- Professeur Starobinski, hier nous
évoquions les acceptions chimiques, physiques, des
termes " action " et " réaction ",
et la naissance de ces deux termes. Aujourdhui, cest
plutôt dans un domaine qui vous est très familier
- dans celui de la médecine- que nous allons explorer
ces deux termes . Quand est-ce que, en médecine, on
commence à se poser la question dune " action
" et dune " réaction " ?
- Peut-être, déjà
au XVIIe siècle, mais sans que les dictionnaires de
la langue médicale parlent de réaction,
au sens médical ; ils ne parlent que de passion.
Les maladies sont des passions du corps. Le mot " réaction
" fera son entrée au XVIIIe siècle de façon
beaucoup plus nette. Mais, certains philosophes, comme Hobbes,
qui est un matérialiste et un mécaniste, fonde
toute son anthropologie, toute sa science de lhomme,
sur la sensation. Il conçoit la
sensation comme " action " et " réaction
". Que ce soit la lumière qui agit sur les membranes
de lil, ou que ce soit les objets extérieurs
que nous rencontrons ou qui nous frappent, notre sensation
est réaction, comme
il y en a dans le monde matériel. Cest avant
Newton, mais ce langage de la " réaction "
est déjà très présent chez Hobbes.
- Mais Hobbes souligne quand même
que tout ce qui réagit nest pas une sensation.
La sensation demande plus
- Oui, il y a quelque chose qui est
dans lhomme très différent de ce qui se
passe dans le monde matériel où il y a des corps
qui résistent. Nous assistons à des chocs et
à des réponses aux chocs. Dans lhomme,
la " réaction " est dun autre type
puisque lhomme éprouve une douleur ou une sensation
visuelle, et là, il y a une métamorphose qui
doit sappeler " réaction ". Tout cela
est très compliqué, sexprime dans le langage
latin; on utilise le mot effort, le mot conatus ; et cela
permet de construire une théorie de lexistence
humaine qui fait que lhomme désire, désire
posséder, peut exercer la violence sur autrui. Mais,
à la base, il y a cette explication fondamentale, par
la sensation, qui constitue lêtre humain, plus
que lanimal.
- Il faut une conscience ?
- Oui. Je nai pas rappelé
des textes où Hobbes aurait pu faire apparaître
la notion de conscience. Il faut toutefois savoir quil
est lun de ceux qui ont contesté le dualisme
de Descartes en posant des questions à Descartes qui
sapplique à y répondre. Les Méditations
de Descartes comportent des réponses à différents
philosophes, et parmi ceux-ci, il y a Hobbes qui essaie de
contester le dualisme qui sépare une substance pensante
-lesprit immatériel- et une substance étendue.
Donc, nous avons à faire, avec Hobbes, à un
philosophe que saluera plus tard Diderot, comme un précurseur.
- Vous citez aussi un autre chercheur,
un autre penseur beaucoup moins connu, qui sappelle
Glisson.
- Glisson est un médecin . Un
médecin qui est encore très attaché à
la tradition scolastique par bien des aspects, mais qui est
un bon observateur qui a laissé son nom dans lanatomie
du foie. Il reconnaît la capsule du foie, les lobes
du foie dune façon très exacte. Il était
très attentif à ce qui sappellera, chez
lui, et plus tard chez le grand physiologiste suisse, Haller,
lirritabilité. Il perçoit, dans les organes
profonds que sont lestomac, lintestin, une irritabilité
qui nest pas la même que celle de nos muscles,
de nos organes volontaires, et son attention à lirritabilité
sera, évidemment, très féconde. Ce mot
est alors nouveau, on peut lui trouver des antécédents
dans la médecine classique, la médecine des
anciens, dans Galien, mais néanmoins cest un
pas de plus que fait la médecine avec Glisson et le
concept dirritabilité. Ce concept se transmettra
aux médecins de lécole de Montpellier
au début du XVIIIe siècle et aboutira, à
travers quelques intermédiaires, à une théorie
qui aura une très grande influence au début
du XIXe, je veux parler de la théorie de Xavier Bichat
: Les Recherches physiologiques
sur la vie et la mort.
- Et dans ce cas-là, la " réaction
" est un mécanisme de défense ?
- Oui, cest un mécanisme
de défense. Mais il faut considérer les intermédiaires,
les grands écrivains, qui sont aussi parfois de grands
savants qui étoffent cette notion dune défense
ou dune réaction qui, dans lanimal et dans
lhomme, manifeste leffet des influx venus du monde
extérieur -des influences externes. Lun de ces
précurseurs de Bichat, cest Buffon. Buffon, pour
qui, les mouvements musculaires sont déterminés
par des stimulis -cest le mot quil faut utiliser,
qui est fortement utilisé par lui- des stimulations,
des excitations externes. La réponse, cest quelques
fois une réponse explosive du muscle : il suffit dun
petit stimulus pour un réflexe, une réponse
forte. La notion de réflexe va se mettre en place ;
dailleurs, dans le fil de mon récit, de mon histoire
de l " action " et de la " réaction
", vous verrez que tout vient à la fois. Ainsi,
le désir , pour Buffon, est aussi une " réaction
" à laspect de tel ou tel objet. Des pages
étonnantes de Buffon sont consacrées à
limmortalité dun désir qui na
pas besoin de beaucoup dorganes pour se manifester.
- Vous citez un texte tellement hallucinant
- Ah oui, je cite un texte qui est
vraiment très étonnant tiré du "Discours
sur la nature des animaux" qui date du milieu
du XVIIIe siècle. Le voici ce texte : "
Cest donc laction des objets sur les sens qui
fait naître le désir, et cest le désir
qui fait naître le mouvement progressif " cest-à-dire
tout ce qui est marche, élan vers quelque chose, motricité,
etc. Je poursuis : "Pour le faire encore mieux sentir,
supposons un homme qui, dans linstant où il voudrait
sapprocher dun objet, se trouverait tout à
coup privé des membres nécessaires à
cette action, cet homme auquel nous retranchons les jambes,
tâcherait de marcher sur ses genoux . Ôtons-lui
encore les genoux et les cuisses, en lui conservant toujours
le désir de sapprocher de lobjet, il sefforcera
alors de marcher sur ses mains. Privons-le des bras et des
mains, il rampera, il se traînera, il emploiera toutes
les forces de son corps et saidera de toute la flexibilité
des vertèbres pour se mettre en mouvement; il saccrochera
par le menton ou avec les dents, à quelques points
dappui, pour essayer de changer de lieu ; et quand même
nous réduirions son corps à un point physique,
à un atome globuleux, si le désir subsiste,
il emploiera encore toutes ses forces pour changer de situation
; mais comme il naurait alors dautre moyen pour
se mouvoir que dagir contre le plan sur lequel il porte,
il ne manquerait pas de sélever plus ou moins
haut pour atteindre à lobjet. Le mouvement extérieur
et progressif ne dépend donc point de lorganisation
et de la figure du corps et des membres puisque, de quelque
manière quun être fut extérieurement
conformé, il ne pourrait manquer de se mouvoir, pourvu
quil eut des sens et le désir de les satisfaire."
- Cest un texte extraordinaire,
qui renvoie, vous le dites, vous, à Lautréamont
ou à Beckett qui nont pas fait mieux, et moi
je dirais aussi peut-être à Michaux ?
- Oui, tout à fait, jy
pensais en faisant cette lecture. Quelque chose persévère
qui finit par navoir presque aucune réalité,
dans laquelle il y a une énergie
-cest un mot que je nai pas beaucoup utilisé
mais dont on pourrait faire aussi lhistoire, à
loccasion- une énergie qui ne sépuise
pas, qui reste extraordinairement en acte, inépuisable.
- Mais il faut donc que ce désir
soit contrarié pour quil puisse vraiment sexprimer
?
- Oui. Il na pas besoin de beaucoup
dorganes, mais il suffit dune " action "
du monde extérieur, pour que ce désir soit déclenché.
Et il est, pour ainsi dire, immortel tant quil nobtient
pas satisfaction.
- La présence même de
ce désir, Jean Starobinski, implique lexistence
dune conscience, dune âme ?
- Dun appétit. Oui, dun
appétit. Il y a une âme désirante. La
spéculation peut semparer dimages de ce
genre; dailleurs cette page est une page de rêve.
Buffon est un grand savant, et on saisit, sur le vif, la façon
dont les savants, quelquefois, pour exposer leurs idées,
se confient à une espèce de puissance onirique,
allant jusquau bout dun fantasme, fantasme de
limmortalité du désir.
- Est-ce que ce désir hante aussi
la matière, ou est-ce quil est le propre de lhomme
?
- En fait, Buffon développe
une théorie qui donne à lhomme le privilège,
sur les animaux, de nêtre pas tout entier dominé
par le sens intime intérieur. Les animaux sont dominés
par le sens intime intérieur; lhomme est double.
Les animaux satisfont innocemment le besoin sexuel; lhomme
est double et cest de là que procède le
malheur de lhomme dans le domaine amoureux : homo-duplex.
Il y a de belles pages dans le Discours
sur la nature des animaux, qui est une des grandes
pages du XVIIIe siècle français. Cest
à la fois une célébration du bonheur
sexuel, tel quil sassouvit dans la nature, et
cest une vue du bonheur humain plus difficile à
obtenir, plus noble aussi. Tout se passe, à certains
moments, comme si Buffon déplorait cette division de
lhomme. Il me semble quaujourdhui, cest
devenu un peu un lieu commun que de déplorer ce qui
diviserait lhomme en une conscience et un appétit
. Il y a quelques courants, dans notre monde contemporain,
où on donne à lappétit une valeur
dominante, contre tout ce qui, de la part de la culture ou
de lautorité, tendrait à réfréner
le désir.
- Nous en parlerons peut-être
à propos des acceptions politiques, des termes "
action " et " réaction ", à la
fin de ces entretiens, Jean Starobinski. Mais si deux mouvements,
deux désirs sannulent - ce que Buffon imagine-
on arrive à une sorte dabsence de désir,
dataraxie, donc dennui ?
- Oui, très exactement, et il
faut, perpétuellement, aller à la rencontre
du monde, recevoir de nouvelles stimulations, chercher à
se réveiller de cet ennui. Cest là encore
une attitude très typique du XVIIIe siècle.
Dinstant en instant, il faut que nous soyons réveillés
au sensible, que de nouveaux plaisirs, de nouvelles rencontres,
de nouveaux goûts, de nouvelles sollicitations nous
tirent de ce péril où nous sommes constamment,
de retomber dans la monotonie. Dans un livre que jai
fait voici longtemps, qui sintitulait Linvention
de la liberté , jai beaucoup insisté
sur cette poursuite de linstant heureux au XVIIIe siècle.
Buffon est encore pleinement un philosophe de linstant,
un philosophe qui, tout en considérant une certaine
évolution dans les espèces animales, donc une
assez longue durée -tout cela est encore assez embryonnaire,
cette pensée de lévolution- Buffon se
tournant vers lhomme, le voit comme un être qui
pourrait retomber dans la monotonie, dans lennui et
quil faut perpétuellement faire ressurgir à
des plaisirs instantanés. Quand on passe à Bichat,
on a à faire à quelque chose où intervient
lénergie volontaire, où intervient un
conflit beaucoup plus fondamental. Un défi plus fondamental.
Bichat est contemporain de Napoléon et on voit très
bien le règne de la volonté semparer de
la vie. La vie est une puissance volontaire qui résiste
à la mort. La notion de " réaction "
devient, elle, non plus ponctuelle, de proche en proche, mais
elle est constante. Toute vie est réagissante dès
lors quelle est vie. Elle est constamment au défi
des puissances externes qui la menacent. Chez lenfant,
la force de vie lemporte sur les obstacles extérieurs
; chez ladulte elles séquilibrent ; chez
le vieillard, la force de vie est moindre. Nous avons une
page merveilleuse douverture des considérations
sur les Recherches physiologiques
sur la vie et la mort, qui est un peu le coup de trompette
du début du XIXe siècle. On cherche dans des
considérations abstraites, la définition de
la vie. On la trouvera, je crois, dans cet aperçu général.
La vie est lensemble des fonctions qui résistent
à la mort. Voyez le grand conflit vie-mort. Tel est,
en effet, le mode dexistence des corps vivants, que
tout ce qui les entoure tend à les détruire.
Les corps inorganiques agissent sans cesse sur eux, eux-mêmes
exercent, les uns sur les autres, une action continuelle.
Bientôt, ils succomberaient, sils navaient
en eux un principe permanent de " réaction ".
Voyez, la réaction est mise en gloire en quelque sorte.
La réaction, cest
la vie. Vivre cest réagir.
- Vivre cest réagir, cest
lutter contre la mort ; donc quand on vieillit cette lutte
samoindrit et on finit par disparaître. Il y a
aussi un principe dinstabilité chez Bichat ?
- Oui, parce que, il y a deux vies
en nous. Il y a la vie animale, ce sont nos actes volontaires,
nos pensées -il ne parle pas de vie spirituelle on
le lui reprochera- et il y a la vie organique, la vie de nos
viscères ; la respiration, le cur qui bat, les
viscères digestifs. Entre les deux vies, il y a à
la fois collaboration et concurrence. Il y a rapport de réciprocité.
Donc sil y a " action " et " réaction
" entre lindividu et le monde extérieur,
il y a aussi chez Bichat -et ça complique beaucoup
le jeu, si jose dire- " action " et "
réaction " entre la vie animale et la vie organique.
Curieusement, Bichat situe les passions, le trouble des passions,
lirrationalité des passions, dans la vie organique;
dans le tréfonds de la vie organique. Le conflit, qui
est dabord conflit avec le monde extérieur, peut
aussi devenir conflit entre lêtre rationnel, la
vie animale - comme il le dit - et lêtre viscéral.
Donc nous sommes dans un monde conflictuel, un monde dans
lequel il est difficile de faire régner lordre.
Il faut un ordre, une souveraineté qui sexerce,
je dirais presque une autocratie à la Napoléon.
Il faut que quelque part un être dominateur réunisse
et maîtrise toutes ces fonctions, et réponde
au monde. Donc, vision, je dirais antagonique
généralisée.
- Avant de parler de Bichat, Jean Starobinski,
vous citez Novalis, le poète allemand qui, lui, a lair
de dire que la fatigue et la douleur ont une réaction
agréable ; jai noté cette citation très
irritante quand on ne se sent pas bien "Mühe und
Pein haben eine angenehme Reaktion", cest-à-dire,
la souffrance et la fatigue éveillent une réaction
agréable. Que veut-il dire par-là?
- Ce sont donc des aphorismes quil
a recueillis. Novalis est mort jeune. Il avait de grandes
ambitions encyclopédiques, des intuitions quil
jette sur le papier. Il est séduit par les grandes
philosophies de la nature. Il est lui-même un géologue
; il a entrepris des études de géologie sur
les montagnes ; il est lélève, si je ne
fais erreur, de Werner, le grand géologue allemand.
Cest encore lépoque où on est soucieux
davoir une science universelle. A côté
de lui, il y a des physiciens comme Ritter, qui deviennent
des philosophes de la nature sans passer par de véritables
expériences. Mais, dans le cas de la fatigue et de
la douleur, je verrais chez Novalis quelque chose comme lexpression
dun masochisme qui va chercher la maladie, la douleur
et la fatigue parce que cest une expérience à
partir de laquelle il faut se reprendre. Donc souffrons pour
nous reprendre. Souffrons pour réagir. Et lorsque nous
aurons donné cet effort de la réaction, peut-être
trouverons-nous une espèce de jouissance. Cest
ainsi que jinterprète ces aphorismes. Avec une
notion comme " action " et " réaction
", on a un instrument pour donner un rôle à
ce que lon pourrait nommer, un peu grossièrement,
le négatif. Le négatif devient positif, ou le
négatif devient acceptable, dans la mesure où
il suscite la réplique. Donc, vive la douleur, vive
la fatigue puisquil faut y répliquer, et que
y répliquer donne un sentiment agréable.
- Ce nest pas la même chose
que la vertu rédemptrice de la souffrance dans le christianisme?
- Bonne question, me semble t-il. Cest
un peu la même chose. Car, chez Novalis, linfluence
de la pensée religieuse piétiste et lidée
de la rédemption par la souffrance est très
présente.
- Jean Starobinski, dans lhéritage
de Bichat, vous citez Claude Bernard qui, lui, dit que la
vie c'est pas seulement " réaction ", mais
cest "création"
- Oui, les réactions sont créatrices.
Au fond, lidée de " réaction "
est acquise déjà pour Claude Bernard. Il ne
linvente pas. Elle fait partie du langage scientifique.
Limportant pour lui, cest de considérer
le rapport de lêtre vivant et de son milieu. La
grande intuition de Claude Bernard -et il a été
lexpérimentateur de ces intuitions, ladmirable
expérimentateur de ces intuitions- cest que nous
sommes placés, non seulement en face dun milieu
extérieur qui peut devenir destructeur et que nous
devons surmonter, avec lequel nous devons trouver notre équilibre,
mais quil y a en nous un milieu intérieur ; les
humeurs de notre corps. Ce milieu intérieur, il faut
le maintenir stable. Doù, disons, une sorte de
dialectique des équilibres dont finalement la vie doit
être leur donatrice. Et dans cette réponse que
notre organisme donne aux sollicitations des divers milieux,
une évolution peut se produire. Ce sont là des
considérations quil étend au fonctionnement
nerveux. Il envisage la vie nerveuse, les réflexes
-le terme est déjà bien établi- dans
le sens dune adaptation aux conditions de la vie. Et
cest ladaptation qui est créatrice de nouvelles
ressources pour le vivant.
- Plus tard, à la fin de ce
chapitre, vous citez toute une cohorte de savants et de chercheurs,
dont le très célèbre Pavlov, qui, lui
alors, théorise cette idée d " action
" et de " réaction " sous la forme du
réflexe.
- Oui, le réflexe conditionné.
Tout à fait. A ce moment-là, disons, dans la
méthode que jai suivie, je rencontre un problème.
Dun côté, il y a la tentation dexposer
des doctrines et détaler, si jose dire,
les systèmes scientifiques. Dun autre côté,
comme je veux faire de ce livre un livre transdisciplinaire
qui ne sattarde pas à une seule discipline, la
biologie par exemple ou la physique, je dois rester allusif
; mon propos étant de montrer dans quelles circonstances
et à quel moment le mot a fait intrusion dans le vocabulaire
spécialisé dune science. A quel moment,
nous le verrons plus tard, le mot a pénétré
dans le langage du roman ; et cest pour cela que nous
verrons quil y a un chapitre important sur Balzac. A
quel moment le mot est entré en psychologie, doù
le chapitre sur labréaction chez Freud et Breuer,
le premier texte psychanalytique, non sans avoir déjà
appartenu à toute une psychologie des rapports de l'âme
et du corps.
- Ce que nous voyons apparaître,
dailleurs, Jean Starobinski, à la fin de ce chapitre
consacré à la vie réagissante, cest
quil y a une action de lâme sur le corps,
des états psychiques sur le physique, une naissance
de la psychosomatique en fait ?
- Oui, la psychosomatique est là,
bien présente dans les dictionnaires, dans les traités
du début du XIXe siècle, avec encore un certain
dualisme. L'âme et le corps sont des substances différentes,
cest un héritage de Descartes. Mais on se tromperait
à croire que la psychosomatique est une science tout
à fait moderne. Elle a des lettres de noblesse et dantiquité
qui se sont affirmées déjà plutôt
encore, mais qui se sont marquées doctrinalement au
début du XIXe siècle. Je me suis plu à
montrer, chez des médecins comme Delpit ou Bricheteau,
auteurs darticles très influents dans les dictionnaires
de médecine qui fleurissaient au début du XIXe
siècle, toute une casuistique du rapport médecin-malade
, puisque la maladie dépend très souvent des
rapports de lâme et du corps, et que le médecin
peut exercer une influence sur le malade, réagir sur
le corps du malade, à travers sa propre parole. Lidée
dune thérapeutique par la parole du médecin
est fortement affirmée, au début du XIXe siècle.
Cest la préhistoire, si vous voulez, de la psychosomatique
moderne, mais elle est déjà très maîtresse
delle-même, cette psychosomatique élémentaire
du début du XIXe siècle, et jai tenu à
marquer, par des citations, limportance de ces convictions.
- Vous citez dailleurs des textes
qui montrent le médecin dans un rôle quasiment
chamanique où il a tout pouvoir pour transformer les
souffrances du malade par une sorte dapparition magique
- Oui. La parole est douée dune
puissance -dans ces théories- extraordinaire. Ce sont
des paroles simples. Ce sont quelquefois des promesses, des
garanties, des demi-mensonges, mais le médecin prend
une figure de prêtre de Dieu capable de modifier une
destinée.
- Jean Starobinski, " action et
réaction ", cest le titre du livre que vous
venez de publier aux Editions du Seuil et que nous sommes
en train de décortiquer depuis deux jours. Nous parlerons,
demain, de labréaction, cest-à-dire
de ce concept trouvé par Freud, dont nous fêtons
, en fait, le centenaire.
Domaine parlé : Une émission
dAlphonse Layaz
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Dernière mise à jour le 09.10.01
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