" Parlez-vous suisse ? "
(PVS) est un groupe de travail émanant de la société
civile, qui milite pour une Suisse consciente de son patrimoine
linguistique et de la richesse culturelle et politique et
économique qui en découle. Le Service de Presse
Suisse, association responsable du développement
du Culturactif, est membre de PVS : en effet nos préoccupations
littéraires sont toujours guidées par une
ouverture à l'autre, et un désir d'échange
justifie notre intérêt soutenu pour les littératures
non-francophones de ce pays (écrites en langue allemande,
italienne, romanche, ou dans les langues de l'immigration)
et pour la traduction
Or la question des langues, toujours ouverte en Suisse,
mérite en ce moment une attention accrue en raison
de l'agenda politique : une loi sur les langues est actuellement
en consultation, qui sera selon toute vraisemblance débattue
par le Parlement à la session de juin. Plus que jamais,
il importe donc de prendre conscience de l'importance de
ce dossier et des enjeux de la nouvelle loi. La discussion
a en outre lieu dans un contexte particulier, puisque plusieurs
cantons alémaniques songent actuellement à
remodeler leurs programmes scolaires en défavorisant
la deuxième langue nationale qu'est le français
: un choix qui correspondrait à une rupture importante
de la tradition civique suisse. Ces questions internes à
la Suisse ressortent d'ailleurs d'un débat très
large, qui se joue actuellement de par le monde autour de
la diversité culturelle - et dont atteste par exemple
la récente résolution de l'UNESCO en faveur
le la diversité culturelle, adoptée fin 2005
contre l'avis de l'OMC.
Après avoir reçu
Bernhard Altermatt en mai 2005 autour de ce sujet, nous
recevons en ce mois de février 2006 Paolo Barblan
et Gianni Ghisla, initiateurs de PVS, et responsables respectivement,
du Forum
Helveticum et de la Fondation langues et culture, éditrice
notamment d'une revue approfondie pour l'enseignement des
langues, Babylonia.
On peut retrouver PVS sur son
site web, www.pvs.ch,
comprenant notamment les thèses fondatrices de ce
groupe de travail et un argumentaire. Il est à noter
en outre que nous tenons gratuitement à disposition
des internautes qui le souhaitent des exemplaires de la
publication " Parlez-vous Suisse ". Il suffit
pour l'obtenir de nous envoyer un mail à l'adresse
contact@culturactif.ch.
Cette publication peut également être téléchargée
gratuitement depuis le site de PVS.
Entretien avec Paolo Barblan et Gianni Ghisla,
instigateurs de " Parlez-Vous Suisse ? "
par Francesco Biamonte
De quels désirs et de quelles
craintes est né PVS?
Paolo Barblan : Un certain nombre
d'organisations de la société dite civile s'engagent
depuis des années - à différents niveaux
- en faveur du pluralisme linguistique en Suisse et de la
compréhension entre les communautés linguistiques.
Elles le font avec beaucoup de conviction mais souvent avec
peu de moyens financiers et avec un impact limité au
niveau politique et de l'opinion publique. En voyant le désintérêt
croissant au niveau politique pour les thèmes touchant
à la question des langues en Suisse, la Fondation langues
et cultures et le Forum Helveticum ont proposé le lancement
de la communauté de travail PVS, qui regroupe aujourd'hui
seize organisations de toutes les régions linguistiques
de Suisse. PVS doit permettre à toutes les organisations
évoquées de concentrer leurs efforts pour des
actions communes et de se faire ainsi entendre davantage auprès
des décideurs, surtout politiques. La première
action de PVS a d'ailleurs été de faire pression,
afin que la Loi sur les langues et la compréhension
- mise en veilleuse par le Conseil fédéral -
soit remise à l'ordre du jour dans les plus brefs délais.
Le parlement ayant décidé de proposer lui-même
un texte de loi, nous accompagnons actuellement le débat
parlementaire sur celui-ci. La définition proposée
par un journaliste, qui a qualifié notre communauté
de travail comme le "premier lobby en faveur du plurilinguisme
en Suisse" est donc assez pertinente. Elle laisse en
même temps songeur dans un pays qui se définit
officiellement comme quadri- et multilingue.
En Suisse, on peut souvent avoir
le sentiment que la question des langues est très présente
dans la conscience collective, et par certains côtés
très discutée (pas une votation nationale où
la presse ne compare les résultats dans les différentes
régions linguistiques); mais qu'en même temps,
le débat est presque toujours simplifié à
l'extrême, et les déclarations d'intention semblent
rarement prendre des formes concrètes. Adhérez-vous
à ce point de vue? Quelle est la place de PVS dans
ce contexte?
P.B. :Cette conscience collective
est en fait très nébuleuse et tient un peu de
l'image mythique d'un pays et d'une population plurilingues
que nous présentons volontiers vers l'extérieur.
Il est vrai que lors des votations, un des premiers réflexes
un peu douteux est de regarder s'il y a eu un "Röstigraben"
ou non. Ces derniers temps, ce type d'analyse est cependant
devenue plus anecdotique, des inquiétudes majeures
s'étant plutôt reportées sur le clivage
ville-campagne. Toutefois, au-delà de ces considérations,
force est en effet de constater qu'il manque une véritable
prise de conscience et une valorisation de la richesse incroyable
que constitue le quadrilinguisme de la Suisse - sans compter
les langues de la migration - et que le climat général
est plutôt hostile à une promotion de toutes
les actions qui nous permettraient d'en tirer profit.
Au-delà du problème de
la Loi sur les langues, déjà évoqué,
nous voyons par exemple le véritable champ de bataille
qui nous est proposé avec le débat sur l'introduction
de deux langues étrangères à l'école
primaire. La Conférence des directeurs de l'instruction
publique (CDIP) avait trouvé un compromis laborieux
au niveau suisse, qui est maintenant menacé par des
initiatives populaires dans cinq cantons de Suisse orientale
et centrale, tendant à introduire seulement l'anglais
au primaire et repoussant le français au secondaire.
Au-delà du débat sur les aspects didactiques
de la question, il est frappant de noter que la plupart du
temps le potentiel que représente la Suisse plurilingue
et les considérations sur la cohésion nationale
sont pratiquement inexistantes dans le débat. Certains
cantons alémaniques ont par ailleurs déjà
opté pour des solutions individuelles, tandis que,
dans d'autres, groupes d'intérêt et gouvernements
s'affrontent dans des débats souvent embourbés
dans les particularismes cantonaux. Dans cette question précise,
PVS vient de s'allier avec d'autres partenaires (spécialistes
des langues de haut niveau, hautes écoles pédagogiques,
associations d'enseignants, etc.) pour soutenir les comités
cantonaux contraires à ces initiatives.
D'une manière générale,
PVS essaie en fait de lancer le débat et de provoquer
cette prise de conscience et cette valorisation du plurilinguisme
qui manquent à tous les niveaux de la société
suisse; nous le faisons soit avec des publications (dont notre
cahier de lancement [qui peut être obtenu gratuitement
auprès du Culturactif sur simple demande à l'adresse
contact@culturatcif.ch,
ou téléchargé
en PDF depuis le site de PVS], contenant entre autre
les douze thèses qui nous guident), des manifestations
communes ou par d'autres moyens, par exemple à travers
des informations à l'attention des médias ou
en créant des documents utiles pour le débat
sur l'enseignement des langues au primaire. Ce dernier exemple
montre que nous n'agissons pas seulement avec propres actions
mais que nous soutenons également d'autres associations
et institutions.
De fait, la Suisse bénéficie
d'institutions et d'organismes qui encouragent concrètement
l'échange entre les régions. Sur le plan culturel,
qui concerne le Culturactif au premier chef, on pense bien
sûr à ProHelvetia, mais de nombreux organismes
publics et privés qui soutiennent la traduction, les
projets interrégionaux, etc. - permettant par exemple
l'existence du Culturactif, ou de la Fondation langues et
cultures et du Forum Helveticum, associations instigatrices
de PVS. Le soutien est-il à vos yeux suffisant et bien
pensé? Quelle évolution dans ce domaine appelleriez-vous
de vos voeux?
Gianni Ghisla: Avec la modernité,
la culture, au sens large, sort de la sphère privilégié
des puissants et des mécènes pour devbenir peu
à peu un bien commun, à la disposition de la
collectivité. Au cours de cette évolution, l'Etat
a assumé une bonne partie des initiatives culturelles
et de leur financement. Et en effet tous les Etats occidentaux
disposent de secteurs plus ou moins développés
qui gèrent d'amples programmes culturels, ou subventionnent
des initiatives culturelles proposées par des tiers.
Notre pays dispose lui aussi d'un Office Fédéral
de la Culture et d'une loi sur la culture, actuellement en
phase de consultation. Vers la fin du siècle dernier,
trois tendances étroitement liées les unes aux
autres se sont dessinées: d'abord, une diminution des
ressources financières du secteur public en général;
ensuite une tendance à redimensionner le rôle
de l'Etat, et à redistribuer les services publics au
secteur privé; et troisièmement une commercialisation
toujours plus acharnée de la production culturelle.
Ces tendances ont un impact dramatique sur la production culturelle.
Il suffit de penser - mais ce n'est qu'un exemple - à
la télévision, qui est en train de perdre toute
espèce d'intérêt pour une offre culturelle
qui ne satisfasse pas le critère de l'audience. Dans
un tel contexte, les individus et les initiatives des organisations
de la société civile ont un rôle important
à jouer, mais ne peuvent guère que maintenir
en vie une petite flamme. Il faut donc espérer que
la politique retrouve le souci, la volonté d'attribuer
à l'Etat un rôle fondamental pour soutenir l'activité
culturelle, avec les ressources que cela suppose. Même
si cela peut sembler paradoxal, c'est le seul moyen d'éviter
que l'impact du marché n'entraîne une homogénéisation
de la culture.
La Constitution suisse mentionne
le plurilinguisme national, mais le pays ne dispose pas à
ce jour d'un article légal qui permettrait concrètement
à la Confédération d'intervenir de manière
conséquente. Une telle loi sur les langues et la compréhension
est actuellement devant le parlement Quels sont les enjeux réels de cette loi?
Quelles sont les qualités du texte dans son état
actuel, et quelles sont ses lacunes d'après vous?
G.G. Il est vraiment étonnant
qu'un pays qui a toujours eu la prétention de fonder
son identité sur la diversité et la richesse
linguistique et culturelle, en mettant notamment en évidence
la volonté nécessaire à la réalisation
d'un tel projet (comme l'indique le concept de "Willensnation")
ne dispose toujours pas d'un outil légal qui lui permette
de conserver et valoriser cette richesse.
D'autre part, l'absence de politique linguistique ne saurait
surprendre, parce que la dimension liguistique s'insère
dans un horizon culturel plus large et subit par conséquent
les influences dont il y été question dans la
réponse précédente. Qu'il suffise de
mentionner ici qu'en avril 2005 le Conseil Fédéral
a tenté de jeter à la corbeille le projet de
loi sur les langues en gestation depuis dix ans, en alléguant
de ridicules raisons financières. Le défi de
cette loi est donc double: d'une part politique dans la mesure
où elle met en jeu une part du pouvoir Confédéral,
c'est à dire des intérêts collectifs,
face aux intérêts individuels et périphériques;
et d'autre part linguistique et culturel, parce que sans un
outil juridique qui permette des interventions régulatrices,
on assiterait à une libéralisation du "marché
linguistique". La perte d'importance des langues nationales
qui s'ensuivrait nécessairement inaugurerait, selon
les termes de l'historien Urs Altermatt, une Suisse aplatie
sur une langue et demie, c'est-à-dire une langue maternelle
plus ou moins et entière et un demi anglais.
Grâce à quelques parlementaires éclairés,
et, disons-le, aux initiatives prises par PVS, le Parlement
a réinscrit la loi sur les langues à son agenda,
et en discutera selon toute vraisemblance à la session
de juin.
Un point délicat : le choix de donner la priorité,
dans l'enseignement primaire, à une langue étragère
nationale ou à l'anglais. Il est clair que des considérations
tactiques joueront un rôle dans la décision du
Parlement, notamment le souci d'éviter un référendum
avec la votation populaire qui s'ensuivrait, car un tel référendum
aboutirait à une lutte totalement schématique
et caricaturalement idéologique de tous contre tous:
anglais contre langues nationales, Confédération
contre Cantons, progressistes contre conservateurs, économie
contre culture.
La diversité linguistique
et culturelle suisse est discutée de manière
relativement peu intense, si l'on songe que cette vaste question
relève justement aujourd'hui de l'actualité
politique. Or la question de la diversité culturelle
été récemment bien plus présente
dans l'actualité internationale, parce que l'UNESCO
a adopté fin 2005 un texte controversé: ce texte
reconnaît l'exception culturelle, et confère
aux Etats la compétence et le devoir de soutenir la
culture à l'intérieur de leurs frontières,
ce afin de soutenir la diversité culturelle mondiale.
On est tenté de dire que la Suisse aurait dû
être un fer de lance, un pays pionnier de ce débat,
mais qu'elle aborde la question avec un léger retard
sur le plan international. Quels sont les liens entre la question
au niveau suisse et au niveau mondial? Et quelles sont a contrario
les spécificités suisses? La directive de l'UNESCO
change-t-elle quelque chose pour la Suisse.
G.G. : Nous ne connaissons malheureusement
pas le texte de l'UNESCO, mais le principe en est clair. De
l'extérieur on continue à regarder la Suisse
comme un exemple qui pourrait servir de guide. Si l'on songe
que notre pays vit en paix et dans l'abondance depuis plus
d'un siècle, qu'il est parvenu à ressortir plus
ou moins indemne d'époques où l'Europe était
à feu et à sang, et que nous disposons d'un
système politique somme toute enviable de par les droits
qu'il concède aux citoyens, il y a au fond de bonnes
raisons d'idéaliser le modèle suisse. Mais j'ai
l'impression que nous sommes en train de gaspiller un capital
que nous devons aux visions éclairées et clairvoyantes
de ceux qui ont jeté les bases de la Suisse moderne
au XIXè siècle. Il est donc plus que jamais
nécéssaire de réalimenter notre bagage
d'idées culturelles et politiques, en cessant de prendre
des allures de premiers de classe et en cherchant à
apprendre des autres. Peut-être que de cette façon
nous pourrons donner une nouvelle vigueur au "modèle
suisse". En ce sens, la pression émanant de grands
organismes internationaux comme l'UNESCO ne peut que nous
être utile.
Les défenseurs de la diversité
linguistique suisse invoquent parfois les directives européennes
en la matière, qui préconisent l'apprentissage
scolaire d'une langue étrangère de proximité
et d'une langue de vaste diffusion internationale. Les choix
que fera la Suisse sur le dossier linguistique portera-il
à conséquence dans le processus d'intégration
européenne de la Suisse?
P.B. :La situation étant
très complexe aussi bien dans l'Union Européenne
qu'en Suisse, il est difficile de faire ici un quelconque
pronostic. On peut cependant dire que la le compromis élaboré
par la CDIP correspond fondamentalement aux directives européennes,
l'ordre de l'apprentissage des langues étant laissé
à l'appréciation des cantons: langue de proximité
(allemand) d'abord, langue de vaste diffusion (anglais) ensuite
pour la Suisse romande; solutions hétérogènes
en Suisse alémanique ou spécifiques aux Grisons
et au Tessin. Ce n'est cependant pas le dossier linguistique
qui devrait poser de problème dans le processus d'intégration
européenne de la Suisse, quel que soit ce dernier.
En mai 2005, notre invité
du mois, l'historien et sociologue Bernhard Altermatt, a également
parlé de plurilinguisme en Suisse. Nous lui avons demandé
quels espoirs il mettait dans la nouvelle loi. Dans une réponse
dense, il disait ne pas attendre grand chose de la nouvelle
loi, "ceci tout simplement, parce que la structure décentralisée
de notre pays ne s'apprête guère à des
interventions étatiques du pouvoir fédéral
dans les domaines linguistique et culturel. Les vrais enjeux
de la diversité linguistique en Suisse se situent au
sein des quatre cantons plurilingues que sont Fribourg-Freiburg,
Bern-Berne et Valais-Wallis (en Suisse occidentale bilingue,
français-allemand) et Graubünden-Grischun-Grigioni
(canton trilingue en Suisse orientale, allemand-rhétoroman-italien)."
Il soulignait toutefois l'importance symbolique d'une reconnaissance
légale de la valeur du plurilinguisme suisse. D'après
ce que vous avez dit tantôt, on comprend que vous ne
partagez pas cet avis
G.G. : Il ne faut pas sous-estimer
l'importance symbolique d'une nouvelle loi sur les langues.
Mais il serait grave de ne pas jeter à travers cette
loi les bases d'une politique linguistique influençant
de manière significative et concrète la réalité.
Comme on l'a dit plus haut, la partie qui se joue là
concerne aussi la question du rôle et du pouvoir de
la Confédération en général, pas
seulement sur le plan linguistique. N'oublions pas que le
21 mai 2006, nous voterons un article consitutionnel qui devrait
attribuer un minimum de compétences à la Confédération
en matière de formation - qui a toujours été,
tout comme la question linguistique, la chasse gardée
des cantons. Mais prenons un exemple concret et actuel: s'il
y avait déjà une loi, on aurait probablement
pu éviter l'attitude arrogante du Canton de Zurich
sur la question de l'anglais à l'école, et on
ne se trouverait donc pas aujourd'hui dans une situation semi-chaotique.
Il est en outre très réducteur de limiter le
défi linguistique aux cantons bilingues. Ce défi
est présent partout, justement parce que c'est une
question d'ouverture culturelle. La Suisse alémanique
s'aperoit aujourd'hui que son repli sur le dialecte au cours
des trente dernières années a aujourd'hui des
conséquences dramatiques. Les compétences linguistiques
en général et celles des jeunes en particulier
ont atteint un niveau inquiétant, pas seulement à
cause de la diffusion du dialecte à l'école,
dans les médias et dans la communication quotidienne,
mais aussi à cause de cela. La question du dialecte
a en outre une incidence sur les mentalités et les
attitudes culturelles. Il serait triste qu'une mentalité
de "réduit" l'emporte en Suisse alémanique.
Sur ce chapitre aussi, il vaut la peine de réfléchir
à certains paradoxes: par exemple celui d'un canton
conservateur comme Appenzell qui poursuit la modernité
(!) par une fuite en avant vers l'anglais. Ou le paradoxe
de Bâle Campagne, canton situé à la frontière
de la France qui pourtant abandonne lui aussi le français
pour l'anglais. Sans doute n'impose-t-on pas les langues par
décrêt, mais une loi pourrait tout de même
fournir des objectifs communs et contenir ces dérives,
dues seulement à des réflexes régionalistes
dépourvus de toute vision culturelle.
Justement, au sujet de l'école,
l'on peut douter que la Confédération ose vraiment
passer par-dessus les souverainetés cantonales pour
oser une politique nationale ambitieuse
P.B : Il est vrai que
jusqu'à présent la souveraineté cantonale
en matière d'éducation était intouchable
et un "diktat" de la Confédération
absolument tabou. Mais la situation est en train de changer
très vite. En effet, avec le chaos qui régnerait
en Suisse - ne serait-ce qu'au niveau de la mobilité
des familles -, si les initiatives populaires demandant une
seule langue étrangère au primaire passaient
dans plusieurs cantons (dont Zurich), la chose deviendrait
pensable. Et si le nouvel article constitutionnel sur l'éducation
évoqué plus haut passe la rampe le 21 mai prochain,
la Confédération aura les compétences
pour intervenir, en contraignant les cantons à coordonner
leur action en matière de formation. Dans un camp on
craint une telle décision, dans l'autre on l'appelle
de ses vux, dans le cas où les initiatives cantonales
favorisant l'anglais au détriment des langues nationales
devaient être acceptées. Cette possibilité
est d'ailleurs devenue un thème de débat des
campagnes dans les cantons, ceux-ci désirant évidemment
éviter par tous les moyens d'être rappelés
à l'ordre par la Confédération. De plus,
si cette dernière intervenait, elle obligerait peut-être
tous les cantons alémaniques à faire passer
le français avant l'anglais, alors qu'avec le compromis
de la CDIP cité plus haut l'ordre d'apprentissage des
deux langues étrangères peut être défini
librement par chaque canton.
Il serait évidemment préférable que les
cantons puissent uvrer eux-mêmes dans le sens
du compromis national de la CDIP, accepté - soulignons-le
- à l'unanimité des départements de l'instruction
publique, par deux abstentions. Quel désaveu pour le
fédéralisme helvétique, si les solutions
de telles questions et plus généralement une
politique de formation nationale cohérente n'étaient
possibles que sous la pression de Berne. Avec ses groupes
d'intérêt et une partie de la population ignorant
complètement - dans les débats sur la question
des langues - la richesse linguistique de la Suisse et refusant
d'adopter une vue d'ensemble véritablement nationale,
la Suisse donne déjà maintenant une image peu
cohérente pour un pays qui se vante de son plurilinguisme.
Propos recueillis par Francesco Biamonte
Page créée le 14.02.06
Dernière mise à jour le 14.02.06
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