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L'invitée du mois

  Michèle Stroun, fondatrice des Editions Metropolis à Genève

15 ans d'édition ou de la difficulté de rester indépendante, telle pourrait être ma définition de la maison d'édition que j'ai créée en 1988. J'ai le sentiment de l'avoir érigée avec mes mains, lentement, brique par brique, sans me préoccuper des modes, sans savoir au départ exactement où cela me mènerait, avec des choix personnels et un refus obstiné de vendre de la soupe, parce que je suis incapable de lire la soupe et qu'il m'est impossible d'éditer des livres où je ne trouve pas un plaisir à la lecture, qu'il soit littéraire ou intellectuel. Je me suis ainsi octroyé un luxe impossible, publier les livres que j'aime, auxquels je crois et qui je l'espère, défendent une certaine humanité, mais bien sûr, problèmes économiques obligent, pas tous ceux que j'aurais aimé. Comme tous les éditeurs, vous l'aurez compris, j'ai l'illusion que les quelque 160 titres de mon catalogue resteront des livres de fond, comme on les appelle, des « long sellers », comme dit mon diffuseur Alain Lèze, à défaut de « best sellers ». Habiter une petite ville entravée par des montagnes a des avantages : on parvient à échapper à la concentration des grands fiefs de l'édition poussés par le profit et l'obligation de produire toujours plus, de même qu'aux modes et marottes sans grand intérêt du moment. (Car Metropolis est restée une petite structure : deux personnes, quatorze livres par année). Mais le désavantage des endroits confinés, c'est qu'on est loin et toujours plus éloigné de cette énergie créatrice qui anime certaines grandes métropoles. Cependant, on y connaît vite beaucoup de monde, ce qui est très agréable et rend la vie plus facile ; mais gare à cette proximité qui peut conduire au drame quand il s'agit de refuser le texte d'un ami ou d'une connaissance, car sachez qu'il faut bien plus de courage qu'il n'en paraît pour refuser ce texte, c'est même parfois suicidaire quand il s'agit d'une femme ou d'un homme de pouvoir et cependant toujours consciente que d'autres éditeurs pourront le prendre.

Voilà en guise de préambule.

Pour en venir aux choses plus concrètes, le catalogue Metropolis s'est construit autour de la littérature francophone, (pour moi, il y a les livres intéressants, bien écrits, qui sont hors des chemins battus, des livres qui ont une voix, un ton, que je lis sans me sentir obligée de me référer à des catégories régionalistes ou autres définitions chères à certaines chaires universitaires spécialisées, par exemple, dans la littérature romande). Proust ne disait-il pas qu'on reconnaît un grand écrivain à ce qu'il écrit dans une langue étrangère ? Dans L'Echappée Belle au chapitre : Voyage, écriture, altérité, Nicolas Bouvier donne une leçon magistrale de ce qu'est la littérature en parlant lui aussi du langage, et en particulier des mots. Citant Kurt Vonnegut, il note cette phrase : « Good writers are burglarproof » (les bons écrivains sont incambriolables). Alors qu'ils ou qu'elles soient genevois-e-s, parisien-ne-s ou haïtien-ne-s, n'a guère d'incidence sur la qualité de l'oeuvre. Si je me suis très vite tournée vers la littérature étrangère, c'est d'une part, parce que la plupart des livres en français qui nous parvenaient ne nous enthousiasmaient pas, mais aussi parce que j'ai de la peine à rester emmurée dans une seule culture. Chaque langue porte en elle sa vision du monde et nous oblige à revoir notre compréhension du monde. C'est ainsi que nous avons traduit des auteurs de langues aussi diverses que l'anglais, l'arabe, le grec, l'hébreu, le yiddish, le brésilien, etc. Notre collection « Histoire » traite principalement de problèmes contemporains, avec des incursions dans d'autres siècles et d'autres domaines, et en particulier, grâce à Nathan Weinstock, le yiddishland. La collection « Femmes » fait une large place aux ouvrages féministes. Car il ne fait aucun doute que le plus grand bouleversement de la deuxième partie du 20e siècle dans notre monde occidental aura été l'accès des femmes à la cité. « La Cuisine de mes souvenirs » est une tentative d'introduire dans la culture francophone une approche ethnologique, sociologique, historique et même littéraire de la cuisine qui existe dans la culture anglophone. La cuisine est souvent l'unique lien qui nous relie à nos racines, mais c'est aussi l'histoire de toutes les civilisations et nous permets de faire le tour du monde. La dernière née de nos collections, « Les Oubliés », est dirigée par l'auteur américain Jerome Charyn et reflète le désir de faire revivre des textes de qualité abandonnés depuis longtemps. C'est aussi une manière de faire découvrir la bibliothèque personnelle d'un auteur.

Il y a neuf ans, Véronique Bonvin a rejoint les éditions Metropolis. J'ignore ce que serait devenu la maison sans elle, mais je sais que nous avons l'immense privilège de travailler ensemble dans une parfaite complicité.

Pour les 15 ans, nous sortons un ouvrage collectif : Manuscrits en quête d'éditeurs. Douze auteurs ont prêté leur plume : Charaf Abdessemed, Fernand Auberjonois, Marie Christian, Marie Gaulis, Daniel Gliinz, Vahé Godel, Raphaël Kalmy, Ernest Mignatte, Thérèse Moreau, Pascal Nordmann, Esther Orner, Liliane Roskopf. Les douze textes réunis, qui se lisent comme un roman d'aventure en douze nouvelles, ne sont pas un « guide pratique pour aspirants écrivains », mais laissent entrevoir, d'une manière toujours très personnelle et singulière, parfois même chaotique, les aléas, pas toujours glorieux, du métier d'écrire et de ses nombreux mirages.


Editions Metropolis
1, rue Pedro Meylan
1208 Genève
editions_metropolis@bluewin.ch
www.editionsmetropolis.ch

 

Page créée le 28.04.03
Dernière mise à jour le 28.04.03

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