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Isabelle Rüf reçoit Jean Starobinski
Entretien 2

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  Entretien 2 : domaine de la médecine

 

- Professeur Starobinski, hier nous évoquions les acceptions chimiques, physiques, des termes " action " et " réaction ", et la naissance de ces deux termes. Aujourd’hui, c’est plutôt dans un domaine qui vous est très familier - dans celui de la médecine- que nous allons explorer ces deux termes . Quand est-ce que, en médecine, on commence à se poser la question d’une " action " et d’une " réaction " ?

- Peut-être, déjà au XVIIe siècle, mais sans que les dictionnaires de la langue médicale parlent de réaction, au sens médical ; ils ne parlent que de passion. Les maladies sont des passions du corps. Le mot " réaction " fera son entrée au XVIIIe siècle de façon beaucoup plus nette. Mais, certains philosophes, comme Hobbes, qui est un matérialiste et un mécaniste, fonde toute son anthropologie, toute sa science de l’homme, sur la sensation. Il conçoit la sensation comme " action " et " réaction ". Que ce soit la lumière qui agit sur les membranes de l’œil, ou que ce soit les objets extérieurs que nous rencontrons ou qui nous frappent, notre sensation est réaction, comme il y en a dans le monde matériel. C’est avant Newton, mais ce langage de la " réaction " est déjà très présent chez Hobbes.

- Mais Hobbes souligne quand même que tout ce qui réagit n’est pas une sensation. La sensation demande plus…

- Oui, il y a quelque chose qui est dans l’homme très différent de ce qui se passe dans le monde matériel où il y a des corps qui résistent. Nous assistons à des chocs et à des réponses aux chocs. Dans l’homme, la " réaction " est d’un autre type puisque l’homme éprouve une douleur ou une sensation visuelle, et là, il y a une métamorphose qui doit s’appeler " réaction ". Tout cela est très compliqué, s’exprime dans le langage latin; on utilise le mot effort, le mot conatus ; et cela permet de construire une théorie de l’existence humaine qui fait que l’homme désire, désire posséder, peut exercer la violence sur autrui. Mais, à la base, il y a cette explication fondamentale, par la sensation, qui constitue l’être humain, plus que l’animal.

- Il faut une conscience ?

- Oui. Je n’ai pas rappelé des textes où Hobbes aurait pu faire apparaître la notion de conscience. Il faut toutefois savoir qu’il est l’un de ceux qui ont contesté le dualisme de Descartes en posant des questions à Descartes qui s’applique à y répondre. Les Méditations de Descartes comportent des réponses à différents philosophes, et parmi ceux-ci, il y a Hobbes qui essaie de contester le dualisme qui sépare une substance pensante -l’esprit immatériel- et une substance étendue. Donc, nous avons à faire, avec Hobbes, à un philosophe que saluera plus tard Diderot, comme un précurseur.

- Vous citez aussi un autre chercheur, un autre penseur beaucoup moins connu, qui s’appelle Glisson.

- Glisson est un médecin . Un médecin qui est encore très attaché à la tradition scolastique par bien des aspects, mais qui est un bon observateur qui a laissé son nom dans l’anatomie du foie. Il reconnaît la capsule du foie, les lobes du foie d’une façon très exacte. Il était très attentif à ce qui s’appellera, chez lui, et plus tard chez le grand physiologiste suisse, Haller, l’irritabilité. Il perçoit, dans les organes profonds que sont l’estomac, l’intestin, une irritabilité qui n’est pas la même que celle de nos muscles, de nos organes volontaires, et son attention à l’irritabilité sera, évidemment, très féconde. Ce mot est alors nouveau, on peut lui trouver des antécédents dans la médecine classique, la médecine des anciens, dans Galien, mais néanmoins c’est un pas de plus que fait la médecine avec Glisson et le concept d’irritabilité. Ce concept se transmettra aux médecins de l’école de Montpellier au début du XVIIIe siècle et aboutira, à travers quelques intermédiaires, à une théorie qui aura une très grande influence au début du XIXe, je veux parler de la théorie de Xavier Bichat : Les Recherches physiologiques sur la vie et la mort.

- Et dans ce cas-là, la " réaction " est un mécanisme de défense ?

- Oui, c’est un mécanisme de défense. Mais il faut considérer les intermédiaires, les grands écrivains, qui sont aussi parfois de grands savants qui étoffent cette notion d’une défense ou d’une réaction qui, dans l’animal et dans l’homme, manifeste l’effet des influx venus du monde extérieur -des influences externes. L’un de ces précurseurs de Bichat, c’est Buffon. Buffon, pour qui, les mouvements musculaires sont déterminés par des stimulis -c’est le mot qu’il faut utiliser, qui est fortement utilisé par lui- des stimulations, des excitations externes. La réponse, c’est quelques fois une réponse explosive du muscle : il suffit d’un petit stimulus pour un réflexe, une réponse forte. La notion de réflexe va se mettre en place ; d’ailleurs, dans le fil de mon récit, de mon histoire de l’ " action " et de la " réaction ", vous verrez que tout vient à la fois. Ainsi, le désir , pour Buffon, est aussi une " réaction " à l’aspect de tel ou tel objet. Des pages étonnantes de Buffon sont consacrées à l’immortalité d’un désir qui n’a pas besoin de beaucoup d’organes pour se manifester.

- Vous citez un texte tellement hallucinant…

- Ah oui, je cite un texte qui est vraiment très étonnant tiré du "Discours sur la nature des animaux" qui date du milieu du XVIIIe siècle. Le voici ce texte : " C’est donc l’action des objets sur les sens qui fait naître le désir, et c’est le désir qui fait naître le mouvement progressif " c’est-à-dire tout ce qui est marche, élan vers quelque chose, motricité, etc. Je poursuis : "Pour le faire encore mieux sentir, supposons un homme qui, dans l’instant où il voudrait s’approcher d’un objet, se trouverait tout à coup privé des membres nécessaires à cette action, cet homme auquel nous retranchons les jambes, tâcherait de marcher sur ses genoux . Ôtons-lui encore les genoux et les cuisses, en lui conservant toujours le désir de s’approcher de l’objet, il s’efforcera alors de marcher sur ses mains. Privons-le des bras et des mains, il rampera, il se traînera, il emploiera toutes les forces de son corps et s’aidera de toute la flexibilité des vertèbres pour se mettre en mouvement; il s’accrochera par le menton ou avec les dents, à quelques points d’appui, pour essayer de changer de lieu ; et quand même nous réduirions son corps à un point physique, à un atome globuleux, si le désir subsiste, il emploiera encore toutes ses forces pour changer de situation ; mais comme il n’aurait alors d’autre moyen pour se mouvoir que d’agir contre le plan sur lequel il porte, il ne manquerait pas de s’élever plus ou moins haut pour atteindre à l’objet. Le mouvement extérieur et progressif ne dépend donc point de l’organisation et de la figure du corps et des membres puisque, de quelque manière qu’un être fut extérieurement conformé, il ne pourrait manquer de se mouvoir, pourvu qu’il eut des sens et le désir de les satisfaire."

- C’est un texte extraordinaire, qui renvoie, vous le dites, vous, à Lautréamont ou à Beckett qui n’ont pas fait mieux, et moi je dirais aussi peut-être à Michaux ?

- Oui, tout à fait, j’y pensais en faisant cette lecture. Quelque chose persévère qui finit par n’avoir presque aucune réalité, dans laquelle il y a une énergie -c’est un mot que je n’ai pas beaucoup utilisé mais dont on pourrait faire aussi l’histoire, à l’occasion- une énergie qui ne s’épuise pas, qui reste extraordinairement en acte, inépuisable.

- Mais il faut donc que ce désir soit contrarié pour qu’il puisse vraiment s’exprimer ?

- Oui. Il n’a pas besoin de beaucoup d’organes, mais il suffit d’une " action " du monde extérieur, pour que ce désir soit déclenché. Et il est, pour ainsi dire, immortel tant qu’il n’obtient pas satisfaction.

- La présence même de ce désir, Jean Starobinski, implique l’existence d’une conscience, d’une âme ?

- D’un appétit. Oui, d’un appétit. Il y a une âme désirante. La spéculation peut s’emparer d’images de ce genre; d’ailleurs cette page est une page de rêve. Buffon est un grand savant, et on saisit, sur le vif, la façon dont les savants, quelquefois, pour exposer leurs idées, se confient à une espèce de puissance onirique, allant jusqu’au bout d’un fantasme, fantasme de l’immortalité du désir.

- Est-ce que ce désir hante aussi la matière, ou est-ce qu’il est le propre de l’homme ?

- En fait, Buffon développe une théorie qui donne à l’homme le privilège, sur les animaux, de n’être pas tout entier dominé par le sens intime intérieur. Les animaux sont dominés par le sens intime intérieur; l’homme est double. Les animaux satisfont innocemment le besoin sexuel; l’homme est double et c’est de là que procède le malheur de l’homme dans le domaine amoureux : homo-duplex. Il y a de belles pages dans le Discours sur la nature des animaux, qui est une des grandes pages du XVIIIe siècle français. C’est à la fois une célébration du bonheur sexuel, tel qu’il s’assouvit dans la nature, et c’est une vue du bonheur humain plus difficile à obtenir, plus noble aussi. Tout se passe, à certains moments, comme si Buffon déplorait cette division de l’homme. Il me semble qu’aujourd’hui, c’est devenu un peu un lieu commun que de déplorer ce qui diviserait l’homme en une conscience et un appétit . Il y a quelques courants, dans notre monde contemporain, où on donne à l’appétit une valeur dominante, contre tout ce qui, de la part de la culture ou de l’autorité, tendrait à réfréner le désir.

- Nous en parlerons peut-être à propos des acceptions politiques, des termes " action " et " réaction ", à la fin de ces entretiens, Jean Starobinski. Mais si deux mouvements, deux désirs s’annulent - ce que Buffon imagine- on arrive à une sorte d’absence de désir, d’ataraxie, donc d’ennui ?

- Oui, très exactement, et il faut, perpétuellement, aller à la rencontre du monde, recevoir de nouvelles stimulations, chercher à se réveiller de cet ennui. C’est là encore une attitude très typique du XVIIIe siècle. D’instant en instant, il faut que nous soyons réveillés au sensible, que de nouveaux plaisirs, de nouvelles rencontres, de nouveaux goûts, de nouvelles sollicitations nous tirent de ce péril où nous sommes constamment, de retomber dans la monotonie. Dans un livre que j’ai fait voici longtemps, qui s’intitulait L’invention de la liberté , j’ai beaucoup insisté sur cette poursuite de l’instant heureux au XVIIIe siècle. Buffon est encore pleinement un philosophe de l’instant, un philosophe qui, tout en considérant une certaine évolution dans les espèces animales, donc une assez longue durée -tout cela est encore assez embryonnaire, cette pensée de l’évolution- Buffon se tournant vers l’homme, le voit comme un être qui pourrait retomber dans la monotonie, dans l’ennui et qu’il faut perpétuellement faire ressurgir à des plaisirs instantanés. Quand on passe à Bichat, on a à faire à quelque chose où intervient l’énergie volontaire, où intervient un conflit beaucoup plus fondamental. Un défi plus fondamental. Bichat est contemporain de Napoléon et on voit très bien le règne de la volonté s’emparer de la vie. La vie est une puissance volontaire qui résiste à la mort. La notion de " réaction " devient, elle, non plus ponctuelle, de proche en proche, mais elle est constante. Toute vie est réagissante dès lors qu’elle est vie. Elle est constamment au défi des puissances externes qui la menacent. Chez l’enfant, la force de vie l’emporte sur les obstacles extérieurs ; chez l’adulte elles s’équilibrent ; chez le vieillard, la force de vie est moindre. Nous avons une page merveilleuse d’ouverture des considérations sur les Recherches physiologiques sur la vie et la mort, qui est un peu le coup de trompette du début du XIXe siècle. On cherche dans des considérations abstraites, la définition de la vie. On la trouvera, je crois, dans cet aperçu général. La vie est l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort. Voyez le grand conflit vie-mort. Tel est, en effet, le mode d’existence des corps vivants, que tout ce qui les entoure tend à les détruire. Les corps inorganiques agissent sans cesse sur eux, eux-mêmes exercent, les uns sur les autres, une action continuelle. Bientôt, ils succomberaient, s’ils n’avaient en eux un principe permanent de " réaction ". Voyez, la réaction est mise en gloire en quelque sorte. La réaction, c’est la vie. Vivre c’est réagir.

- Vivre c’est réagir, c’est lutter contre la mort ; donc quand on vieillit cette lutte s’amoindrit et on finit par disparaître. Il y a aussi un principe d’instabilité chez Bichat ?

- Oui, parce que, il y a deux vies en nous. Il y a la vie animale, ce sont nos actes volontaires, nos pensées -il ne parle pas de vie spirituelle on le lui reprochera- et il y a la vie organique, la vie de nos viscères ; la respiration, le cœur qui bat, les viscères digestifs. Entre les deux vies, il y a à la fois collaboration et concurrence. Il y a rapport de réciprocité. Donc s’il y a " action " et " réaction " entre l’individu et le monde extérieur, il y a aussi chez Bichat -et ça complique beaucoup le jeu, si j’ose dire- " action " et " réaction " entre la vie animale et la vie organique. Curieusement, Bichat situe les passions, le trouble des passions, l’irrationalité des passions, dans la vie organique; dans le tréfonds de la vie organique. Le conflit, qui est d’abord conflit avec le monde extérieur, peut aussi devenir conflit entre l’être rationnel, la vie animale - comme il le dit - et l’être viscéral. Donc nous sommes dans un monde conflictuel, un monde dans lequel il est difficile de faire régner l’ordre. Il faut un ordre, une souveraineté qui s’exerce, je dirais presque une autocratie à la Napoléon. Il faut que quelque part un être dominateur réunisse et maîtrise toutes ces fonctions, et réponde au monde. Donc, vision, je dirais antagonique généralisée.

- Avant de parler de Bichat, Jean Starobinski, vous citez Novalis, le poète allemand qui, lui, a l’air de dire que la fatigue et la douleur ont une réaction agréable ; j’ai noté cette citation très irritante quand on ne se sent pas bien "Mühe und Pein haben eine angenehme Reaktion", c’est-à-dire, la souffrance et la fatigue éveillent une réaction agréable. Que veut-il dire par-là?

- Ce sont donc des aphorismes qu’il a recueillis. Novalis est mort jeune. Il avait de grandes ambitions encyclopédiques, des intuitions qu’il jette sur le papier. Il est séduit par les grandes philosophies de la nature. Il est lui-même un géologue ; il a entrepris des études de géologie sur les montagnes ; il est l’élève, si je ne fais erreur, de Werner, le grand géologue allemand. C’est encore l’époque où on est soucieux d’avoir une science universelle. A côté de lui, il y a des physiciens comme Ritter, qui deviennent des philosophes de la nature sans passer par de véritables expériences. Mais, dans le cas de la fatigue et de la douleur, je verrais chez Novalis quelque chose comme l’expression d’un masochisme qui va chercher la maladie, la douleur et la fatigue parce que c’est une expérience à partir de laquelle il faut se reprendre. Donc souffrons pour nous reprendre. Souffrons pour réagir. Et lorsque nous aurons donné cet effort de la réaction, peut-être trouverons-nous une espèce de jouissance. C’est ainsi que j’interprète ces aphorismes. Avec une notion comme " action " et " réaction ", on a un instrument pour donner un rôle à ce que l’on pourrait nommer, un peu grossièrement, le négatif. Le négatif devient positif, ou le négatif devient acceptable, dans la mesure où il suscite la réplique. Donc, vive la douleur, vive la fatigue puisqu’il faut y répliquer, et que y répliquer donne un sentiment agréable.

- Ce n’est pas la même chose que la vertu rédemptrice de la souffrance dans le christianisme?

- Bonne question, me semble t-il. C’est un peu la même chose. Car, chez Novalis, l’influence de la pensée religieuse piétiste et l’idée de la rédemption par la souffrance est très présente.

- Jean Starobinski, dans l’héritage de Bichat, vous citez Claude Bernard qui, lui, dit que la vie c'est pas seulement " réaction ", mais c’est "création"…

- Oui, les réactions sont créatrices. Au fond, l’idée de " réaction " est acquise déjà pour Claude Bernard. Il ne l’invente pas. Elle fait partie du langage scientifique. L’important pour lui, c’est de considérer le rapport de l’être vivant et de son milieu. La grande intuition de Claude Bernard -et il a été l’expérimentateur de ces intuitions, l’admirable expérimentateur de ces intuitions- c’est que nous sommes placés, non seulement en face d’un milieu extérieur qui peut devenir destructeur et que nous devons surmonter, avec lequel nous devons trouver notre équilibre, mais qu’il y a en nous un milieu intérieur ; les humeurs de notre corps. Ce milieu intérieur, il faut le maintenir stable. D’où, disons, une sorte de dialectique des équilibres dont finalement la vie doit être leur donatrice. Et dans cette réponse que notre organisme donne aux sollicitations des divers milieux, une évolution peut se produire. Ce sont là des considérations qu’il étend au fonctionnement nerveux. Il envisage la vie nerveuse, les réflexes -le terme est déjà bien établi- dans le sens d’une adaptation aux conditions de la vie. Et c’est l’adaptation qui est créatrice de nouvelles ressources pour le vivant.

- Plus tard, à la fin de ce chapitre, vous citez toute une cohorte de savants et de chercheurs, dont le très célèbre Pavlov, qui, lui alors, théorise cette idée d’ " action " et de " réaction " sous la forme du réflexe.

- Oui, le réflexe conditionné. Tout à fait. A ce moment-là, disons, dans la méthode que j’ai suivie, je rencontre un problème. D’un côté, il y a la tentation d’exposer des doctrines et d’étaler, si j’ose dire, les systèmes scientifiques. D’un autre côté, comme je veux faire de ce livre un livre transdisciplinaire qui ne s’attarde pas à une seule discipline, la biologie par exemple ou la physique, je dois rester allusif ; mon propos étant de montrer dans quelles circonstances et à quel moment le mot a fait intrusion dans le vocabulaire spécialisé d’une science. A quel moment, nous le verrons plus tard, le mot a pénétré dans le langage du roman ; et c’est pour cela que nous verrons qu’il y a un chapitre important sur Balzac. A quel moment le mot est entré en psychologie, d’où le chapitre sur l’abréaction chez Freud et Breuer, le premier texte psychanalytique, non sans avoir déjà appartenu à toute une psychologie des rapports de l'âme et du corps.

- Ce que nous voyons apparaître, d’ailleurs, Jean Starobinski, à la fin de ce chapitre consacré à la vie réagissante, c’est qu’il y a une action de l’âme sur le corps, des états psychiques sur le physique, une naissance de la psychosomatique en fait ?

- Oui, la psychosomatique est là, bien présente dans les dictionnaires, dans les traités du début du XIXe siècle, avec encore un certain dualisme. L'âme et le corps sont des substances différentes, c’est un héritage de Descartes. Mais on se tromperait à croire que la psychosomatique est une science tout à fait moderne. Elle a des lettres de noblesse et d’antiquité qui se sont affirmées déjà plutôt encore, mais qui se sont marquées doctrinalement au début du XIXe siècle. Je me suis plu à montrer, chez des médecins comme Delpit ou Bricheteau, auteurs d’articles très influents dans les dictionnaires de médecine qui fleurissaient au début du XIXe siècle, toute une casuistique du rapport médecin-malade , puisque la maladie dépend très souvent des rapports de l’âme et du corps, et que le médecin peut exercer une influence sur le malade, réagir sur le corps du malade, à travers sa propre parole. L’idée d’une thérapeutique par la parole du médecin est fortement affirmée, au début du XIXe siècle. C’est la préhistoire, si vous voulez, de la psychosomatique moderne, mais elle est déjà très maîtresse d’elle-même, cette psychosomatique élémentaire du début du XIXe siècle, et j’ai tenu à marquer, par des citations, l’importance de ces convictions.

- Vous citez d’ailleurs des textes qui montrent le médecin dans un rôle quasiment chamanique où il a tout pouvoir pour transformer les souffrances du malade par une sorte d’apparition magique…

- Oui. La parole est douée d’une puissance -dans ces théories- extraordinaire. Ce sont des paroles simples. Ce sont quelquefois des promesses, des garanties, des demi-mensonges, mais le médecin prend une figure de prêtre de Dieu capable de modifier une destinée.

- Jean Starobinski, " action et réaction ", c’est le titre du livre que vous venez de publier aux Editions du Seuil et que nous sommes en train de décortiquer depuis deux jours. Nous parlerons, demain, de l’abréaction, c’est-à-dire de ce concept trouvé par Freud, dont nous fêtons , en fait, le centenaire.

 

Domaine parlé : Une émission d’Alphonse Layaz
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Page créée le 09.10.01
Dernière mise à jour le 09.10.01

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