Yves Rosset
Yves Rosset est né en 1965 à Lausanne et vit depuis 1990 à Berlin. En 2001, il a recu le Prix Georges-Nicole pour le texte "Aires de repos sur l'autoroute de l'information" paru chez Bernard Campiche Editeur et publié deux textes dans la revue "Ecriture" (Nr. 57 et Nr. 58). Depuis septembre 2002, en route pour l'écriture des "Oasis de transit" grâce à la bourse que lui a attribué la Fondation Edouard et Maurice Sandoz.
Déjà dix mois d'"Oasis de transit"
Berlin, tout près de l'été, le 18 Juin 2003.
Qu'est-ce que cela signifie que de recevoir une des peut-être plus importantes bourses à la création du monde?
FS cent mille, sacré paquet! Un salaire à l'avance le plus irréel qui soit, le travail à venir, rencontre pour en causer avec le Secrétaire un matin de juillet chez Mojonnier à Chailly-en-Lausanne, Suisse, qui résume en image la chose, genre "vous nous aviez dit que si vous aviez de l'argent vous monteriez l'Everest sur les mains, alors voilà".
Au lendemain du champagne bu, l'angoisse totale, l'attente au tournant de soi-même, plus d'excuse à l'écriture absente, tout le temps, au contraire et par quoi commencer, alors qu'il s'agit de partir en voyage et d'en dire quelque chose?
Les étapes parcourues, vitesse de passage, quelques lettres qui commencent à les épeler (http://www.fems.ch), des notes manuscrites (documentation prévue: septembre 2003) ou machiniques (cf. "Putain la vache!" et "Ça c'est vraiment incroyable" dans les Inédits de juillet-août de ce site), work in progress, poursuite de l'exploration d'une géographie spiralique des mots engagée dans les "Aires de repos sur l'autoroute de l'information" (2001, Bernard Campiche Editeur), courage retrouvé en lisant Allen Ginsberg, "le langage comme matériau de base" & "l'inexprimable par la technique ancienne du récit humaniste".
Tourbillon des lectures, évidemment, appels aux Anciens, Montaigne à Rome, Rousseau botanisant, Châteaubriand à Jérusalem et Constantinople, Nerval au Caire, Gautier en Suisse, Stendhal magistral, Baudelaire haïssant les journaux, Baudelaire écrivant:
Amer savoir, celui qu'on tire du voyage!
Le monde, monotone et petit, aujourd'hui,
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image:
Une oasis d'horreur, dans un désert d'ennui!
Penser à Balbec entre Honfleur et Fécamp sans trop savoir mais ne sortir de la voiture qu'après Colleville-sur-Mer pour aller marcher sur Omaha Beach, Ginsberg en Inde, Giono en Italie, Bouvier en obsession, Maillard et ses "Oasis interdites", Rolf Dieter Brinkmann passant le Gotthard, Melville faisant le tour du monde, Miller se souvenant de Paris, les Géos et autres National Geographics, Lévi-Strauss haïssant les voyages, Ringelblum chroniquant le ghetto de Varsovie, Levi voyageant vers Auschwitz, Benjamin à San Gimignano, Traven sur le vaisseau des morts, Faulkner dans le Sud nord-américain, Krüger émigrant aux États-unis, Augé dans ses "non-lieux", Davis à Los Angeles, Koolhaas à New-York, Corboz à Genève, Rivaz "parcourant l'exposition de tissus dans le monde", Ramuz à Lausanne.
Dix mois de bougeotte, le temps du voyage pensé d'abord comme temps de solitude à l'écriture qui s'avère en fait tout dévorer ou presque en découvertes & rencontres et les mots qui mettent plus de temps que prévu pour remonter à la surface de l'avalanche, apprentissage du déroulement, mise au tiroir d'autres projets avant de revenir à un réel moins privilégié, vertiges dans les agences de voyage au-dessus de la carte du monde, ici et ici et là et qu'est-ce que tu es allé foutre là-bas?
Idée d'aller dire bonjour, jusqu'ici à Laure à Rome, à Caro à Istanbul, à Ueli et Thorsten à Tel-Aviv, à la surprise au Caire, à Thomas à Paris, à Marco à Genève, à Laurent à New-York, à Fabrizzio à Houston, à Francesca à Los Angeles, à Mark à Santa Barbara, à Wojtek à Varsovie. Pour voir. Train bus avion voiture bateau vélo pedibus gambus, promenades et Japon à venir, Jürgen à Iwaki et Etsuko à Kiri Hama, en essayant cette fois de partir qu'avec deux livres et sans matériel à revoir, s'alléger au maximum et reprendre l'inscription du minuscule bouleversant dans une écriture fourmilière.
(Et puis, je disais littérature, et il y a toutes celles que l'on glane au passage, conseils absolument enthousiastes & exaltés! ou trouvailles sur des étagères que l'on se promet de lire bientôt dès que, Chatwin, Monod, Johnson, Byron, Kerouac, Manson Amrouch, Ostende, Shute, De Lillo, Thompson, Kroeber, Ogai, Kennedy, Heppenheimer, Simenon, Emmet, etc. and so on usw. l'avalanche aussi ainsi, illimitée tradition de la littérature de voyage, du récit de la vie allant tout bonnement.)
L'usage du monde en Visa Silver Card, achat d'un Olympus automatique de poche, re-découverte du temps de la production, grande chance de l'apprentissage de tous les instants, confiance faite à un escargot, amulettes de toutes sortes, souvenir d'un scribe accroupi vu au musée du Louvre, être loin des enfants ou les prendre avec soi, retrouver chaque fois Berlin comme étape de base, deux rues plus loin être déjà écarquillés, téléphoner à son banquier Suisse depuis la Californie, le rêve d'un Vaudois, de Dieu de Dieu!
Aujourd'hui pensé encore au "système texte" et à son support, le sentiment que tout s'articule à partir de là. Forme à venir des "Oasis de transit", il faut revenir de sa surprise, combien de fois ne me suis pas soudain demandé loin de moi qu'est-ce que je faisais tout à coup là?
Pour l'instant mis Montaigne en exergue, "Je sais bien ce que je fuis, mais non pas ce que je cherche" et collé tout à l'heure dans mon carnet de notes un sous-titre dans "Le Monde", "Les premiers résultats du satellite WMAP pourraient remettre en question le modèle standard d'un cosmos infini. Les astrophysiciens <dissidents> se fondent sur ces éléments pour conforter leur théorie d'une topologie finie dans laquelle un voyageur revient à son point de départ."
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