de la cynophilie aux Beaux-Arts en passant par la politique. Ce phénomène s'inscrit-il dans la continuité de l'histoire du journal intime, ou le format électronique, la vitesse de diffusion, les possibilités d'interactivité et de correspondance immédiate avec les internautes, etc, amènent-elles une rupture de cette tradition, ou une nouveauté radicale?
Oui, c'est là un exemple vertigineux de l'accélération de l'histoire. Savez-vous combien il y avait, en 1997, de journaux personnels en ligne dans le domaine francophone ? Au maximum quelques dizaines - presque tous québecois. Pendant l'année 1999-2000, j'ai suivi en direct l'activité de ceux qu'on appelait à l'époque les " cyberdiaristes ", et j'ai publié mon témoignage en octobre 2000 au Seuil sous le titre " Cher écran
" : on en était alors, toujours dans le domaine francophone, à une ou deux centaines. Entre 1999 et 2005, le nombre des foyers français reliés à Internet a été multiplié par 5 (il est passé, en gros, de 6% à 32 %). Il faut connaître ces chiffres pour comprendre la révolution des " blogs " à partir de 2002-2003. On est passé de l'ère des pionniers à la production en série : on parle de centaines de milliers, de millions de blogs, j'avoue n'avoir aucune idée sur le chiffre. Mais, vous le dites très bien, ces blogs n'ont la plupart du temps rien à voir avec l'écriture intime. Il faut prendre du recul historique. C'est au XVIIe siècle que progressivement l'activité des " chroniqueurs " s'est divisée en deux branches : d'un côté (voir ma réponse à votre première question) la personnalisation de plus en plus grande des journaux privés, d'un autre l'invention, pour la branche collective et publique de ces journaux, de leur impression périodique régulière : c'est l'invention de la presse. Ces deux branches se sont d'abord vertigineusement écartées l'une de l'autre (même si elles portent, en français, le même nom : journal). À partir de la fin du XIXe siècle, le journal privé a repointé son nez au dehors avec des publications posthumes, puis anthumes, sous forme de livre. Ce qui se passe aujourd'hui est complémentaire, mais différent : c'est la presse publique qui devient accessible à n'importe quel individu ! Vous pouvez devenir, sans un sou de capital, sans appui institutionnel, le rédacteur en chef d'un quotidien diffusé dans le monde entier et lu par quelques copains ! Les cyberjournaux des années 1999-2000, c'était (et ça continue à être, même si ça a l'air de s'être fondu dans la masse des " blogs "), la création d'intimités de réseaux, si je puis dire. Les blogs, c'est plutôt l'individualisation de la presse, avec néanmoins une nouveauté : l'intégration du lecteur à l'intérieur du journal par la publication des commentaires : la création d'une presse interactive, si je puis dire aussi. Donc, si les deux branches qui se sont séparées au XVIIe siècle se rejoignent aujourd'hui, c'est dans un tout autre contexte. Rendez-vous dans dix ans pour voir où nous en serons !
Un autre phénomène impressionnant est le développement de la télé-réalité, qui proclame que le quotidien le plus banal est intéressant en soi, mérite d'être montré et regardé de l'extérieur, en renonçant largement aux dimensions d'intériorité et d'introspection qui caractérisent l'écriture du journal intime.
Votre question est une réponse, à laquelle je souscris de confiance. Pour que cet entretien soit vraiment intime, une confidence : je ne regarde presque jamais la télévision. Quand il m'arrive de tomber sur de la télé-réalité, je suis fasciné par la dépersonnalisation et l'industrialisation de la vie individuelle qu'elle réalise. On y voit à nu, de manière cynique et presque caricaturale, la toute-puissance des forces sociales qui formatent nos vies, et qui y sont à l'uvre de manière plus cachée et plus subtile, certes, mais omniprésente, que nous le voulions ou non. Je ferme le bouton et fais l'autruche, en me réfugiant dans l'illusion artisanale et individualiste de mon écriture.
Revenons à la littérature. Elle a été fortement marquée ces vingt dernières années par une vague d'hyper-intimisme, en particulier (en France) avec la diffusion de l'autofiction. Est-ce là une ultime étape d'un processus de libération de l'intime profondément intégré dans la littérature, ou d'un processus qui sape l'invention, la fiction, l'imaginaire de la littérature au nom de l'exhibition de l'auteur?
Le mot " autofiction " a été inventé par Serge Doubrovsky en 1977 pour son " roman ", Fils, dont le narrateur portait le même nom que lui, et dont le contenu était garanti vrai. Très vite, ce mot a été employé par la critique, et d'autres auteurs, pour désigner des uvres de création autobiographique dont les auteurs revendiquaient à la fois la vérité et la valeur littéraire. En France, le mot " autobiographie " fait peur aux écrivains, ils craignent qu'on ne les accuse de manque d'inventivité ou d'exhibition. Et certains critiques crient à la décadence. Ma réaction, vous le devinez, est différente. Là aussi, il faut prendre du recul historique. Longtemps, en France, l'autobiographie a été considérée comme une écriture documentaire, d'arrière-garde. Le mouvement s'est inversé progressivement au XXe siècle, où ses virtualités artistiques ont été explorées par des pionniers, en particulier Michel Leiris et Georges Perec, et ensuite Jacques Roubaud ou Claude Mauriac. C'est un domaine dans lequel il y a énormément de choses à inventer. " Dire vrai " en échappant aux stéréotypes est une contrainte très étroite, qui pousse à essayer de nouvelles formes. Ce que vous appelez l'hyper-intimisme est un champ expérimental très vivant dans la littérature actuelle. On ne peut que s'en réjouir.
Parallèlement à ces développements du côté de la création, la critique littéraire, après s'être volontiers appuyée sur la vie des auteurs pour exercer son commentaire du texte (Sainte-Beuve), a eu tendance plus récemment à nier tout intérêt à la question "qu'il y a-t-il d'autobiographique dans cette oeuvre", revendiquant par là l'autonomie du texte. Beaucoup d'auteurs tiennent la même position lorsqu'on les interroge sur les dimensions autobiographiques de leurs oeuvres. Quel est votre point de vue sur cette question ?
J'approuve cette réaction : la curiosité biographique est souvent réductrice. Elle ramène ce qu'une uvre a de singulier (la création d'une forme-sens) à ce que la vie de l'auteur avait de commun. En revanche la curiosité est à sa place quand elle porte sur l'histoire de l'uvre elle-même. C'est ce qu'on appelle les " études de genèse ", qui ont été développées depuis les années 1970 en France par un institut du CNRS, l'ITEM (Institut des textes et manuscrits modernes). Il s'agit de comprendre le travail d'un écrivain à partir des traces que ce travail a laissées (en général les plans et brouillons, parfois un journal de travail, des entretiens, etc.). C'est passionnant pour les romans et poèmes, et encore plus pour les uvres autobiographiques, cela permet de comprendre comment s'élabore ce que Paul Ricoeur appelle " l'identité narrative ", mais aussi de voir comment l'écriture permet de travailler le sens d'une vie. J'ai eu la chance de pouvoir étudier les brouillons des Mots de Sartre, et surtout d'explorer l'atelier autobiographique de Georges Perec, toutes les voies obliques qu'il a essayées pour dire ce qui était pour lui " indicible ". J'ai travaillé aussi sur les avant-textes d'Anne Frank, Nathalie Sarraute, Claude Mauriac. C'est passionnant intellectuellement, et on a l'impression de suivre un stage dont on sort, pour ses propres pratiques d'écriture, enrichi.
On voit de plus en souvent sur les livres de fiction une photographie de l'auteur sur les rabats ou la quatrième de couverture, mais aussi parfois sur la couverture elle-même, plus ou moins explicitement (parfois c'est l'auteur enfant, ou dans un plan qui rend difficile son identification par quelqu'un qui ne soit pas un proche). Avez-vous aussi constaté ce phénomène, et si oui comment l'interprétez-vous ?
Un autre aveu : je lis peu de fiction contemporaine - je lis ou relis plutôt des fictions " classiques ". Vous observez là un phénomène de " marketing " dont les auteurs ne sont pas responsables. Leur image symbolise la continuité de leur production, rappelle leurs prestations télévisées. C'est le service après-vente de la littérature.
De nombreux auteurs ont choisi de contaminer la réalité (auto-)biographique ou historique par la fiction - parfois dans les genres plus anciens de la biographie romancée et du roman historique par exemple, plus récemment avec l'autofiction et quelquefois avec une dimension plus subversive. Inversement, on est de plus en plus frappé de voir les reportages télévisés rapporter des faits en y mêlant des images illustratives relevant stricto sensu de la fiction, ou des sons et des musiques rajoutés, enveloppant le reportage dans une sauce narrative. La distinction-même entre réel et fiction est-elle en crise dans la littérature contemporaine, et plus largement dans le monde de l'hyperinformation qui est le nôtre?
Oui !
Propos recueillis par Francesco Biamonte et Pierre Lepori
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