des livres
Auteurs suisses dans le cadre
du Journal Le Monde
Monsieur
de Jacques Chessex, Grasset |
L'autre réel de Jacques
Chessex
Entre faute et innocence, ombre
et lumière, l'écrivain suisse et parisien dessine,
avec un style d'une singulière puissance, un itinéraire
intérieur
LE MONDE DES LIVRES | 08.11.01 | 19h35
.[...]
Et pourtant, cet homme de lettres qui maîtrise parfaitement
les usages en vigueur dans le petit périmètre
où la littérature s'édite et se commercialise
à Paris, qui exerce même là une réelle
influence (il présidait cette année le jury
Médicis), vient de loin, d'ailleurs, de haut. La Suisse
n'est pas, comme on pourrait le croire au vu des géographies
élémentaires, un pays voisin, familier, une
sorte de province en partie francophone. On y trouve des vallées
et des montagnes, des fleurs, des lacs, des villes solidement
bâties et établies, et, au cur des villes,
des maisons bien construites, que l'on dirait habitées
pour l'éternité. Il y a d'ailleurs, de ce côté
des Alpes, un temps particulier, une lenteur que les horloges
ne prennent pas en compte. Il y a aussi un éloignement
que l'on ne saurait mesurer, des frontières naturelles
faites de ces mêmes montagnes, et des frontières
historiques culturelles et religieuses complexes qui divisent
les Suisses entre eux, et même parfois à l'intérieur
d'eux, après les avoir séparés des autres
nations...
[...]
Mais Chessex nous arrête. Ce ne sont pas des choses
dont on apprend à parler du dehors ; il faut en être...
"La Suisse n'est en aucun cas une nation ; elle est faite
de morceaux qui n'ont rien de commun entre eux." C'est
un constat, pas un regret. "C'est un prodigieux réservoir
d'images. Il y a peu de pays où j'ai eu l'occasion
de voir en même temps les images du passé, du
présent et celles de l'avenir. La tonalité générale
est baroque. Il y a une grande tradition de l'excès
en images ; l'imagerie helvétique est violente, guerrière,
animale..." Ce baroque, c'est évidemment le magnifique
et trop négligé Charles-Albert Cingria - sur
lequel Chessex publia un volume de la collection "Poètes
d'aujourd'hui", chez Seghers en 1967 - qui l'incarne
le mieux. Charles-Ferdinand Ramuz, le terrien austère,
et Cingria, le catholique latin de la Contre-Réforme,
sont les deux grandes figures tutélaires de la littérature
suisse d'expression française. Chacun représente
l'un des versants, ou des tentations, non seulement littéraires,
mais aussi morales et spirituelles des lettres helvétiques.
Ensemble, ils constituent le paradoxe suisse par excellence
dont aime à parler Chessex (1). Enfin, et notre interlocuteur
le souligne fortement, ce sont deux admirables écrivains,
trop marginalisés, tenus éloignés de
Paris où les gloires se distribuent.
[...]
Toute la poésie de Jacques Chessex a été
publiée en trois volumes reliés, en Suisse,
chez Bernard Campiche éditeur, en 1997.
Signalons également l'étude très complète
d'Anne-Marie Jaton, Jacques Chessex. La lumière de
l'obscur, publiée en mai (éd. Zoé, 192
p., 17,53 EURO -115 F-).
Monsieur de Jacques Chessex. Grasset,
300 p., 18,60 EURO (122 F)
Patrick Kéchichian
09.11.01
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L'Évangile
selon Judas de Maurice Chappaz |
Chappaz l'évangéliste
L'écrivain du Valais fait
le bilan de sa vie à travers le récit de la
Passion vue par Judas
LE MONDE DES LIVRES | 08.11.01 | 19h35
[...]
L'Evangile selon Judas est aujourd'hui la deuxième
manche de ce Match Valais-Judée paru en 1968 à
Lausanne. Mais en une trentaine d'années le ton a bien
changé. La verve rabelaisienne du pamphlet d'autrefois
qui stigmatisait le mercantilisme et la bêtise d'une
société prête à brader toutes ses
valeurs pour le miroir aux alouettes d'une industrie touristique
a cédé la place à une méditation
plus personnelle. "A quoi étions-nous appelés
?" C'est le bilan de toute une vie que tente Maurice
Chappaz en examinant cette question avec la crainte de n'avoir
su tenir son rôle et celle plus lancinante de n'avoir
pu décider clairement en quoi il consistait. "Judas
et Jésus remontent en moi. Parce que ma vie devient
comme une forêt noire où je m'enfonce. Je suis
par moments
étranglé par le respect puis en proie à
la curiosité. Ma vocation, je la subis. L'un après
l'autre mes poèmes me quittent, déménagent,
mais il me semble encore écrire des souvenirs avec
les mots de plusieurs poètes engloutis, enfuis au bout
du monde, de passage dans ma conscience, à demi visibles.
Je ne sais plus d'où vient telle voix, je pénètre,
je tâtonne dans les buissons obscurs, sur les sentiers
à la fin de l'âge. Où il faudrait être
une bête, avoir son savoir aussi."
[...]
L'Evangile selon Judasn'est pas un traité théologique
mais une méditation sur la place de l'homme dans l'univers
qui, loin d'être tissée de considérations
abstraites, est fortement ancrée dans l'amour que porte
Maurice Chappaz à son Valais natal.
L'Évangile selon Judas de Maurice
Chappaz. Gallimard, 180 p., 15 EURO (98,39 F).
G. Me.
09.11.01
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La
relation critique, l'il vivant II de Jean Starobinski/ Gallimard |
Eloge du libre regard
Dans le deuxième volume de
"L'il vivant", Jean Starobinski définit
sa méthode critique
LE MONDE DES LIVRES | 08.11.01 | 19h37
Dans un court texte intitulé Le Voile de Poppée,
qui ouvrait, voilà quarante ans, le premier volet de
L'il vivant, Jean Starobinski (1) définissait
sa conception de la critique en ces termes essentiels, qui
sont évidemment toujours d'actualité : "La
critique complète n'est peut-être ni celle qui
vise à la totalité (comme fait le regard surplombant),
ni celle qui vise à l'intimité (comme fait l'intuition
identifiante) ; c'est un regard qui sait exiger tour à
tour le surplomb et l'intimité, sachant par avance
que la vérité n'est ni dans l'une ni dans l'autre
tentative, mais dans le mouvement qui va inlassablement de
l'une à l'autre. Il ne faut refuser ni le vertige de
la distance, ni celui de la proximité : il faut désirer
ce double excès où le regard est chaque fois
près de perdre tout pouvoir."
[...]
S'il revient encore une fois à Rousseau, Starobinski
interroge surtout le regard et les appuis conceptuels qui
le soutiennent, du côté de l'"objectivité"
de la linguistique et de la stylistique (Leo Spitzer) ou dans
l'intimité de l'interprétation psychanalytique.
Mais là encore, il invite à une sorte de prudence,
et laisse ouverte la question du savoir auquel l'interprète
peut prétendre : " Il ne suffit pas de connaître,
en deçà des uvres, l'homme comme être
naturel et comme être social ; il faut le connaître
dans sa faculté de dépassement, dans les formes
et les actes créateurs par lesquels il change le destin
qu'il subissait comme être naturel, par lesquels il
transforme la situation que lui assignait la société,
et par lesquels, à la longue, il modifie la société
elle-même." C'est donc, à chaque moment
du geste critique, un acte de liberté qui est posé,
celle de l'écrivain approché et de l'uvre
étudiée ; celle aussi du commentateur qui, par
sympathie raisonnée ou distance sans hostilité,
accueille cette liberté dont il est le témoin
et s'enrichit d'elle.
(1) Gallimard, "Tel" (no 301)
en 1999.
La relation critique, l'il vivant
II de Jean Starobinski. Gallimard, "Tel", 408 p.,
12,50 EURO (82 F). (Première édition, Gallimard
1961, la présente édition est revue et augmentée).
P. K.
09.11.01
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Alice
Rivaz, éd. de l'Aire, "L'Aire bleue", 4 volumes en
coffret |
Le prix de l'indépendance d'une femme
Alice Rivaz aurait eu cent ans cette
année. Les éditions de l'Aire rassemblent, en
quatre volumes, ses uvres principales. Avec compassion
et amusement, la romancière et essayiste d'expression
française observe le destin de ses personnages
LE MONDE DES LIVRES | 08.11.01 | 19h35
La paix des ruches
Le creux de la vague
Jette ton pain
Ce nom qui n'est pas le mien
A l'occasion du centenaire de sa naissance,
plusieurs manifestations rendent hommage à "l'autrice"
vaudoise, Alice Rivaz - de son vrai nom Alice Golay. Les éditions
de l'Aire ont entrepris la réédition de ses
uvres complètes (à l'exception de quelques
textes réédités chez Zoé). Car
si Alice Rivaz est complètement ignorée en France,
elle a été aussi un peu oubliée dans
son propre pays, comme le faisait remarquer à l'occasion
de sa mort (en 1998) son traducteur allemand qui s'enorgueillissait
d'avoir été pour quelque chose dans ces rééditions
grâce au succès de ses traductions en Allemagne.
On ne peut que souhaiter que les lecteurs français
aient la même curiosité que les lecteurs allemands.
Il y a quelque chose de très
émouvant à la lecture des romans, des nouvelles
et des essais d'Alice Rivaz, car elle redonne vie à
des femmes que chacun et chacune d'entre nous a aimées,
nos vieilles amies, nos grands-mères, nos grands-tantes.
Parce que les histoires que raconte Alice Rivaz, ses prises
de position "féministes" - d'un féminisme
ferme, assuré, mais jamais belliqueux - sont les mêmes
souvent que celles de "nos vieilles dames indignes"
qui ont été jeunes, courageuses, indépendantes,
bien avant nous.
[...]
Alice Rivaz, éd. de l'Aire, "L'Aire
bleue", 4 volumes en coffret, 154 p., 414 p., 374 p.,
212 p., 39,48 EURO (259 F).
M. Si.
09.11.01
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La
pyramide ronde de Jean-Luc Benoziglio. Seuil |
Dysharmonie des sphères
Prenant pour objet de fiction la
fascinante figure du pharaon Akhénaton, Jean-Luc Benoziglio
livre avec une légèreté facétieuse
le rêve d'un poète égaré au pouvoir
LE MONDE DES LIVRES | 08.11.01 | 19h35
Difficile d'entendre la voix des vaincus,
celle des utopistes désavoués par le cours du
temps fallacieusement héroïsé en "sens
de l'Histoire", ou plus sobrement celle des malheureux
qui n'ont pas convaincu les scribes dont le filtre pèse
plus qu'on ne l'imagine... Naguère Marguerite Yourcenar
tenta le portrait de la voix d'Hadrien. Aujourd'hui, pas moins
sceptique, Jean-Luc Benoziglio nous offre celui du plus audacieux
des pharaons, Aménophis IV, membre de la XVIIIe dynastie,
dont les dictionnaires renâclent encore aujourd'hui
à avaliser l'identité nouvelle qu'il s'attribua,
devenu le champion d'un dieu solaire unique, Aton, dont il
se fit, "Akhénaton", le serviteur zélé.
Peu soucieux de faire un roman "dans
l'Histoire", l'écrivain a l'astuce de jouer sur
les noms, altérés au regard des scientifiques,
sans que le fard masque le vrai visage des protagonistes de
la révolution imaginée par le pharaon mystique.
Sans doute est-il secrètement d'accord avec la distance
critique affichée par Hérodote, cité
en exergue ("Quant à moi, ce qu'ils affirment
ne me convainc guère") - quand bien même
le voyageur grec est-il raillé par le royal narrateur
de La Pyramide ronde, puisque Benoziglio octroie à
son personnage un savoir libéré des contingences
de la chronologie, ce qui donne à l'anachronisme assumé
la saveur d'une révélation et au rêve
prémonitoire, seul argument sans appel pour justifier
les innovations radicales auprès des "Vieux Fous",
gardiens de l'orthodoxie thébaine, la grâce mutine
d'un pied de nez.
[...]
Roman désenchanté au
projet vertigineux et au charme ténu, La Pyramide ronde
rappelle par son audace l'ambition littéraire d'un
Alain Nadaud. La touche récréative en plus.
La pyramide ronde de Jean-Luc Benoziglio.
Seuil, "Fiction & Cie", 304 p., 19,06 EURO (125
F).
Ph.-J. C.
09.11.01
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Nuit
blanche de Jean-Michel Olivier. Ed. L'Age d'Homme |
La nuit la plus longue, entre
deux millénaires
LE MONDE DES LIVRES | 08.11.01 | 19h35
[...]
Dans une grande ville, des personnages se croisent, des destins
basculent. On est dans une nuit entre deux millénaires.
Mais Olivier ne précise pas s'il a choisi la nuit symbolique,
le 31 décembre 1999, ou la véritable fin de
millénaire, le 31 décembre 2000. Ce flou supplémentaire
doit lui plaire. Comme il plaît au lecteur, qui se laisse
aller délicieusement à cette folle promenade
dans une nuit non moins folle.
[...]
Toutes ces vies qu'on ne voit que par éclats, par fragments,
toutes ces existences qu'on ne connaîtra jamais, Jean-Michel
Olivier les rend fascinantes, emportant son lecteur avec lui,
dans cette nuit unique.
Nuit blanche de Jean-Michel Olivier. Ed.
L'Age d'Homme, 150 p.,13,72 EURO (90 F).
Josyane Savigneau
09.11.01
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Belles
(et diverses) Etrangères de Suisse |
Belles (et diverses) Etrangères
de Suisse
Quatorze écrivains d'un même
pays mais de quatre langues différentes pour découvrir
un kaléidoscope littéraire.
Quoi de moins exotique à première vue que la
littérature suisse ? Dans son choix de cette année,
en décidant de mettre à l'honneur la littérature
d'un pays si proche, niché au cur de l'Europe
occidentale, la 33e édition des Belles Etrangères
(du 12 au 23 novembre) force à nous confronter à
une réalité beaucoup plus complexe qu'il n'y
paraît. Peut-on en effet parler de littérature
suisse quand l'unité de la langue qui fonde généralement
une littérature nationale est absente ? Le pays est
partagé en trois grandes zones linguistiques, l'allemand,
le français et l'italien ; il serait donc plus juste
de parler de littératures en Suisse.
[...]
DÉCOUVERTES
Encore peu connus, trois auteurs auront l'occasion de se
faire découvrir lors de ces Belles Etrangères
: Peter Stamm, Jürg Schubiger, auteur de livres pour
la jeunesse, et Ruth Schweikert, romancière qui rêve
de s'établir à Paris comme l'a fait, après
bien des pérégrinations, Paul Nizon en 1977.
Dans son refus de raconter des histoires, l'uvre de
Nizon s'ancre délibérément dans un présent
où l'écriture, prise comme thème, affronte
le mystère de la création.
Les pères fondateurs de la littérature suisse
moderne d'expression française sont Ramuz, Cingria
et Gustave Roud, dont les ombres tutélaires effleurent
les uvres de Maurice Chappaz, Jacques Mercanton, Jacques
Chessex (lire page III), mais aussi Philippe Jaccottet, installé
depuis plusieurs années dans la Drôme. "Un
auteur romand qui a du succès passe aussitôt
pour français", remarque Anne-Lise Grobéty,
dont l'engagement littéraire se double d'un engagement
politique et féministe.
Le succès passe souvent par les éditeurs parisiens
en dépit des efforts et du courage de remarquables
maisons d'édition comme L'Age d'homme, L'Aire, Bernard
Campiche et surtout Zoé, qui ont lancé ou soutenu
des écrivains aussi différents qu'Yves Laplace,
Michel Layaz et Anne Perrier, auteur d'une poésie ou
règnent l'épure et l'équilibre. Romancier
et dramaturge, arbitre de football à ses heures, Yves
Laplace cherche à démasquer les ambiguïtés
de la modernité, dans un style tantôt flamboyant,
tantôt direct et cru. Michel Layaz, le benjamin des
auteurs romands invités à l'occasion des Belles
Etrangères, est sans doute la grande révélation
de cette manifestation, comme en témoigne son roman
Les Légataires.
[...]
Pierre Deshusses
09.11.01
Page créée le 12.11.01
Dernière mise à jour le 12.11.01
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