- Professeur Starobinski, depuis trois
jours, nous explorons " Action et réaction, vie
et aventures dun couple ", cet essai que vous venez
de publier dans la collection La Librairie du XXe siècle,
aux Editions du Seuil. Nous avons vu comment ce terme a été
utilisé en physique, en chimie, puis, par la médecine,
la psychanalyse . Ça nous amène aujourdhui
à parler littérature, à voir comment
les poètes se sont emparés de ce mot, car les
termes scientifiques errent parfois et connaissent une destinée
au-delà de leur acception strictement scientifique.
- Cest ce qui se passe presque
dans la règle. Le succès de la pensée
de Newton, de sa géométrie, comme on disait
-qui était une grande physique qui permettait de décrire
les mouvements des planètes et des astres; qui permettait
de calculer les mécaniques que l'on allait construire-
le succès de Newton a eu un retentissement énorme.
Les mots qui sattachent à un grand système
physique sont souvent des mots qui résument le système;
des mots qui retombent aisément dans la langue commune.
Alors ils appartiennent à tout le monde, et tout le
monde peut sen servir métaphoriquement, avec
une compréhension plus ou moins précise du système
auquel ils renvoient. Un mot comme " réaction
", qui est finalement le compagnon du mot " action
" dont on se sert quotidiennement, était destiné
à circuler très largement, mais aussi à
être accaparé par des gens qui se prétendent
des savants; des gens qui prétendent avoir eu une intuition
au moins aussi profonde que celle que Newton a eue en voyant
tomber la fameuse pomme et qui proposent des systèmes
du monde, quelquefois tout à fait imaginatifs, mais
sans réalité scientifique, ni expérimentale
; sans preuve de vérification. Le cas le plus flagrant,
cest celui dAnton Mesmer, linventeur du
magnétisme animal qui a eu un succès prodigieux
et qui na jamais manqué de dire quil faisait,
dans lordre des rapports parmi les vivants et de la
médecine, la même chose que Newton dans la physique.
Nous assistons à des phénomènes du même
genre aujourdhui, que Messieurs Sokal et Bricmont ont
dénoncé, dune façon que je crois
fort saine, mais sans se rendre compte quil sagit
là dun phénomène linguistique pour
ainsi dire inévitable.
- Vous lanalysez, vous, chez Balzac
particulièrement, mais aussi chez Edgar Poe
- Oui, je lanalyse dabord
chez quelques illuminés de la fin du XVIIIe siècle.
Je pose quelques questions qui me paraissent essentielles.
Je crois que nous avons dit, au cours de nos précédents
entretiens, quà un certain moment, la langue
commune et la langue de la science bifurquaient. Mais cest
dans cette langue commune quécrivent les poètes.
Cest dans cette langue où il faut faire partager
des sentiments, des émotions . Les poètes ont
eu limpression -fort juste, à un certain moment
- que la vérité leur échappait puisquelle
était, maintenant, celle quénonçaient
les scientifiques. Il y avait désormais deux langages
et les poètes, pour les nommer dun seul nom,
ont eu le choix entre deux réactions, cest le
cas de le dire, ou bien se montrer hostile à la langue
scientifique, la désigner comme la responsable dun
véritable ravage, dun désenchantement
du monde -et certains poètes français, anglais,
ou des hommes en France comme Senancour ont opéré
ce geste-là, de dénonciation de la science-
ou bien poursuivre une espèce de récupération
des idées scientifiques, mais en leur donnant une dimension
poétique. Evidemment, de la part des poètes,
il y a là une sorte dusurpation, mais en même
temps, cest une façon daller plus loin
dans la poésie, dessayer de réunifier
le monde, de récupérer une vision globale du
monde. Mais tout cela se passe dans lunivers séparé
de la littérature.
- André Chénier la
fait
-André Chénier la
fait remarquablement, mais dabord dans leuphorie.
Il était heureux que se constitue une explication du
monde que nous pouvions accueillir dans notre raison. Il y
a une joie de savoir que le rapport entre les corps qui circulent
dans le monde est un rapport raisonnable. Jai pu trouver
quelques vers de Chénier qui expriment cette joie raisonnable
devant un monde raisonnable. Cest une joie presque beethovénienne.
Il écrit ceci :
Je vois lêtre et la vie
et leur source inconnue,
Dans les fleuves déther tous les fleuves roulants;
Je poursuis la comète, aux crins étincelants,
Les astres et leur poids, leurs formes, leurs distances;
Je voyage avec eux dans leurs
cercles immenses.
Comme eux, astres, soudain je mentoure de feux,
Dans léternel concert je me place avec eux;
En moi leurs doubles lois agissent et respirent;
Je sens tendre vers eux mon globe quils attirent.
Sur moi qui les attire ils pèsent à leur tour.
Leurs doubles lois cest laction
et la réaction, cest lattraction et la
répulsion. Soudain le poète sest transformé
en une espèce dastronaute ou de corps céleste
qui entre dans le concert des corps qui circulent dans lunivers.
- Jean Starobinski, est-ce que ça
névoque pas ce qui se passera une centaine dannées
plus tard, c'est-à-dire ces écrivains de la
fin du XIXe siècle, visionnaires, utopistes, qui eux
aussi ont limpression de faire partie dun tout
?
- Absolument, le rêve de navigation
céleste est là, présent, dans un élan
tout imaginaire. On le retrouvera chez Victor Hugo. Il y aura
toute cette imagination dune conquête de lespace,
au-delà des horizons bornés de la terre, qui
est déjà présente au XVIIIe siècle,
mais sans la notion qui deviendra si importante au XIXe siècle,
que la réduction scientifique de toute chose à
des lois calculables représente un danger.
- Balzac, avec Louis Lambert, explore aussi
les zones dangereuses
- Balzac, lui, était séduit
par la pensée quasi délirante de Swedenborg.
Une pensée dans laquelle les esprits étaient
partout, les anges partout. Balzac sest projeté
dans la figure dun enfant génial quil appelle
Louis Lambert qui a des intuitions spirituelles et même
un système philosophique. Dans ce système philosophique,
laction et la réaction jouent un rôle capital.
Il y a un système de forces duales qui sopposent
ou qui doivent se combiner. Or, pour lui, pour Louis Lambert,
pour Balzac, laction, cest le mouvement spirituel
direct qui va vers la vérité des choses. Et
tout notre rapport au monde, aux objets solides qui nous résistent
et quil faut surmonter, sappelle, dans le système
de Balzac, la " réaction ". Ce personnage
de Balzac, qui est un peu son double, devient fou. Et pourquoi
devient-il fou ? Parce que chez lui, l action, cest-à-dire
lintuition spirituelle, est si prédominante quil
perd contact avec le monde. La dernière vision que
le narrateur - qui est une autre figure de Balzac - a de cet
ami denfance, cest celle dun fou immobile
dans une chambre obscure, veillé par une jeune femme
dévouée. Il est immobile comme un schizophrène
; il frotte automatiquement, dune façon stéréotypée,
une jambe contre lautre avec un affreux bruit car il
est devenu terriblement maigre ; il regarde dans le vide et
répète un seul mot : les anges sont blancs .
- Un excès de réaction peut
aussi provoquer la mort comme dans la nouvelle " Adieu
", du même Balzac ?
- Oui, chez Balzac, qui est un écrivain
des dynamismes de lêtre vivant, des forces en
conflits, il y a aussi des réactions; cest-à-dire
des retours à la réalité dans lesquels
les forces se dépensent jusquà se perdre,
se dissiper. Dans une nouvelle qui sappelle " Adieu
" et qui est aussi lhistoire dune folie,
une jeune femme est devenue folle parce quelle avait
été séparée de son amant dans
la campagne de Russie. On essaie de la rendre à la
raison, et la méthode quon adopte, cest
de reconstituer autour delle, artificiellement, le paysage
de la campagne de Russie, pour quelle revoie cet amant
qui est toujours vivant et quelle le reconnaisse. Lopération
réussit si bien quelle le reconnaît; elle
revient à la réalité; elle voit que tout
est là, de nouveau; que tout lui est rendu, mais cela
provoque en elle une telle émotion, quelle en
meurt. Quelle dépense tout ce quelle a
de vie.
- Parfois, lobscurité
gagne, cest ce que dit Goethe, par exemple, que vous
citez aussi, qui refuse dabord le terme de " compositeur
" parce que cette idée de composer, cest-à-dire
de mettre ensemble des morceaux, lui semble insuffisante pour
décrire le travail de lartiste et qui introduit
cette idée de refoulement.
- Goethe est un grand précurseur
de Freud. Il introduit beaucoup des mots quadoptera
Freud. Dun autre côté, dans sa vision de
la nature - car cest aussi un grand naturaliste, un
grand interprète du monde naturel- il veut donner à
la vie, aux battements de la vie, aux interactions de la vie,
une prééminence sur tout ce qui serait la décomposition
mécanique. Alors il fait de Newton sa tête de
turc; aussi bien le Newton qui décompose les couleurs
par le prisme que le Newton de la géométrie
calculée. Il ne sait pas que Newton le précédait
dans des recherches sur les forces qui animent les petits
corps. Il y a tout un côté alchimiste de Newton
qui refait surface. Quand on a connu enfin tous les manuscrits,
toute la recherche gardée secrète par Newton,
il y avait de quoi le réconcilier avec Goethe. Mais
Goethe bagarre contre Newton, pour faire prévaloir
une vision végétale et vivante de lunivers.
Son intérêt pour les plantes, la métamorphose
des plantes, son intérêt pour la morphologie
animale est une grande protestation contre tout ce qui serait
analytique et tout ce qui serait décomposition. Pour
lui, il faut quil y ait, certes, analyse, mais il appelle
de ses vux une immense synthèse. Et cette synthèse,
dont jai parlé dans ce chapitre, elle se symbolise
dans limage du cur battant. Cest léveil
de Faust, au début du second Faust, sentant battre
le pouls de la nature, et repartant pour dautres aventures
après la mort de Marguerite.
- Mais, Jean Starobinski, est-ce quil
y a un principe directeur derrière ce grand pouls de
la nature ?
- Quelquun, qui est Edgar Poe,
a essayé dimaginer, de deviner cela. Cest
pour cette raison que luvre de Poe est émouvante.
Il faut lire sa grande spéculation cosmologique qui
est bien entendu périmée et qui sappelle
" Eureka " . Ça a été la grande
idée de la fin de sa vie qui la exalté,
quil a exposée en faisant des conférences
de trois ou quatre heures, lisant son texte. Il est mort,
peut-être dans livresse, daprès ses
biographes. L' intuition de Poe est la suivante : il y a une
divinité qui est immatérielle, qui est un point
et rien quun point -et pas de monde. Cette divinité
explose, crée la matière, crée le monde,
et devient une vaste expansion. Mais lexpansion nest
pas illimitée, elle rencontre la réaction. Cest
là que Poe fait intervenir la notion de " réaction
". Et tout va lentement, dans une espèce de catastrophe,
retomber vers le point central qui attire tous les morceaux
du monde. Si bien que, au bout dun certain temps, après
le big bang de latome primitif - car cest un véritable
atome primitif que cette divinité - tout retourne à
cet atome primitif, et ça recommence. De sorte que
cest un battement de cur, infini, éternel
qui explique la vie du monde.
- Qui prend en compte le bien et le mal
?
- Exactement ! Nous pouvons y reconnaître
notre propre cur. Mais est-ce que ce nest pas
une espèce de supplice éternel que cette vie
à nen plus finir ? Il y a un récit de
Poe, qui sappelle " Le cur révélateur
" où un personnage qui monologue et qui est un
criminel dit comment il a tué un horrible vieillard
qui n'avait qu'un seul il et qui le hantait. Il la
découpé en morceaux et il a répandu les
fragments sous le parquet. La police vient, mais le criminel
entend le battement dun cur qui ne cesse pas,
dans sa conscience ou sous le parquet, et finalement le criminel
explose en disant : " Oui cest moi qui ai tué
cet homme ! Arrêtez-moi ! ". Cest une nouvelle
hallucinée dun supplice, finalement dun
crime ; et ce battement éternel est aussi le battement
dun maléfice. Allez donc savoir si le monde,
avec son cur qui bat indéfiniment, est un monde
heureux ou pas. Laissons à Poe son tourment. Cest
une très belle uvre, une très grande uvre.
Et les traductions de Baudelaire
on comprend que Baudelaire
en ait été fasciné et y ait passé
tant de temps.
- Justement, je voulais vous demander si
Baudelaire avait fait siennes ces conceptions ?
- Il en a peu parlé finalement.
Il na pas adopté cette image du monde. Quant
à limage du cur battant, telle que Poe
lavait exposée, elle a profondément impressionné
Claudel, qui la transportée dans une vision beaucoup
plus orthodoxe du monde, une vision thomiste et surtout une
vision de la créature humaine. Lun des lecteurs
passionnés dEdgar Poe et de son " Eureka
", ce fut aussi Valéry. Cette image dun
battement de cur, dun grand battement qui anime
à la fois le cur dun être et le cur
de lunivers se retrouve jusque dans la jeune Parque.
Donc, il y a une influence à long terme de cette uvre
de Poe à laquelle je crois quil faut sintéresser
à lheure où nous avons des cosmologies
qui nous parlent aussi, il y a trois milliards dannées
ou davantage, dun big bang, dun cur qui
aurait explosé, mais pour une expansion peut-être
infinie.
- Et Mallarmé ?
- Mallarmé, lui aussi a été
fasciné par Poe. Et, sans doute, a-t-il rêvé
un moment dans cette direction dun cosmos. Finalement
cest le seul langage qui a subsisté pour la conscience
de Mallarmé, limage dune scintillation
dans le ciel et dune chambre vide que nous habiterions.
Mais Mallarmé a cherché son salut, si lon
peut dire, ou son réconfort, en allant ramer sur la
Seine, dans sa barque, et en allant rendre visite à
des amis imaginaires, le nénuphar blanc. On a limpression
que, finalement, tout sest recentré sur lhumain
et sur la parole humaine dans laquelle le battement, l
" action " et la " réaction " aussi,
pourraient être contenus. Jai appelé ça
le recentrement sur lhumain, en pensant à cette
image du battement cardiaque dans des applications qui ont
été jusquau discours théorique
de Klee, dans la fameuse conférence D'Iena. Paul Klee
a déclaré que son art voulait aller au plus
près du battement de lunivers, auprès
des vivants et des morts. Donc, nous avons là une grande
image qui est une métamorphose de laction et
de la réaction, et que jai tenté de suivre
dans ses derniers prolongements. Peut-être y en a-t-il
encore dautres; jinvite les lecteurs à
se mettre à laffût.
- Vous citez quand même Claudel qui
est un peu plus près chronologiquement
- Oui, Claudel, lui, a presque littéralement
transcrit des phrases de Poe, mais pour dire que notre vie,
notre espace nerveux est une " action " et une "
réaction ", une irradiation et un repli sur nous-mêmes.
Cest au niveau de la créature et des limites
quelle doit vivre quil a repris cette image pulsante,
dans " Art poétique ". Donc, nous avons là
tout un cur , si jose dire de poète, autour
des grandes images dEdgar Poe.
- Cette image, Jean Starobinski, du battement
du cur de lunivers est contrariée par celle
des Lumières, qui est celle dun progrès
?
- En effet, dans lespace dEdgar
Poe, tout se construit, se développe. Il y a une grande
évolution, mais vouée à une force contraire
que certains nommeront, au XIXe siècle, entropie. La
mise en ordre est suivie dun nouveau désordre,
mais dun désordre qui se reconcentre dans un
centre capable dexploser à nouveau. Doù
le battement éternel de ce cur divin qui est
aussi le nôtre, dont Poe parle dans " Eureka ".
Ça a été pour moi une exploration assez
vertigineuse dans des textes. Je les ai écoutés,
transcrits, communiqués du mieux que je pouvais, avec
le sentiment que, peut-être, des lecteurs partiront
à leur tour à la recherche de cette aventure
de l " action " et de la " réaction
", de ce couple.
- Mais pensez-vous que, actuellement,
ce type de rejet, ce type de représentation, aient
encore lieu ?
- Je suis fermement partisan de ce
que jai appelé le recentrement sur lhumain
parce que cette représentation naît de notre
expérience corporelle. Elle naît du sens qui
est le nôtre lorsquil sapplique à
écouter battre notre propre cur. Là est
la vérité première de ces images. Si
je les projette sur lunivers entier et que je crois
que cest la vérité de lunivers,
je maventure dans une spéculation de type "
New Age ", sans aucun fondement -satisfaisante pour apaiser
peut-être quelques angoisses, ou pour en susciter, mais
sans vérité -. La vérité est dans
lexpérience intime qui est toujours première,
qui est toujours là, qui est une évidence et
qui nest pas une grande idée explicative par
laquelle jimpressionne un auditoire qui ne demande quà
se laisser impressionner. Que chacun revienne à cette
intuition de soi, dans quelque chose qui serait comme une
naturalisation intime de l " action " et de
la " réaction ", ce couple, cette alternance.
Alors, au lieu de projeter sur lunivers cette alternance,
ce couple, ce yin et ce yang -il y a eu des intuitions au
cours de diverses cultures, de diverses civilisations- cest
en nous-mêmes que nous en vérifions la validité.
- Ce qui veut dire, Jean Starobinski, le
renoncement à une transcendance ?
- Peut-être pouvons-nous garder
le sentiment que cela existe. Que cest là. Que
cest donné. Que nous ne lavons pas créé
nous-mêmes, que nous lavons reçu. Et ce
qui donne est une transcendance. Le pouvoir de donner est
un pouvoir transcendant. Cest ce que jai essayé
de faire entendre tout à la fin de mon ouvrage intitulé
" Largesse " . Il faut manifester une gratitude
envers ce qui nous donne à nous-mêmes, ce qui
est une grande donation de lêtre, cet être
fragile qui est le nôtre, mais qui est quand même
un être donné. La transcendance est peut-être
derrière nous, dans notre dos, dans nos sensations
les plus banales. Quant à lunivers, je crois
quil faut garder une confiance inébranlable dans
les procédés dune science qui vérifie
ses conjectures; qui les formule dans la langue des mathématiques
; ce qui est le cas depuis Galilée, et qui les vérifie,
qui les met à lépreuve, qui les falsifie,
qui essaie de prouver que ce nest pas falsifiable, que
ça ne peut pas être démontré faux.
Il y a donc là une discipline de la raison qui va de
lavant et qui modifie limage du monde au fur et
à mesure. Relativiser la science, à la bonne
heure, cest toujours le travail dune humanité,
dun homme, déquipes, à un moment
donné dans une société donnée,
mais le caractère expérimental de la science,
et surtout lexpérimentation qui aboutit à
la mise en uvre dun appareillage qui exploite
laction et la réaction. Des scientifiques, pour
envoyer des vaisseaux, ou des messages, à travers lespace
cosmique, et bien, je puis donner mon assentiment, essayer
de comprendre, faire confiance, tout en demandant au poète
de récupérer en moi cette expérience
de la vie naissante qui nest peut-être pas à
ce point accessible à lexploration rigoureusement
rationnelle et calculée. Cest une des leçons
du livre. Tout à la fin, jen arrive à
lopposition de lexpliqué et du comprendre.
Expliqué par les enchaînements de causalité.
Et, comme nous lavons vu, laction et la réaction
a été dans lhistoire intellectuelle, lexécuteur
des hautes uvres de la causalité. Sil y
a une causalité, il faut me dire comment elle agit,
et laction et la réaction ont été
chez Newton et chez ses successeurs - et ça sest
beaucoup compliqué depuis lors - le grand agent explicatif.
Cela, cest très bien que ça se soit passé
; il ne faut pas le récuser. Quon se garde de
le récuser. Mais dun autre côté,
il y a le choix que je fais à partir de mon existence,
de procéder rationnellement, dexpérimenter
avec la nature telle quelle se donne. Ce choix je le
fais dans une vie derrière laquelle je ne peux pas
placer une causalité qui la soutiendrait. Cest
mon expérience dhomme libre qui fonde la science.
A partir du moment où la science existe, elle peut
expliquer, par les gènes ou par des séries causales,
le fait que je sois là, mais jai dabord
choisi la science pour mexpliquer. Je ne suis pas poussé
dans le dos par des forces que jaurais établies
dans le travail scientifique.
- Jean Starobinski, nous sommes aujourdhui
dans des sphères assez hautes, dans celles des poètes
; demain nous irons voir ce qui, dans ce couple " action
", " réaction " est pour nous plus courant,
le terme " réactionnaire ", cest-à-dire
les applications politiques. Merci.
Domaine parlé : Une émission
dAlphonse Layaz
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Dernière mise à jour le 09.10.01
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