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L'invité du mois
utopod
podcast francophone des littératures de l’imaginaire

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D'abord, Marc Tiefenauer et Lucas Moreno sollicitent des auteurs qu'ils aiment. Des auteurs francophones de science-fiction, de fantastique et de fantasy . Ils prennent contact avec eux et leur demandent des récits inédits ou choisissent des nouvelles déjà parues. Les textes sont ensuite lus à haute voix et enregistrés. L'enregistrement, en format MP3, est mis en ligne sur Internet. Chacun est libre de se rendre sur ce site, de télécharger des enregistrements ou de s'abonner — gratuitement — et d'écouter les textes sur son baladeur MP3 ou son ordinateur quand il le veut. Tous deux professionnels de la communication et de l'édition, Lucas Moreno et Marc Tiefenauer tiennent beaucoup à la qualité tant littéraire que technique.
C'est le principe d'utopod (www.utopod.com), premier podcast francophone à offrir des lectures de nouvelles relevant des genres de l'imaginaire. Et l'un des premiers podcasts littéraires tout court en francophonie, du moins sur l'ancien continent. Une expérience qui intéresse Culturactif.ch à la fois pour ses dimensions techniques et son état d'esprit, mais aussi bien sûr par ses contenus : la science-fiction et les littératures dites « de genre » n'accèdent que rarement à nos pages. Or les créateurs d'utopod entendent battre en brèche des préjugés qui ternissent l'image de ces littératures foisonnantes, plus inventives et moins commerciales qu'on ne le croit trop souvent.

 

  Entretien avec Marc Tiefenauer et Lucas Moreno (par Francesco Biamonte)

 

utopod

Marc Da Cunha Lopes
Eikasia ( www.aisakie.com), 2008

Vous dites sur votre site avoir trois genres de prédilection : la science-fiction, le fantastique et la fantasy. Pouvez-vous esquisser les différences entre ces genres, en particulier la fantasy, moins bien connue de nos services ?

Lucas Moreno : Un auteur m'a une fois raconté une petite histoire qui répond à merveille à votre question. Je la cite de mémoire. Si mon chat me parle et que je m'écrie « Incroyable, il parle ! », je suis dans le fantastique : l'insolite fait incursion dans un monde normal.

Si je considère la chose comme banale, je suis dans la fantasy : c'est un univers qui relève complètement du merveilleux (les chats parlent, les chiens parlent, les dragons crachent du feu, etc.). Si le phénomène est dû au fait que l'on a greffé à mon chat un dispositif nanotechnologique lui permettant de parler, je suis dans la science-fiction : l'explication est rationnelle, mais elle ne correspond pas au monde d'aujourd'hui et n'est rendue possible que par une conjecture — dans ce cas, la possibilité que de tels dispositifs existent. Pierre Versins, fondateur de la Maison d'Ailleurs d'Yverdon, a abondamment théorisé la science-fiction et l'a définie ainsi : « conjecture romanesque rationnelle ».

Vous ajoutez que vous restez ouverts aux genres apparentés, tels que le réalisme magique, l'horreur, l'étrange… C'est un champ en somme extrêmement large. Qu'est-ce qui réunit ces genres ?

LM : Nous recherchons un côté étrange, décalé par rapport à la réalité, bizarroïde, typique de ces littératures dites « de genre ». Les contours de ce qui nous intéresse sont flous, mais il existe un public qui s'y reconnaît : c'est une communauté. Il y a souvent communion de goût entre les gens qui aiment l'horreur, la science-fiction, la B. D., le polar, le fantastique, bref ce qu'on pourrait appeler les « mauvais genres », comme l'indique le titre de l'émission radiophonique de François Angelier sur France Culture.

Marc Tiefenauer : Les lecteurs de ces littératures sont prêts à l'étrangeté et apprécient certaines contraintes. Par « contraintes » j'entends les règles de ces genres, comme on en trouve aussi, par exemple, dans le polar.

Ces contraintes sont-elles ce que d'autres, moins favorables à ces littératures, pourraient qualifier d'ingrédients ou de figures imposées ?

LM : L'exemple du chat est parlant. En s'inscrivant dans un genre, l'écrivain passe un contrat tacite avec son lecteur. Ce contrat détermine effectivement les règles de l'univers du livre, et il concerne aussi l'ambiance, le ton, le langage. Cela dit, une fois le cadre établi, la liberté de création littéraire est illimitée, donc je ne crois pas qu'on puisse parler de « figures imposées ».

La science-fiction me semble être un genre généralement déconsidéré ou simplement méconnu dans les milieux littéraires…

MT : Cette image de la science-fiction a effectivement cours. Est-ce une situation spécifique aux pays francophones ? La SF est en tout cas mieux considérée dans les pays anglo-saxons. Il me semble que le monde francophone dresse une forte hiérarchie littéraire, qui ne correspond pas à la hiérarchie de cœur des lecteurs. La poésie jouit ainsi d'une haute estime, mais elle n'est que peu lue. La SF est peu estimée, mais de fait elle est omniprésente, comme la fantasy.

LM : La SF a contaminé le monde de tous les jours. Elle est présente dans tous les domaines de l'art — avec un décalage temporel important : ce qu'on voit au cinéma est très dépassé par rapport à ce qui s'écrit aujourd'hui —, mais aussi dans la publicité. Pour rendre compte du rapport de l'être humain au monde qui l'entoure, de plus en plus technologique, la SF est un outil privilégié. Elle parle en réalité de notre monde, et pas d'un monde fictif. Elle n'est pas simplement un divertissement basé sur des postulats. Elle est une sorte de laboratoire pour mieux comprendre notre monde.

MT : C'est particulièrement évident dans certains sous-genres. Comme dans le « cyberpunk » : le monde, dans un futur proche, y est à peine modifié par des évolutions technologiques ou politiques. Ou alors dans ce qu'on appelle la « Singularité » : c'est un registre plus récent dans lequel on explore un monde futur où l'avènement des intelligences artificielles fortes aurait donné lieu à une accélération radicale du progrès scientifique et technologique, un monde où tout serait devenu possible, de la téléportation quantique à la vie électronique post-mortem en passant par les voyages supraluminiques. Au fond, ces registres offrent des manières d'appréhender le quotidien.

J'ai été frappé par le ton juvénile de la présentation d'utopod, en particulier dans le premier épisode, dans lequel vous présentez le projet : votre public cible a-t-il un âge ? Ces genres, la SF en particulier, ne sont-ils pas historiquement liés à la littérature pour la jeunesse (si on pense à des classiques comme Jules Verne, Conan le barbare …) ? La science-fiction est-elle un genre pour jeunes ?

LM : Je suis surpris par votre remarque : on nous reproche plutôt d'habitude notre côté « pincé », lié en partie à notre manque d'expérience du micro mais aussi à notre volonté de produire une émission rigoureuse et de qualité, « irréprochable » en quelque sorte. Cela dit, il est vrai que nous sommes un peu plus décontractés que certains animateurs des grandes chaînes de radio. Le ton d'utopod n'est pas lié à un public cible, mais à la communauté science-fictive dont nous parlions à l'instant. Il y a un esprit communautaire chez les amateurs de SF, qui aiment se rencontrer, entrent facilement en contact les uns avec les autres de manière décontractée, comme on le constate dans les festivals de science-fiction. Ce ton est peut-être aussi lié à la technologie du podcast, qui permet de produire des émissions avec moins de moyens, sans hiérarchie institutionnelle et par conséquent avec plus de spontanéité. Je ne dirais pas que nous recherchons un ton forcément jeune, mais plutôt une attitude informelle. Sur le public cible, on peut encore dire ceci : utopod a un aspect presque militant. Notre projet naît aussi du désir de diffuser ici la technologie même du podcast, parce qu'elle permet de partager gratuitement de la création de qualité sur Internet. Dans ce sens, nous nous adressons évidemment à la génération qui a un baladeur MP3 sur les oreilles, c'est-à-dire les 15-25 ans, mais aussi à toutes les autres catégories d'auditeurs. Dans les faits nous n'avons pas beaucoup, à notre connaissance, d'auditeurs de moins de 20 ans.

MT : Peut-être les amateurs de ces genres font-ils preuve d'une capacité d'émerveillement particulière, d'une capacité de rêver éveillé. Il y a là une composante de l'enfance et de l'adolescence. Certains conservent à l'âge adulte ce rapport à l'émerveillement.

Vous insistiez sur la qualité ?

LM : Le public, surtout francophone, peut avoir de la SF une image de sous-littérature liée à une masse de production de qualité insatisfaisante sur le plan de la forme. Le Web gratuit véhicule souvent, lui aussi, une image de mauvaise qualité. Nous cherchons ce que j'appelle les trois Q : Qualité littéraire, Qualité sonore, Qualité de la lecture à voix haute. Cette qualité doit permettre de faire connaître nos genres de prédilection aux auditeurs. Un public exigeant doit y être invité.
Marc et moi travaillons depuis longtemps dans l'édition. Lui plutôt dans la publicité ; moi dans la traduction et la rédaction ; nous sommes tous deux des passionnés de littérature obsédés par la forme, par la syntaxe. Une des forces et une des spécificités d'utopod doit être là : proposer de la SF d'auteurs qui ont une plume très sûre et aguerrie.

La SF a souvent une image de genre commercial. En est-il vraiment ainsi ?

LM : En France, il y a peu d'auteurs de SF qui vivent véritablement de leur plume. Ils se comptent sur les doigts d'une main. Les tirages démentent eux aussi l'idée que la SF serait un genre commercial. En France, le premier roman d'un auteur de SF sera tiré au maximum à un voire quelques milliers d'exemplaires. En France, Dune est l'ouvrage a avoir connu le plus grand succès des collections SF en grand format  : autour des 120'000 exemplaires, si ma mémoire est bonne. On est loin des grands best-sellers.
(En France, à titre de comparaison, le Da Vinci code de Dan Brown s'est vendu à 1'200'000 exemplaires. Pour la seule année 2007, L'Elégance du hérisson de Muriel Barbery s'est vendu à 570'000 exemplaires. Une vente de 120'000 exemplaires sur une seule année placerait un livre en 15 ème position du classement annuel français, Ndlr)

La SF, dans la mesure où elle projette et interroge des angoisses et des espoirs technologiques de sa propre époque, risque-t-elle de vieillir moins bien que des genres dont les thématiques de départ seraient plus universelles ?

LM : Peut-être pas tant que cela. Le film Minority Report , de 2002, est basé sur une nouvelle de Philip K. Dick de 1956. Le même auteur a écrit dans les années 1960 beaucoup de livres autour de la notion de « réalité virtuelle », bien qu'à l'époque l'expression ne fût pas encore consacrée. Le film Matrix parle aussi de réalité virtuelle, donc d'un thème présent dans la SF depuis presque un demi-siècle.

MT : Si la thématique est bien saisie, peu importe que la technologie soit mal évaluée ou l'anticipation erronée. Il suffit de penser à 1984 , d'Orwell. L'année 1984 n'a pas ressemblé au roman ; mais le livre reste un classique. Il y a de nombreux livres de SF méconnus des « littéraires » qui sont certainement des chefs-d'œuvre ; ils travaillent sur la langue et mériteraient l'attention de tout amateur de littérature.

LM : Cela dit, vous n'avez pas entièrement tort : un roman de SF conjectural court, par essence, le risque de « mal vieillir ». Personnellement, je lis beaucoup de science-fiction de ce qu'on appelle « l'âge d'or », les années 1930 aux USA. Indéniablement, ça a souvent vieilli. Ça m'intéresse à cause de ma passion pour ce genre et son histoire ; mais un adolescent d'aujourd'hui ne crocherait peut-être pas sur ce genre de roman. Notez qu'il ne crocherait pas non plus sur la SF de pointe actuelle — il n'est donc pas étonnant que les films grand public d'aujourd'hui soient basés sur des textes déjà anciens. Il faudrait en outre nuancer votre question : toute la SF n'est pas basée sur les conjectures. On observe des tendances culturelles différentes à l'intérieur de ce vaste genre : la SF francophone est volontiers plus psychologique, plus intimiste, alors que la SF américaine est davantage centrée sur les conjectures (je schématise un peu pour les besoins du propos). Et il existe une incroyable pluralité de sous-genres à l'intérieur de la SF, du planet opera à l'« ethno-SF » en passant par le steampunk ou l'uchronie. Le genre va de textes qui évoquent plutôt le romantisme allemand à des livres qui ressemblent à des manuels d'astrophysique. Le grand public ne le sait pas. Ceux qui connaissent la SF par le cinéma ne peuvent pas avoir idée de la richesse et de la variété de cette littérature.

MT : D'ailleurs, on peut s'étonner de voir certains auteurs célèbres en dehors de la science-fiction acclamés par la critique pour avoir introduit dans leurs livres des éléments qui, dans la SF, sont courants. Ainsi Houellebecq ou Amélie Nothomb, par exemple. Eric-Emmanuel Schmitt construit un de ses livres sur l'hypothèse que Hitler, au lieu d'être recalé aux Beaux Arts, y est admis. C'est une technique très commune dans la SF, on appelle cela l'uchronie.

Marc Tiefenauer, vous animez également le site rimeur.net , consacré à la poésie romande. Vues de loin, vos deux passions littéraires semblent très éloignées, et leur rapprochement surprend…

MT : J'ai été marqué par un travail photographique de Bernd et Hilla Becher sur des complexes industriels, des châteaux d'eau ; cette contemplation de la machine, on peut la retrouver dans ce qu'on appelle le « steampunk », genre où l'admiration de l'artefact humain qu'est la machine joue un rôle important. Et puis, la poésie porte aussi son lot de clichés. Le grand public a tendance à croire que la poésie est forcément liée à la nature, aux fleurs… ce qui n'est bien sûr pas du tout vrai !

LM : Asimov's Science Fiction , une des grandes revues américaines du genre, consacre tout un volet de chaque livraison à la poésie science-fictive. L'extase contemplative est un élément important de la SF. Songez à l'émerveillement suscité par les fusées qui décollent en permanence dans Bienvenue à Gattaca , pour prendre un exemple qui a atteint le grand public par le cinéma. Ces scènes sont d'une beauté à couper le souffle ! Les genres de l'imaginaire n'excluent pas une sensibilité poétique, ni d'ailleurs un travail sur la langue.

MT : Nous parlions tantôt de la capacité d'émerveillement du lecteur de SF. On la retrouve chez les lecteurs de poésie.

Comment se portent les genres de l'imaginaire en Suisse ?

LM : Nous aurions répondu différemment il y a 5 ans. Le mouvement SF est encore très modeste en Suisse, mais ça commence à bouger. Suite à la fondation de la Maison d'Ailleurs à Yverdon, on avait assisté à un engouement qui est ensuite retombé. Mais fin 2002, quelque chose s'est remis en marche avec les Mercredis de la science-fiction à Genève, notamment : réalisateurs, poètes, essayistes, bédéistes, auteurs, scientifiques, journalistes, libraires ou tout simplement amateurs éclairés s'y expriment sur ces genres ; le public a entre 25 et 70 ans. Il est issu de tous les horizons culturels et professionnels, il comprend aussi bien des femmes que des hommes. Le même genre de rencontres existe aussi depuis quelques années à Lausanne. J'ai même essayé de lancer des soirées de ce type à La Chaux-de-Fonds, où je réside, mais la sauce n'a pas pris. Les littératures de l'imaginaire romandes comptent aujourd'hui bon nombre d'auteurs : Florence Cochet, Emmanuelle Maia, Hervé Thiellement, Jean-François Thomas, Olivier Sillig, François Rouiller ou encore Georges Panchard. Ce dernier, un Fribourgeois, a été le premier francophone publié dans la prestigieuse collection « Ailleurs & Demain » de Robert Laffont après 20 ans de domination anglo-saxonne ! C'était en 2005. Et il y a aussi une foule de jeunes auteurs romands qui commencent à publier dans des revues et des anthologies.

Utopod essaie de jeter des ponts entre les différents pôles d'activité francophones. Nous publions des Québécois, des Belges, des Suisses… et s'ils sont gentils, même des Français ! Grâce à Internet, on peut relier les continents avec une facilité déconcertante : alors que les maisons d'édition québécoises spécialisées SF sont très mal distribuées en Europe, il est très facile pour un site comme le nôtre d'accueillir des auteurs de là-bas : on envoie un e-mail à un éditeur ou à un écrivain québécois, il répond aussitôt… en quelques instants on peut décider de publier un de leurs textes.
Le podcast convient en outre particulièrement bien à l'édition de nouvelles, un format difficile à publier dans le monde francophone.

MT : C'est même là le premier des constats qui nous ont conduits à créer utopod : il n'y a guère de place pour la nouvelle en francophonie ; pour accéder à l'édition avec des nouvelles, il faut déjà être connu. Avant, les revues en publiaient, mais il n'y en a plus beaucoup. Donc un jeune auteur de nouvelles ne sait pas où publier ses textes, c'est aussi simple que ça.
En un sens, la nouvelle est déconsidérée dans le monde francophone, et utopod veut lui offrir une plate-forme.

Quelle est la situation actuelle du podcast littéraire, ici et ailleurs ?

LM : Notre podcast est unique dans le domaine francophone. Il y peut-être dix podcasts littéraires en tout dans la francophonie, et encore. Aux Etats-Unis, c'est bien différent : il y en a des milliers. Ici, ce type de média doit encore gagner ses lettres de noblesse et son public.

Le podcasting induit-il des nouveautés dans l'écriture ? Un auteur écrit-il autrement pour être lu à voix haute ?

MT : Jusqu'à présent, nous avons diffusé des textes originellement destinés à l'impression. Nous avons discuté cette question avec nos auteurs. Certains estiment qu'ils auraient écrit autrement pour une lecture orale. Et parfois, nous avons dû aménager les textes dans ce sens : intégrer des notes de bas de page dans le corps du texte ; rendre des dialogues plus faciles à comprendre en rappelant à chaque réplique qui parle, puisque les guillemets ne s'entendent pas…

LM : Nous aimerions revenir au feuilleton radiophonique d'antan, à des textes écrits dans la perspective précise d'être audio-diffusés, si l'occasion s'en présente.

Votre travail éditorial est-il concentré sur le choix et la présentation des textes, ou faites-vous aussi un travail avec les auteurs ?

LM : Nous faisons un vrai travail éditorial et discutons donc les textes eux-mêmes avec les auteurs. Pas toujours, bien sûr : certains textes ne le requièrent pas, et les contingences temporelles limitent parfois aussi notre travail dans ce domaine-là.

Pour le moment, votre podcast est entièrement bénévole, et vous souhaitez vous-mêmes le rester, mais en rémunérant les auteurs et les lecteurs…

LM : Nous avons d'abord cherché à nous développer, à préciser notre identité et à trouver une crédibilité, à travers la presse notamment, avant de lancer des demandes de soutien. Les premières demandes sont à présent parties. A terme, nous souhaitons payer au moins aussi bien que les revues papier.

Vous avez confié la lecture à voix haute à des professionnels, à des amateurs, à des auteurs, à vous-mêmes ; quel type de lecteur privilégiez-vous ?

MT : Nous privilégions les professionnels de la lecture. Les auteurs sont souvent de mauvais lecteurs. Il y a des contre-exemples, comme Claude Ecken, mais c'est le seul pour le moment à avoir lu son propre texte sur utopod. Nous préférons si possible faire appel à des professionnels qui soient non seulement comédiens mais aussi spécialisés dans la lecture, comme Rita Gay ou Jeanne Ferreux. Théâtre, cinéma et lecture sont des disciplines différentes. Le lecteur d'un texte littéraire doit rester assez neutre tout en maintenant une tension, happer l'auditeur sans dénaturer le texte. Dans les dialogues, c'est un travail encore plus particulier. Si le comédien a en plus la compétence informatique et le matériel nécessaire pour s'enregistrer seul, alors c'est l'idéal…

Du point de vue des droits, les textes lus sur utopod sont soumis à une licence Creative Commons. Cela signifie que quiconque peut reproduire ou utiliser les textes que vous mettez en ligne pour autant qu'il respecte trois conditions : pas d'exploitation commerciale, pas de modification du contenu et une mention claire de la paternité et de l'origine du texte. Une telle licence est-elle reconnue par les législations nationales ?

LM : Il y a un flou juridique, comme toujours avec Internet. Aux Etats-Unis, pourtant, le droit d'Internet avance… Creative Commons est la licence la plus évoluée du genre.

MT : Une telle licence est une manière de prévenir un usage commercial ou abusif de ces textes – en théorie, toute personne qui transgresse nos règles peut être poursuivie – tout en leur laissant un maximum de chances de circuler.

LM  : Nous faisons ce travail par passion. Nous apprêtons l'œuvre au niveau formel, mais ne retirons pas à l'auteur ses droits d'exploitation. C'est la mentalité même du podcasting. Et nous entendons dans un futur proche rémunérer décemment nos auteurs. Dans une revue, l'auteur ne gagnerait pas davantage, et il perdrait temporairement ses droits d'exploitation. A la radio, l'émission resterait strictement dépendante de la chaîne qui l'aurait produite.

Utopod fêtera dans quelques semaines son premier anniversaire. On peut essayer de tirer un premier bilan. Qu'en est-il de la fréquentation ? Et des retours d'internautes ?

LM : En termes de fréquentation, nous atteignons après 16 épisodes une moyenne de 1750 écoutes par épisode. Nous recevons des e-mails globalement positifs ; leurs auteurs sont souvent surpris d'apprendre qu'il existe de la SF francophone. Aux Etats-Unis, le courrier électronique fait partie intégrante du processus de podcasting : les auditeurs occasionnels et les fans écrivent souvent au producteur, qui lit parfois à voix haute les messages reçus et répond en direct aux questions et remarques. Aux USA, le podcast a une véritable vie !

Et pour vous deux, les choses se sont-elles déroulées comme prévu, ou avez-vous eu des surprises ?

MT : Tout a été beaucoup plus compliqué que nous ne l'avions imaginé. L'élaboration du concept, les choix techniques, la communication, le suivi, l'édition, la recherche de partenariats et de fonds… C'était énorme. En fin de compte, c'est un travail comparable à celui d'une petite maison d'édition.

LM : Nous cumulons une quinzaine de casquettes. Par bonheur nous sommes assez complémentaires ; Marc est plus fort pour les aspects informatiques, moi plus expérimenté dans l'édition et la communication. Nous avons énormément de contacts dans le milieu, ici, en France, en Belgique et au Québec.
De toute façon, le projet est tellement passionnant que nous ne pouvons plus renoncer. Chaque semaine, nous trouvons de nouvelles raisons de poursuivre. J'ai un travail alimentaire, mais ce qui m'intéresse, ce sont les livres : éditer, lire, écrire.

Propos recueillis par Francesco Biamonte

 

Page créée le 08.02.08
Dernière mise à jour le 12.02.08

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