C'est pour lire !
Fondée en 1994, la Compagnie
Marin - au bénéfice d'un contrat de confiance
de l'Etat de Vaud (2001-2004) - est une compagnie théâtrale
indépendante qui s'attache à présenter
sur les scènes romandes des uvres dramatique
contemporaines. Depuis janvier 2003, en partenariat avec la
Bibliothèque Cantonale Universitaire de Lausanne (BCU),
elle a intégré au sein de ses activités,
un cycle de lectures consacré à la littérature
suisse romande d'aujourd'hui, intitulé C'est pour lire
!
Découvrez
aussi dans
notre rubrique Manifestations le programme de la BCU,
où figure C'est pour lire !. D'autres rendez-vous avec
la Compagnie Marin ont lieu à la bibliothèque
de Saint-Jean à Genève, dont nous vous proposons
le programme.
Retrouvez en outre la Compagnie Marin sur le site www.compagniemarin.ch.
Inscrite dans un réseau multiple
de confrontations, d'héritages, et de filiations, ma
pratique théâtrale se nourrit de manière
cannibale de la rencontre avec l'autre. Définir ainsi
les raisons qui ont poussé la Compagnie Marin à
se lancer, en partenariat avec la Bibliothèque Cantonale
Universitaire de Lausanne, dans un cycle de lectures consacré
à la littérature contemporaine de Suisse romande
ressort un peu à une enquête policière
à la Thierry Jonquet, où s'entrechoquent l'histoire,
la sociologie, le hasard des rencontres, les amitiés
coupables, et dont je livre ici quelques éléments
Au-delà des souvenirs de potaches
de tel professeur de gymnase lisant à voix haute, durant
quelques cours, tel roman récemment paru, j'ai été
sensibilisé à ce mode de transmission d'un texte
par le travail de quelques hommes de théâtre
qui ont porté haut ce genre, avec exigence et rigueur.
Je me souviens ainsi de Gérard Guillaumat, lisant Les
Contes paysans de Maupassant
ou O vous Frères humains
d'Albert Cohen. En Francophonie, il fut peut-être
l'un des premiers à donner à entendre sur scène
un auteur, sans recourir à aucun artifice spectaculaire.
Lors d'un entretien, il évoque une découverte
pour lui déterminante faite dans les années
soixante grâce à Emlyn Williams, " un acteur
qui avait un rapport direct au livre et à l'écriture.
[
] Il avait repris le récital que Charles Dickens
avait composé à la fin de sa vie, à partir
de son uvre. J'étais fasciné par cet acteur
qui ne bougeait pratiquement pas et qui réussissait
à fasciner son public. " [1] Guillaumat a dès
lors travaillé la lecture à voix haute avec
notamment Jean Dasté et Roger Planchon, et a présenté
de très belles lectures parmi lesquelles, durant la
saison 2001-2002, Le Livre de
ma mère de Cohen au Théâtre Le
poche-Genève ainsi qu'au Théâtre Vidy-Lausanne.
Jacques Roman - en raison vraisemblablement
de sa double formation d'acteur et d'auteur - a été
l'un des pionniers de la mise en lecture en Suisse romande
[2]. Accueilli par Thierry Spicher en résidence à
l'Arsenic (1998-2000), il a régulièrement dirigé
des scènes de lecture à partir d'uvres
singulières de la littérature européenne.
Rendant compte de cette démarche, André Wyss
livre dans une étude très riche une réflexion
sur le statut du lecteur ou de l'énonciateur [3]. A
Genève, Claude Thébert, ancien compagnon du
Théâtre Populaire Romand, développe également
depuis longtemps ce goût pour la lecture à voix
haute, en lien avec la littérature de Suisse romande.
Partageant avec ces deux hommes de théâtre un
même intérêt pour le texte, des utopies
et des inquiétudes proches, une conception de l'art
comme un service public, nous avons souhaité les accueillir
dans le cycle de lectures présentées à
la Bibliothèque Cantonale Universitaire.
C'est au Festival de la Cité
de Lausanne que je réalise mes premières mises
en lecture. En juillet 2000, Fabio Ferrari, programmateur
de Mots d'ici / mots d'ailleurs,
me donne l'opportunité de présenter au public
lausannois des textes de Jean-Marc Lovay, de Jérôme
Meizoz et de Noëlle Revaz. Si ce troisième auteur
était alors encore une inconnue, elle publiait chez
Gallimard l'hiver suivant Rapport
aux bêtes, son premier roman. Sur une nouvelle
invitation de Fabio Ferrari, et toujours dans le cadre du
Festival de la Cité, avec Jacques Roman, nous en donnions
une lecture en juillet 2001 sur la Place Saint-Maur. En été,
cette esplanade protégée par les ombrages agréables
des platanes se transforme pendant quelques jours en un précieux
écrin pour les mots qui y sont lus ou chantés.
Grâce à la curiosité et à la sensibilité
de son animateur, le programme de lecture et de chansons accueilli
sur cette placette lovée entre le Petit Théâtre
et la Cathédrale est suivi par une audience fidèle
et variée qui aime à découvrir des textes
dits avec simplicité et humanité. Si la lecture
est encore une pratique intimiste, elle trouve à l'occasion
du Festival de la Cité, manifestation gratuite et populaire,
une atmosphère bon enfant qui en fait un genre très
prisé par le public.
En 2001, l'Etat de Vaud attribue à
la Compagnie Marin un contrat de confiance triennal. Fort
de ce soutien, nous nous sommes interrogés sur les
responsabilités citoyennes et artistiques qu'implique
ce type de contrat. Nous avons poursuivi notre travail dramaturgique
au service de l'écriture dramatique contemporaine,
en nous inscrivant dans un réseau de collaborations
intercantonales et en accompagnant notre pratique par un travail
pédagogique mené auprès des élèves
et des enseignants du canton de Vaud. Il nous a semblé
également important d'investir différemment
la cité et de développer de petites formes artistiques
à présenter hors théâtre. C'est
ainsi que nous avons créé
Destinations païennes de Jérôme Meizoz
au Musée de design et d'arts appliqués contemporains
(Mu.dac) à Lausanne. Nous avions alors travaillé
sur la spatialisation et la musicalité du dire en collaboration
avec le musicien Christophe Fellay. Présentée
à Lausanne avec la complicité de la comédienne
Nathalie Gaubicher, cette création à été
reprise, avec la participation cette fois du comédien
Marc Mayoraz, aux Musées cantonaux du Valais, à
la Bibliothèque Municipale de Genève et au Festival
" Par-dessus le mur l'écriture " dirigé
par Gerald Chevrolet et Marion Ciréfice. Cette performance
au carrefour du lyrisme et de la musique témoignait
d'un besoin autant que d'une envie de nouvelles expériences
à inventer pour se mettre au service de la littérature,
et peut-être plus particulièrement pour promouvoir
des écritures contemporaines nées sous la plume
d'auteurs issus de ce pays.
Ce besoin et cette envie trouvaient
par ailleurs un écho autour de nous. De nombreux spectateurs
déploraient en effet la disparition de lieu où
se donnaient à entendre les voix singulières
de la littérature romande et étrangère
- tel par exemple Le Crachoir, accueilli au Théâtre
de l'Arsenic, à Lausanne, cabaret littéraire
initié sous l'impulsion de Domenico Carli.
En 2001, nommée au poste nouvellement
créé de responsable des animations culturelles
de la Bibliothèque Cantonale Universitaire de Lausanne,
Anne-Catherine Sutermeister a souhaité développer,
grâce à son enthousiasme et à sa formation,
une interface entre les milieux du livre et du théâtre.
L'expérience était tentante
Non seulement
elle répondait à notre désir, mais elle
venait aussi enrichir l'offre d'initiatives similaires qui
commencent à se développer de plus en plus en
Suisse romande [4], et qui remportent pourtant dans l'aire
germanophone, et depuis de nombreuses années déjà,
un franc succès [5].
Une différence s'impose cependant entre les aires linguistiques.
La poétesse française Michèle Métail
[6] rappelle qu'" En Allemagne, il y a des maisons de
la littérature dans toutes les villes ". La lecture
d'auteur est, en effet, une tradition ancienne, ce qui explique
peut-être pourquoi les auteurs lisent volontiers à
haute voix devant un public. Il semble que cette pratique
soit un passage obligé pour eux. A contrario, s'il
existe quelques véritables diseurs parmi les auteurs
francophones, une majorité cependant rechigne à
se prêter à cet type d'exercice ou le pratique
avec parfois bien des défaillances. Les anecdotes sont
multiples à ce sujet, évoquant telle grande
romancière française annonant son texte de façon
monocorde sans lever les yeux de son oeuvre, ou tel ce jeune
auteur lisant son premier opus avec un maigre filet de voix
étreint par l'émotion et les larmes
En
confiant la lecture à des comédiens dont le
travail vocal et l'adresse au public sont les éléments
fondamentaux de leur art , nous cherchons à pallier
ces défaillances et à favoriser également
une mise à distance salutaire de l'uvre qui se
livre ainsi dans la plus grande pureté de son style.
Inscrire la lecture dans une bibliothèque
- lieu par excellence du livre - répondait à
un désir profond et citoyen de la Cie Marin d'investir
autrement la cité, d'y investir des espaces non théâtraux,
de proposer des rencontres régulières, de tenter
de décloisonner les publics. Se réunir à
l'occasion d'une lecture à voix haute se présente
en outre pour nous comme une manière de renouer avec
l'enjeu social inhérent à toute agora,
une manière aussi de communier ensemble à la
beauté du monde autant que d'être à l'écoute
des inquiétudes de notre temps.
A l'instar d'un Jacques Roman ou d'un
Claude Thébert, il nous a également paru nécessaire
pour mieux donner à entendre les voix particulières
de ce pays de les confier à des comédiennes
et à des comédiens respectueux de la lettre
et de l'esprit des textes choisis. C'est en effet avec humilité
qu'il importe de faire entendre un roman ou un poème
que l'on aime. Mais c'est aussi mû par une espérance
folle que l'on tente de partager ses émotions de lecteurs
et de donner à d'autres l'envie de se plonger dans
les romans, les nouvelles, les récits ou la poésie
écrits aujourd'hui en Suisse romande. Ce pari audacieux
est mené depuis maintenant une année au sein
de la compagnie et de la Bibliothèque Universitaire
Cantonale de Lausanne, avec depuis peu la complicité
également de la Bibliothèque de Saint-Jean à
Genève.
Au fil de nos lectures à voix
haute, nous avons non seulement découvert une littérature
romande vivifiante et vivante, se révélant dans
sa pleine singularité et en-dehors de tous les clichés
habituels, mais nous avons aussi pu apprécier la compétence
et l'enthousiasme des bibliothécaires, des éditeurs
et des auteurs de ce pays.
François Marin
François Marin est
metteur en scène, pédagogue, collaborateur littéraire
au Théâtre Le poche-Genève dirigé
par Philippe Morand (1998-2003) et collaborateur scientifique
à l'Institut théâtral de l'Université
de Berne au sein de l'équipe rédactionnelle
du Dictionnaire du Théâtre
en Suisse (à paraître).
[1] François Marin, " Rencontre
avec Gérard Guillaumat " in Scènes
Magazine, Genève 2002
[2] Jacques Roman, " A propos d'une
spectaculaire lecture ou de la lecture à voix haute
" in Frictions, Paris
1999, p. 68-72
[3] André Wyss, " Trois Scènes
de lectures " in De l'Arsenic 2, textes réunis
et présentés par Rita Freda, Arsenic
Lausanne, 2000, p.112-140.
[4] Isabelle Rüf, Le
Temps, supplément littéraire, Genève
2003.
[5] En Allemagne, des écrivains
comme Günter Grass ou Christa Wolf sont capables de remplir
une salle de 700 personnes. Odile Benahia-Kouider, "
Murmures de Berlin ", dans le cahier livres de Libération,
18 septembre 2003, p. XII.
[6] Odile Benahia-Kouider, Op.
cit.
Page créée le 01.10.03
Dernière mise à jour le 01.10.03
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